Le 15 mars 1804 à lieu l’enlèvement du duc d’Enghien [1] fils unique du dernier prince de Louis VI Henri de Bourbon-Condé , soupçonné sans preuve d’avoir été mêlé au complot de Cadoudal . Bonaparte croit que le duc d’Enghien a trempé dans un complot royaliste contre sa personne. Sans attendre les preuves que pourrait apporter une enquête, il le fait enlever en pleine nuit par un escadron de dragons dans sa maison d’Ettenheim [2]]].
Jugé sommairement à Vincennes par un tribunal militaire, il est fusillé le 21 mars au soir dans les fossés du château de Vincennes [3].
En acceptant qu’on fusille un jeune prince dans les fossés de Vincennes, Bonaparte a-t-il commis une erreur politique ? Peut-être hâte-t-il l’avènement de l’Empire, mais il se brouille définitivement avec les royalistes, qui, en d’autres circonstances, auraient pu rallié son régime.
En mars 1804, le duc d’Enghien est apparu à Bonaparte comme un ennemi qu’il fallait nécessairement abattre. A ce moment, le chef chouan Cadoudal est arrêté pour complot contre le Premier consul ; il sera bientôt guillotiné. Au cours de son interrogatoire, il a l’impression de faire allusion à un jeune prince français que les conjurés auraient eu l’intention de remettre sur le trône de France. Comme le descendant mâle de Louis XIV, le petit Louis, est mort, Bonaparte et son entourage se persuadent qu’il s’agit du duc d’Enghien, petit-fils du prince de Condé Louis V Joseph de Bourbon-Condé , qui réside alors dans le duché de Bade [4], à Ettenheim, près de Strasbourg [5].
Une enquête faite dans cette localité révèle que le duc d’Enghien aurait eu des entretiens avec le général Dumouriez qui venait de trahir le pouvoir en rejoignant l’armée royaliste. Mais c’est en fait une fausse information.
Bonaparte consulte alors ses proches conseillers, Cambacérès , Talleyrand , Fouché et Murat . Il est fou de colère, et prêt à écouter le conseil le plus hardi. Celui-ci vient de Talleyrand, qui incite le Premier Consul à envoyer des forces outre-Rhin pour s’emparer du jeune prince, affirmant que le grand-duc de Bade Charles 1er n’a pas les moyens de s’opposer à cette intrusion dans son territoire.
Sur l’ordre du Premier consul, le général Ordener , accompagné de Caulaincourt , passe alors effectivement le Rhin, avec un corps de troupe de 300 dragons. Dans la nuit du 15 mars, la maison du duc d’Enghien est cernée par les militaires. Le prince et toute sa maison sont d’abord conduits à Strasbourg via le pont de Kehl, puis à Vincennes, où ils arrivent le 20 mars en fin d’après-midi.
Murat, alors gouverneur de Paris, attend l’arrivée du duc d’Enghien. Il a réuni une Commission militaire spéciale comprenant 7 officiers et soldats. Averti, Bonaparte envoie à Vincennes son aide de camp Savary , lui donnant des consignes pour que le jugement soit rendu avant la fin de la nuit et que l’exécution ait lieu sur-le-champ.
A minuit, on fait subir un premier interrogatoire d’identité au duc et celui-ci signe un procès-verbal, ajoutant de sa main qu’il demande une audience au Premier consul.
Immédiatement après, le jeune Bourbon est traduit devant la Commission militaire présidée par le général Hulin , commandant de grenadiers, qui a autrefois participé à la prise de la Bastille.
Une deuxième fois, Enghien demande une entrevue avec Bonaparte, ce qui lui est refusé par Savary.
Alors, le prince répond aux questions qui lui sont posées concernant un complot contre le Premier consul.
Il reconnaît avoir servi dans l’armée des émigrés pendant la Révolution, mais nie avec indignation avoir comploté contre la vie de Bonaparte. Le malheur veut qu’il admette aussi toucher une pension de l’Angleterre, ce qui est considéré comme une preuve suffisante de trahison par les juges, sommés d’en finir... Le verdict est rendu dans le délai le plus bref qui puisse s’imaginer : à 3 heures du matin, tout est terminé.
Louis Antoine Henri de Bourbon, duc d’Enghien, est reconnu à l’unanimité de la Commission coupable d’avoir porté les armes contre la République française, d’avoir offert ses services au gouvernement anglais, d’avoir conspiré contre la France, d’avoir pris la tête d’un rassemblement d’émigrés et surtout d’avoir tramé une conspiration contre le Premier consul. A l’unanimité encore, la Commission militaire spéciale condamne le duc d’Enghien à la peine de mort.
Le simulacre de procès a donc duré 3 heures à peine. Le prince espère encore pouvoir obtenir l’entrevue demandée avec le Premier consul, pensant que le célèbre général ne peut obscurcir son image flatteuse en faisant verser le sang d’un innocent. Effectivement, Hulin, après le jugement, envoie un mot à Bonaparte pour lui faire part de la dernière demande du condamné. Mais la lettre est intercepté, et le Premier consul la reçoit après l’exécution.
A 5 heures du matin, à la lueur d’une lanterne, le duc d’Enghien est conduit dans les douves du château de Vincennes. La fosse d’inhumation a déjà été creusée et un peloton d’infanterie attend l’ordre de tirer. C’est la dernière consolation du duc d’Enghien, qui se félicite de subir "la mort d’un soldat". Il tombe percé de balles et son cadavre est jeté dans la fosse, immédiatement comblée.
Pendant la même nuit, Napoléon a eu des remords, ou plutôt il a songé qu’une clémence serait mieux appréciée des Français qu’une exécution sommaire.
Aussi charge-t-il son conseiller Pierre-François Réal de se rendre à Vincennes et ordonner un nouvel interrogatoire.
Mais malheureusement, celui-ci se trouve retardé pour des raisons obscures, et arrive sur le lieu quand tout est déjà terminé.
Tandis que le jeune duc d’Enghien expire dans les fossés de Vincennes, le premier Consul Bonaparte promulgue le Code Civil des Français élaboré par une commission constituée le 24 mars 1802 et dirigée par le juriste Pigeau, s’inspire de l’ordonnance de Lamoignon de 1667 qui a été simplifiée. Il est présenté au Conseil d’Etat qui lui consacrera 24 séances d’études. Il compte 2281 articles qui régissent la famille. Il ne tardera pas à prendre le nom de Code Napoléon.
Le mérite de cet immense travail de compilation juridique revient pour l’essentiel à Cambacérès et aux hommes du Directoire qui ont gouverné la France avant le coup d’État de Napoléon Bonaparte.
Il s’inspire pour une bonne part des recueils de lois commandés 1300 ans plus tôt par l’empereur d’Orient Justinien. Il met fin aux particularismes locaux et à une certaine confusion juridique hérités de la tradition.
Sous l’Ancien Régime, un Rennais n’obéissait pas aux mêmes règles de droit civil qu’un Parisien ou qu’un habitant du Languedoc.
Le royaume était divisé en zones géographiques de tailles très variées dans lesquelles s’appliquaient des régimes divers de lois dites coutumières.
À ce particularisme régional, il faut ajouter qu’au sud de la France [6], les lois avaient un caractère de “droit écrit”. Elles étaient plus imprégnées du droit de l’empire romain que dans le nord à l’exception de l’Alsace.
C’était le résultat d’une longue évolution qui remontait aux temps où les Francs, les Burgondes et les Wisigoths occupaient l’hexagone ! Un tel système était totalement incompatible avec les profonds bouleversements apportés par la Révolution.
L’ordre donné par l’Assemblée Constituante de rédiger un code de lois applicables à tous, repris par la Constitution de 1791, reste lettre morte par manque de temps.
En juillet 1793, l’armée autrichienne met en difficulté celle de la République. La guerre fait rage aussi contre les Vendéens. Durant cette même période, Marat est assassiné, Danton quitte le Comité de Salut Public bientôt remplacé par Robespierre. La Convention décrète l’arrestation des Girondins.
C’est dans ce contexte historique agité que la Convention demande à Jean-Jacques Régis de Cambacérès de préparer, avec le Comité de Législation dont il est le président, un projet de code civil. Ordre lui est donné de terminer le travail dans le mois qui suit !
Dans les délais imposés, le 9 août 1793, Cambacérès présente son projet de code civil à la Convention. Mais celle-ci suggère d’en confier la révision à une commission. Cette prudence enterrera la première tentative.
Après la chute de Robespierre et la fin de la Terreur, Cambacérès présente un nouveau projet le 9 septembre 1794. Nouveau renvoi de la Convention devant une commission, nouvel échec. Sous le Directoire, Cambacérès est élu au Conseil des Cinq-Cents mais débouté comme directeur. L’infatigable avocat présente le 12 juin 1796, son troisième projet de code civil. Le Conseil adopte quelques articles, mais la discussion s’enlise et c’est un troisième échec !
Après le coup d’état du 19 brumaire [7], Cambacérès est nommé ministre de la Justice puis deuxième Consul.
Le premier Consul Bonaparte est séduit par l’esprit des projets. Il nomme le 18 août 1800, une commission de 4 magistrats : Tronchet, Bigot de Préameneu, Portalis et Maleville. Elle est chargée de faire une synthèse du travail de Cambacérès et d’en fournir une rédaction définitive.
La proposition des 4 magistrats est discutée entre le 17 juillet 1801 et le 21 mars 1804 durant 109 séances du Conseil d’État dont 57 sont présidées par Bonaparte et 52 par Cambacérès. L’ensemble du projet comporte 36 titres et 2281 articles.
Le 10 mars 1804, enfin, sur une proposition de Cambacérès, le Conseil d’État réunit les 36 titres en un seul corps de lois.
Le 30 ventôse de l’an XII du calendrier révolutionnaire [8], l’Ancien Droit est abrogé et le Code Civil des Français est promulgué.
Napoléon 1er, soucieux du qu’en dira-t-on, dictera plus tard dans son exil de Sainte-Hélène : Ma vraie gloire, ce n’est pas d’avoir gagné 40 batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon Code Civil. Il faudra pourtant le refaire dans 30 ans.
Tous les Français vont désormais vivre sous un même code de droit. Ainsi prend fin un régime de lois disparates élaborées durant 1300 ans, depuis les lois barbares du temps des Mérovingiens jusqu’aux lois coutumières de l’Ancien Régime, en passant par les lois seigneuriales de la féodalité au début du 2ème millénaire.
Avec le Code Civil, la loi émane désormais du législateur seul, le juge n’ayant rien à faire qu’à l’appliquer. Elle régit tous les rapports sociaux, y compris le droit de la famille, indépendamment de toute considération morale, religieuse ou politique.
Le Code Civil inspirera nombre de législateurs en Europe et dans le monde. L’essentiel de son contenu est encore en vigueur aujourd’hui en France, malgré le scepticisme de l’Empereur.