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L’Europe de 1700 à 1715

samedi 23 mars 2024, par lucien jallamion (Date de rédaction antérieure : 22 novembre 2017).

L’Europe de 1700 à 1715

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L’Europe vers 1715

Pendant que l’installation de Philippe V, petit-fils de Louis XIV, sur le trône d’Espagne, irrite et effraye les grandes puissances, et altère en Occident l’équilibre européen, un nouveau trône s’élève entre l’empire germanique, la Suède et la Russie.

Frédéric III de Hohenzollern le futur roi de Prusse Frédéric 1er , duc de Prusse [1], électeur de Brandebourg [2], se couronne de ses mains à Koenigsberg*. Ce prince, quoique dénué d’instruction, révère Leibniz et fonde l’académie de Berlin [3].

Le jeune roi de Suède, Charles XII, menacé par l’ambition de ses voisins, commence sa carrière dans la violence. Il frappe leroi du Danemark, le roi de Pologne, Auguste de Saxe, et fait roi à Varsovie [4] le Polonais Stanislas Leckzinski.

En Europe de l’est, la bataille de Narva [5], perdue, ne décourage pas Pierre 1er. Le tsar s’installe près de la Baltique [6], dans les marais de la Néva [7]. Son despotisme ne recule pas devant des pertes humaines immenses et d’argent, pour faire sortir de ce sol fangeux, pestilentiel, menacé de continuelles inondations, une capitale, Saint-Pétersbourg [8].

A la mort de Guillaume d’orange, l’ennemi persévérant de la France, il apparaît que l’ébranlement causé par l’élévation d’un Bourbon sur le trône de Madrid était profond. La ligue contre Louis XIV ne perd rien de ses forces ni de ses prétentions. Comme roi d’Angleterre, Guillaume 1er a pour successeur Anne, fille de Jacques II Stuart qui vient de mourir, et mariée à un prince danois. Liée par le pacte constitutionnel [9], elle ne peut rien pour les siens, elle continue la politique anglaise sur le continent et sur, les mers, le général Marlborough gagne pour elle des victoires en même temps que le prince Eugène de Savoie pour l’empereur. La réunion définitive de l’Écosse à l’Angleterre par la fusion des parlements est la réalisation d’une pensée nationale des Stuarts a lieu. Comme stathouder [10] de Hollande, Guillaume n’a pas de successeur. Les républicains des Provinces-Unies [11] craignent que cette dignité ne se transforme en royauté ; le grand pensionnaire [12] Heinsius leur suffit.

Louis XIV est cruellement éprouvé dans les dernières années de son règne. La sagesse dans les conseils, l’habileté dans l’administration ou dans le commandement militaire, tout manque à la fois ; les favoris gouvernent mal et perdent les batailles ; le roi commet tour à tour la faute de ne pas se fier assez ou de se fier trop aux princes de son sang. L’Espagne, unie alors à la destinée de la France, perd Gibraltar [13], où les Anglais posent un pied solide. Le Portugal, en haine du monarque français des Espagnols, se jette dans les bras de l’Angleterre, dont l’influence sera plus durable et plus oppressive à Lisbonne que celle de la France à Madrid. L’année 1709 est fameuse par le désastre de Malplaquet [14], par un rigoureux hiver, par la famine, par l’avènement du Père Letellier, après François d’Aix de La Chaise dit le Père Lachaise , aux fonctions de confesseur du monarque septuagénaire. La diplomatie hollandaise refuse une paix humiliante pour la France.

A l’autre extrémité de l’Europe, le héros d’aventure, Charles XII, succombe à Poltava [15]. Sa retraite chez les Turcs lui donne un instant l’espoir de tourner contre les Russes vainqueurs les forces de la Porte, mais le tsar Pierre 1er échappe au danger par le traité du Pruth [16], œuvre hardie de sa femme Catherine.

La mort de l’empereur Joseph 1er, dont le successeur, l’archiduc Charles, prétendant depuis 10 ans à la couronne d’Espagne, est trop puissant maintenant aux yeux de l’Europe ; la disgrâce de Marlborough, les dispositions équitables des nouveaux ministres tories [17]. La brillante victoire remportée à Denain [18] par Villars, donnent à la France la paix tolérable d’Utrecht [19].

Le traité d’Utrecht reconnaît Philippe V roi d’Espagne, mais sans les Pays-Bas et l’Italie, qui demeurent à l’Autriche ; sans la Sicile, qui doit former un royaume pour la maison ducale de Savoie. Cette royauté nouvelle gardera l’entrée des Alpes et les passages de la Méditerranée contre l’ambition des Bourbons de France et d’Espagne.

A Utrecht, on allait reconnaître le premier roi de Prusse, qui avait été aussi un des ennemis de Louis XIV. Le second, qui n’a pas le goût des lettres, par ses réformes militaires, se met en état de soutenir la guerre et même d’entreprendre des conquêtes : il prépare ainsi, à son insu, le succès d’un fils qu’il déteste.

Lorsque les hostilités cessent en Occident, la bulle Unigenitus [20], dont les ministres de Louis XIV imposent l’acceptation, ranime pour un demi-siècle les dissensions religieuses. Jansénistes [21] et molinistes [22], évêques, parlements, universités, congrégations ecclésiastiques, se jettent dans la mêlée. Ces débats, une dette publique énorme, une administration livrée au favoritisme, tels sont les maux de la France, lorsque la mort de Louis XIV fait roi un enfant de 5 ans, son arrière-petit-fils, seul survivant d’une nombreuse lignée royale. Anne Stuart, la reine d’Angleterre est morte un an auparavant en 1714.

En Orient, les folies de Charles XII profitent à tous les ennemis de la Suède. L’aventurier redevient roi depuis le siège de Stralsund [23] qu’il ne peut cependant pas sauver.

Le traité d’Utrech n’est qu’une trêve pour les Bourbons d’Espagne qui ne renoncent pas à l’espoir de régner sur l’Italie comme autrefois les descendants de Charles-Quint. C’est un but qu’ils poursuivront pendant 35 ans.

P.-S.

L’Europe au 18ème siècle Source : Imago mundi Texte de Léonardon/ article de Fabienne Manière/herodote/ evenement/17720428/dossier 414

Notes

[1] Les Hohenzollern qui étaient princes-électeurs de Brandebourg depuis 1417, devinrent « ducs de Prusse » en 1525. L’union personnelle entre les deux entités se transforma en royaume de Prusse en 1701, lorsque la dignité royale leur fut accordée par l’empereur avec le titre de « roi en Prusse », puis « roi de Prusse » (à partir de la première partition de la Pologne en 1772). La marche de Brandebourg perdra ses liens de vassalité vis-à-vis du Saint-Empire après la dissolution de celui-ci en 1806.

[2] Les souverains de Brandebourg sont successivement margraves puis princes-électeurs et rois régnant dans la marche de Brandebourg. À partir de 1618, ils portent en union personnelle aussi le titre de ducs en Prusse créant ainsi l’État de Brandebourg-Prusse puis, après le couronnement de Frédéric 1er en 1701, le titre de roi en Prusse. L’existence de la marche de Brandebourg prend aussi fin avec la dissolution du Saint-Empire romain en 1806. Au congrès de Vienne en 1815, le territoire est en grande partie incorporé dans la province de Brandebourg.

[3] L’Académie des arts de Berlin est une institution culturelle consacrée aux arts, située sur la Pariser Platz (la « place de Paris ») dans le centre-ville de Berlin, près de la porte de Brandebourg. Elle a été fondée en 1696.

[4] Varsovie est depuis 1596 la capitale de la Pologne. Elle est située sur la Vistule, à environ 320 km de la mer Baltique et des Carpates. La ville est citée à partir du 14ème siècle sous les noms de Warseuiensis (1321) et Varschewia (1342), puis Warschouia (1482), pour devenir plus tard Warszowa et enfin Warszawa, le nom polonais actuel de Varsovie. La couronne polonaise y fut transférée en 1596, quand le roi Sigismond Vasa déplaça la cour de Cracovie à Varsovie. Dans les années qui suivirent, la ville s’étendit sur les terres de l’actuelle banlieue, sous forme de vastes domaines privés indépendants, possédés par la haute noblesse et administrés selon leurs propres lois. Entre 1655 et 1658, la ville fut assiégée trois fois et trois fois elle fut prise et pillée par les troupes suédoises, brandebourgeoises et transylvaniennes

[5] La bataille de Narva est une bataille survenue au début de la grande guerre du Nord, le 30 novembre 1700 à Narva, au nord-est de l’Estonie. L’armée suédoise, commandée par le roi Charles XII, qui n’a pas encore 18 ans, y a remporté une victoire totale sur l’armée russe de Pierre le Grand.

[6] La mer Baltique est une mer intracontinentale et intérieure de 364 800 km² située dans le Nord de l’Europe et reliée à l’océan Atlantique par la mer du Nord. Elle communique au sud-ouest avec la mer du Nord par le Cattégat et le Skagerrak. Trois golfes principaux intègrent cet espace : le golfe de Botnie au nord, le golfe de Finlande à l’est et le golfe de Riga au sud-est.

[7] La Neva est un fleuve de Russie occidentale, long de 74 km seulement. Elle coule du lac Ladoga à la mer Baltique (golfe de Finlande), dans laquelle elle se jette à Saint-Pétersbourg, par un delta profondément transformé par l’urbanisation (la ville comprend aujourd’hui 42 îles).

[8] Saint-Pétersbourg, est la deuxième plus grande ville de Russie par sa population. Elle fut fondée en 1703 par le tsar Pierre le Grand dans une région disputée depuis longtemps au royaume de Suède. Après la mort de Lénine en 1924, la ville est rebaptisée Léningrad.

[9] La Déclaration des droits (ou Bill of Rights en anglais) est un texte imposé en 1689 aux souverains d’Angleterre (Guillaume III et Marie II) à la suite de la Glorieuse Révolution. Il définit les principes de la monarchie parlementaire en Angleterre.

[10] Le stathoudérat était une fonction politique et militaire médiévale dans les anciens Pays-Bas. Le stathouder connaît aux 16 et 17ème siècles une modification importante de son rôle avec le déclenchement de la guerre de Quatre-Vingts Ans, la sécession des Pays-Bas espagnols et l’accession à l’indépendance des Provinces-Unies. Dans l’histoire de la république néerlandaise, les fonctions et l’autorité du (ou des) stathouder continuèrent de fluctuer grandement selon les circonstances politiques internes et externes. On remarque cependant deux constantes dans l’attribution du stathoudérat durant cette dernière période : l’hérédité de fait en faveur de la Maison d’Orange-Nassau et la sujétion de cette attribution aux États généraux des Provinces-Unies.

[11] Les Provinces-Unies, officiellement la république des sept Provinces-Unies des Pays-Bas, étaient un État prédécesseur de l’actuel royaume des Pays-Bas et le premier État-nation néerlandais entièrement souverain. L’État naquit en 1579, au cours de la révolte des Pays-Bas contre Philippe II et disparut en 1795, lors de la révolution batave.

[12] Le pensionnaire est le responsable de l’administration d’une province dans les Provinces-Unies et les Pays-Bas autrichiens.

[13] Gibraltar est un territoire britannique d’outre-mer, situé au sud de la péninsule Ibérique, en bordure du détroit de Gibraltar qui relie la Méditerranée à l’océan Atlantique. Il correspond au rocher de Gibraltar et à ses environs immédiats et est séparé de l’Espagne par une frontière de 1,2 kilomètre. Gibraltar est possession du Royaume-Uni depuis 1704. Au début du 8ème siècle, dans le cadre de la conquête musulmane de l’Espagne wisigothique, le chef Tariq ibn Ziyad y établit une tête de pont en Europe, donnant son nom au rocher. Le site est conquis, en 1309, par le royaume de Castille, puis repris par le général mérinide Abd-el-Melek en 1333 expulsant les Castillans. En 1374, les Mérinides cèdent le rocher au royaume de Grenade. Gibraltar est définitivement reconquis par Ferdinand V en 1492.

[14] La bataille de Malplaquet eut lieu le 11 septembre 1709 au cours de la guerre de Succession d’Espagne au sud de Mons dans les Pays-Bas espagnols (sur le territoire de l’actuelle commune de Taisnières-sur-Hon en France). Les forces commandées par le général John Churchill, duc de Marlborough et le prince Eugène de Savoie, essentiellement autrichiennes et hollandaises, affrontèrent les Français commandés par le maréchal de Villars.

[15] La bataille de Poltava (ou Pultawa) eut lieu le 8 juillet 1709 entre l’armée de Pierre 1er de Russie et les troupes de Charles XII de Suède avec l’appui des cosaques d’Ukraine du hetman Ivan Mazepa dans le cadre de la Grande guerre du Nord. La victoire russe décisive a fait perdre à la Suède son rang de grande puissance militaire.

[16] Le traité de Fălciu, aussi connu dans les sources comme traité du Pruth, fut signé le 23 juillet 1711 entre la Russie et l’Empire ottoman, mettant fin à la quatrième guerre russo-turque. Il prévoit la restitution par la Russie aux Ottomans d’Azov et des territoires de Crimée. Il porte le nom du chef-lieu du comté moldave où il fut signé, près de la rivière Prut. Il a été renouvelé le 24 juin 1713 à Andrinople par le traité d’Andrinople.

[17] Le terme Tories désigne les partisans d’une philosophie politique traditionaliste anglo-saxonne. Au Royaume-Uni, les Tories constituaient l’un des deux groupes parlementaires britanniques à partir du 17ème siècle, ancêtres du Parti conservateur. Réputés proches de la dynastie Stuart, ils étaient favorables à un pouvoir royal fort et défendaient les intérêts de l’aristocratie foncière. Inspirant la méfiance de la Maison de Hanovre, qui les suspectait de collusion avec la dynastie précédente, les rois du 18ème siècle leur préféraient les Whigs.

[18] La bataille de Denain, qui eut lieu le 24 juillet 1712, est un épisode décisif de la guerre de Succession d’Espagne3. Elle se solde par une victoire inespérée des armées françaises commandées par le maréchal de Villars sur les Austro-Hollandais du Prince Eugène. Elle permet après plusieurs défaites françaises de négocier une paix favorable.

[19] Les traités d’Utrecht sont deux traités de paix signés en 1713 qui mirent fin à la guerre de Succession d’Espagne. Le premier fut signé à Utrecht le 11 avril entre le royaume de France et le royaume de Grande-Bretagne, et le second fut signé dans la même ville le 13 juillet entre l’Espagne et la Grande-Bretagne.

[20] La bulle Unigenitus ou Unigenitus Dei Filius est la bulle que le pape Clément XI fulmine en septembre 1713 pour dénoncer le jansénisme. Elle vise plus particulièrement l’oratorien Pasquier Quesnel et condamne comme fausses et hérétiques cent une propositions extraites des Réflexions morales, son ouvrage paru en 1692 et qui continue d’asseoir son succès. Loin de mettre fin aux divisions de l’Église, cette bulle provoque la coalition, voire la fusion de plusieurs oppositions : gallicane, richériste et janséniste. Face au refus du parlement de Paris de l’enregistrer et aux réticences de certains évêques, Louis XIV cherche à l’imposer par la force. L’opposition à la bulle se réveille lors de la Régence et en appelle à un concile général. Fleury qui arrive au pouvoir la fait devenir loi du royaume par le lit de justice royal du 24 mars 1730 et continue une épuration du clergé, ce qui attise les oppositions (clergé, parlement). Dès lors, le jansénisme se construit en opposition aux proclamations de la bulle.

[21] Le jansénisme est un mouvement religieux, puis politique, qui se développe aux 17ème et 18ème siècles, principalement en France, en réaction à certaines évolutions de l’Église catholique, et à l’absolutisme royal. Les jansénistes se distinguent aussi par leur rigorisme spirituel et leur hostilité envers la compagnie de Jésus et sa casuistique, comme envers un pouvoir trop puissant du Saint-Siège. Dès la fin du 17ème siècle, ce courant spirituel se double d’un aspect politique, les opposants à l’absolutisme royal étant largement identifiés aux jansénistes. Le jansénisme naît au cœur de la réforme catholique. Il doit son nom à l’évêque d’Ypres, Cornélius Jansen, auteur de son texte fondateur l’Augustinus, publié en 1640. Cette œuvre est l’aboutissement de débats sur la grâce remontants à plusieurs dizaines d’années, coïncidant avec l’hostilité grandissante d’une partie du clergé catholique envers la compagnie de Jésus ; il prétend établir la position réelle de Saint Augustin sur le sujet, qui serait opposée à celle des jésuites, ceux-ci donnant une importance trop grande à la liberté humaine

[22] Le molinisme est une doctrine théologique développée principalement par le jésuite Luis de Molina (1536-1600) sur la grâce divine et le libre-arbitre humain, exposée dans son ouvrage publié à Lisbonne en 1588 : De concordia liberi arbitrii cum gratiae donis, divina praescientia, providentia, praedestinatione, et reprobatione ad nonnullos primae partis divi Thomae articulos (en français : Accord du libre-arbitre avec le don de la grâce, la prescience divine, la providence, la prédestination et la réprobation...).

[23] Stralsund est une ville du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, partie de la Poméranie, au nord de l’Allemagne