Proche de Marie de Médicis. Par l’élégance de sa langue, il figure parmi les grands poètes, écrivains et traducteurs du français classique au 17ème siècle. Fervent catholique, il a joué un rôle important dans l’histoire du jansénisme [1], et fut l’un des Solitaires de Port-Royal des Champs [2]. Passionné d’arboriculture, il s’est illustré également dans le développement de l’art de tailler les arbres fruitiers.
Robert Arnauld est l’aîné des 20 enfants de l’avocat Antoine Arnauld, procureur général de Catherine de Médicis, et de Catherine Marion. Il est à la tête d’une prestigieuse et nombreuse fratrie, qui compte parmi ses membres Jacqueline future mère Angélique, Henri qui sera évêque d’Angers [3], ou encore le docteur de Sorbonne, Antoine dit le grand Arnauld.
Pourvu d’une solide éducation humaniste, il a pour précepteur le fils de Denis Lambin , grand érudit de la Renaissance, avant d’être formé par son oncle Claude Arnauld, trésorier général de France [4]. Promis à une brillante carrière politique, Robert entre à 16 ans au service d’un autre oncle paternel, l’intendant des finances [5] Isaac Arnauld .
À partir de 1611, grâce à la protection de la reine mère Marie de Médicis, Robert Arnauld d’Andilly assiste au Conseil d’État [6], aux côtés de Nicolas de Neuville de Villeroy, Nicolas Brûlart de Sillery, Pierre Jeannin , Concino Concini et son épouse Léonora Dori dite Galigaï, le Père Coton, Louis Dolé et l’ambassadeur d’Espagne et le nonce [7] Guido Bentivoglio. C’est ce dernier qui, en 1621, emmènera Henri, le frère de Robert, lors de son retour à Rome, lui ouvrant la voie à la carrière épiscopale. Pendant ce voyage, Robert Arnauld défend les intérêts du Nonce en France.
Âgé de 24 ans, en 1613, Robert Arnauld fait un mariage avantageux avec Catherine Le Fèvre de la Boderie, âgée de 14 ans et issue d’une famille normande de petite noblesse. Son père, Antoine de la Boderie, a été secrétaire d’ambassade à Rome, ambassadeur en Flandre [8], chargé de mission en Angleterre, enfin membre du Conseil des finances. Robert Arnauld lui sera très attaché. C’est par sa femme qu’il entre en possession du domaine d’Andilly [9], qu’il revend rapidement. Il réside aussi fréquemment dans une propriété de Pomponne [10], qui appartient alors au demi-frère de sa femme. La mariée apporte également ses terres de Chelles [11] et des Briottes, ainsi que diverses rentes.
La mort de Henri IV accélère son ascension, dans l’ombre de son protecteur et grâce à la faveur de Marie de Médicis. D’août 1615 à mai 1616, alors que cette dernière traverse le royaume avec le jeune roi Louis XIII et sa sœur Élisabeth pour leur double mariage avec les héritiers du trône d’Espagne, la régente confie la gestion des affaires de Paris à Isaac Arnauld. En tant que son premier commis, c’est Robert Arnauld d’Andilly qui rédige les actes officiels.
Cela lui vaudra, au retour, de recevoir une pension royale. S’il ne prend pas la succession de son oncle à la mort de ce dernier, en 1617, il devient néanmoins conseiller d’État le 9 mars 1618, avec 2 000 livres de gages.
Chargé d’apurer les comptes des gardes suisses [12] du maréchal de Bassompierre , il parvient à faire réaliser une économie de 100 000 livres au Trésor, mais s’attire l’inimitié de l’ambassadeur de France en Suisse Pierre de Castille, gendre du surintendant des finances, le président Jeannin. Il est ensuite l’un des commissaires chargés du procès de Claude Barbin , bien qu’il eut de la sympathie pour lui. Expert en matières financières, Robert Arnauld devient ensuite premier commis du nouveau surintendant des finances, M. de Schomberg , qui succède au président Jeannin.
Accompagnant le roi dans son expédition guerrière contre le soulèvement des Huguenots du Midi, en 1620, il est présent lors des négociations entre le roi et la reine mère qui suivirent la bataille des Ponts-de-Cé [13]. À cette occasion, il rencontre l’abbé de La Cochère [14], Sébastien Le Bouthillier dont Robert connaît bien le frère, Claude Bouthillier. Il lui présente l’un de ses amis, l’abbé de Saint-Cyran Jean Duvergier de Hauranne, un proche de Jansenius.
Cette rencontre aura un caractère décisif pour Robert Arnauld. Elle scelle également, sans le vouloir, le destin de l’abbaye de Port-Royal des Champs [15] : en 1623, il provoque la rencontre décisive entre sa sœur et l’abbé de Saint-Cyran, qui ne tarde pas à prendre un irrésistible ascendant sur la Mère Angélique et sur les religieuses, et sera choisi, en 1633, pour être confesseur de l’abbaye.
En janvier 1622, Robert Arnauld profite d’un voyage à Lyon pour faire une autre rencontre, celle de François de Sales, quelques jours avant sa mort. À son retour, le roi lui propose la survivance de la charge de secrétaire d’État de Monsieur de Sceaux, en échange de 100 000 livres de rente à verser aux héritiers. Dans ses Mémoires, il écrira plus tard qu’il n’en avait aucun regret, étant opposé au principe même de la vénalité des charges.
En 1623, il obtient la charge enviée d’intendant général de la maison de Gaston d’Orléans, frère du roi et grand conspirateur. Robert Arnauld intrigue pour remplacer Jean-Baptiste d’Ornano , le favori de Monsieur et il est lui-même inquiété lorsque celui-ci, compromis dans la conspiration de Chalais [16] est embastillé en 1626, Robert Arnauld semble avoir été impliqué dans ce complot visant à empêcher le mariage de Gaston d’Orléans avec Mademoiselle de Montpensier Marie de Bourbon-Montpensier . La reine mère prenait au sérieux le risque que le couple ait un enfant avant celui de Louis XIII, au moment même où la santé de ce dernier se révélait fragile.
Dès lors, Gaston, le tenant pour un traître, veut l’éloigner, et Richelieu, qui avait pourtant songé à le faire secrétaire d’État aux Affaires étrangères, accède à sa demande. Pendant sa défaveur, l’aîné des Arnauld se retire dans ses terres d’Andilly et de Pomponne, où il s’adonne à l’écriture de Recueils d’État et surtout à l’arboriculture et au jardinage, une passion qu’il conserve jusqu’à la fin de ses jours.
C’est au temps de sa disgrâce qu’il se découvre un talent pour la poésie religieuse. Il fait paraître en 1628, 58 “Stances” pour Jésus-Christ dans lesquelles il relate la vie de Jésus jusqu’à sa Passion sur la croix.
Il est l’ami des plus belles plumes de son temps, qui le regardent comme un égal et comme un maître.
Accusé de comploter contre sa patrie au profit des Espagnols et soupçonné d’hérésie, son ami Saint-Cyran s’attire les foudres de Richelieu qui le fait emprisonner en 1638. Robert Arnauld le visite chaque jour dans sa prison, grâce à l’intercession de Marie-Madeleine de Vignerot du Plessis, duchesse d’Aiguillon [17] auprès de son oncle le cardinal ; Saint-Cyran ne sera libéré qu’au printemps 1643, après la mort du cardinal, pour mourir quelques mois plus tard, léguant son cœur à Robert Arnauld.
En 1642, Robert Arnauld d’Andilly obtient de Louis XIII que son fils Simon Arnauld de Pomponne soit nommé intendant de la place forte [18] de Casal [19], dans les collines du Montferrat [20]. Le Montferrat est alors un enjeu important pour le contrôle de l’Italie du nord.
En 1643, Anne d’Autriche songe à lui confier l’éducation du jeune Dauphin. C’est sans doute à cette occasion qu’il écrit son Mémoire pour un souverain, dont deux copies manuscrites sont conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal. On y trouve un véritable programme politique : interdiction des duels, bannissement du luxe, abolition de la vénalité des charges, attribution des bénéfices ecclésiastiques à des hommes de sçavoir et de piété exclusivement, meilleure répartition de la fiscalité. La surintendance de la maison du roi ne lui fut pas attribuée : elle échut à Mazarin. Sur la question des duels, il put mettre son programme en application, puisqu’il fut chargé en 1643 de la rédaction d’un décret les interdisant. Ce texte n’eut pas plus d’effet que les précédents.
Courtisan élégant, il est l’un des hommes les plus en vue du règne. Toutefois, au milieu des années 1640, alors que son étoile brillait au firmament de la vie politique et sociale, et sans être, comme il l’avait été par le passé, victime d’aucune cabale, il se lasse peu à peu des fastes de la cour et décide de tout quitter pour se retirer au désert : en décembre 1644, il fait ses adieux à la reine et part vivre en ermite dans les parages de l’abbaye de Port-Royal.
Cette conversion du mondain en ermite ne laisse pas de surprendre. Elle suscite d’abord une certaine méfiance des Solitaires eux-mêmes, et il semble vivre à l’écart de leur compagnie même.
La retraite d’Arnauld d’Andilly à Port-Royal des Champs, vers 1645, est aussi une retraite poétique : s’il n’abandonne jamais l’écriture, il réserve son talent aux traductions, et passe rapidement maître dans cet art.
Malgré cette prédilection pour la prose qui marque sa retraite, d’Andilly ne renie pourtant jamais son passé de poète.
En juin 1652 paraît une nouvelle mazarinade, d’une grande qualité littéraire, intitulée “La vérité toute nue”, ou Advis sincère et désintéressé sur les véritables causes de l’Estat et les moyens d’y apporter le remède. Elle est anonyme, mais l’auteur se désigne d’un je d’autant plus insistant qu’en une vingtaine de pages, il ne cite aucune autorité, aucun auteur, aucune locution latine.
Elle circule d’abord sous une forme manuscrite, puis imprimée dès le mois d’août, sans doute par l’éditeur Jean Rousse. Quoiqu’elle ait longtemps été attribuée au père Faure, confesseur de la Reine, son véritable auteur semble bien être Robert Arnauld d’Andilly.
Arnauld d’Andilly dénonce, avec une solide connaissance des acteurs du conflit, leurs collusions d’intérêt et leurs jeux cyniques. Mais plus encore, il s’attaque aux milieux financiers, intendants et surintendants, parlementaires et contrôleurs, qui ont dissipé les finances publiques, et ne se prive pas d’en citer les noms. Il y développe l’idée que la guerre civile que connaît le royaume est un châtiment divin, idée qu’il avait déjà ébauchée en 1642 dans ses Stances sur diverses vérités chrétiennes.
En 1652 paraît un livre intitulé La Manière de cultiver les arbres fruitiers, publié sous le nom d’Antoine Legendre, curé d’Hénonville. Bien que ce personnage existe réellement, l’ouvrage a été attribué dès 1677 à l’abbé de Pontchâteau, et ce n’est qu’en 1716 que le nom de Robert Arnauld d’Andilly fut proposé pour la première fois. À partir du xixe siècle, seule l’attribution à d’Andilly demeure, qui n’est plus remise en cause.
L’Église, à travers la bulle “Cum occasione” en 1653, prend clairement position contre le jansénisme et exige de tous les membres du clergé la signature d’un formulaire portant condamnation de cinq propositions attribuées à Jansénius.
L’abbé de Bouzeisn Amable de Bourzeis , un janséniste proche de Mazarin, échoue à persuader le Cardinal que Port-Royal ne représente pas un danger. Il prévient alors les Messieurs, qui songent d’abord à déléguer Antoine Singlin auprès du ministre, avant de se décider pour Robert Arnauld. Via la Duchesse de Chevreuse Marie de Rohan , il entame alors une longue correspondance secrète avec Mazarin.
Ce dernier a fait recevoir, dès le mois de juillet 1653, la bulle papale condamnant les cinq propositions attribuées à Jansenius ; il espère, par ce geste, se concilier le Saint-Père, qui favorise ses adversaires espagnols, et en France même, les anciens chefs de la Fronde, le cardinal de Retz et le prince de Condé. Mais, déçu de l’attitude de Rome, il décide d’en savoir plus sur ce qui se trame chez les Jansénistes.
Claude Auvry, évêque de Coutances [21], lui sert d’intermédiaire auprès de Robert Arnauld ; leur correspondance, toujours secrète, se poursuivra jusqu’en 1659.
C’est ainsi que Robert Arnauld intervient auprès de Mazarin pour défendre Roger du Plessis-Liancourt , duc de La Roche-Guyon, à qui l’abbé Picoté, prêtre de Saint-Sulpice [22], refuse l’absolution en raison de ses sympathies jansénistes. Pour protéger son frère Antoine, il endosse la publication de sa Lettre à une personne de condition, qui traite de cette question théologique.
Le 26 août 1664, revenu en hâte à Paris, il tente inutilement de dissuader l’archevêque Hardouin de Péréfixe de Beaumont de procéder à l’enlèvement de 12 moniales, proscrites et exilées parce qu’elles refusaient de signer le Formulaire. Parmi celles-ci se trouvaient trois de ses filles, dont la mère Angélique de Saint-Jean.
À la suite de cet épisode, il reçoit l’ordre de se retirer à Pomponne ; il doit se soumettre et quitter une nouvelle fois Port-Royal des Champs, cette fois pour plusieurs années. La relégation est douce, dans ce domaine qu’il aime et où il vit entouré de ses petits-enfants.
À la demande de son fils, il rédige entre 1666 et 1667 ses Mémoires destinés à faire connaître sa vie et celle de ses ancêtres à ses petits-enfants. Les vies exemplaires de ses oncles, de ses neveux solitaires, de son fils même, se répondent afin de former une galerie de portraits exemplaires et une voie à suivre. Au-delà de leur visée pédagogique, ces mémoires permettent surtout à d’Andilly de recomposer l’histoire familiale afin de donner à voir la vertu des Arnauld et de s’opposer aux calomnies pouvant circuler sur leur compte.
La paix de l’Église [23], en 1669, illumine ses dernières années : il fait une apparition remarquée à Versailles [24] en septembre 1671 ; il a la joie de voir son fils Simon Arnauld de Pomponne accéder au rang de ministre et de secrétaire d’État en 1672, et retrouve Port-Royal des Champs en 1673, quelques mois avant d’y mourir le 27 septembre 1674, âgé de 85 ans.