Considéré par Platon comme un sophiste [1], il est reconnu comme tel par la tradition antique et récente. Déjà renommé de son vivant, Protagoras est resté célèbre pour son agnosticisme [2] avoué et un certain relativisme.
En dépit de sa renommée dans l’Antiquité, très peu de choses sont aujourd’hui connues avec certitude sur la vie de Protagoras. Comme pour la plupart des sophistes, on ne dispose sur lui que de témoignages et fragments souvent insuffisants pour se prononcer.
On sait qu’il naquît à Abdère [3], en Thrace [4], dans la première moitié du 5ème siècle av. jc, d’un père nommé Méandre (ou Méandrios). Il est établi qu’il fit plusieurs séjours à Athènes, où il fut proche de Périclès.
Il serait selon certains d’origine modeste, selon d’autres issu d’une famille riche. Il aurait été disciple de Démocrite , ou à l’inverse maître de celui-ci. Alors que Platon le dit avoir joui d’une estime générale jusqu’à sa mort, d’autres le présentent condamné par la justice athénienne et contraint de fuir la cité.
Concernant sa jeunesse et ses origines sociales, deux versions existent. Selon Philostrate, le père de Protagoras aurait été l’un des plus riches Thraces, et aurait même hébergé le roi perse Xerxès 1er lors de la seconde guerre médique [5]. À cette occasion, Protagoras aurait pu fréquenter et être éduqué par des mages perses, à l’instar de Démocrite. Les historiens de la philosophie considèrent toutefois cette anecdote comme une légende, peut-être fabriquée pour expliquer l’agnosticisme de Protagoras par des influences étrangères. L’hypothèse d’un Protagoras riche mais sans lien avec les Perses n’est toutefois pas exclue.
À l’opposé, Diogène Laërce rapporte qu’il était d’origine humble, exerçant au départ un travail manuel. Protagoras aurait été portefaix, et aurait inventé la tulè [6]. Son ingéniosité l’aurait fait remarquer par Démocrite, qui l’aurait pris pour disciple.
Devenu sophiste, Protagoras séjourna plusieurs fois à Athènes. Sa première visite pourrait dater de 460 av. jc. Il semble avoir été présent en 444 av. jc, période à laquelle Périclès lui aurait confié la rédaction de la constitution d’une nouvelle colonie.
D’autres visites en 432 et en 420 av.jc sont susceptibles d’avoir eu lieu, soit respectivement avant la guerre du Péloponnèse [7] et après la mort de Périclès. Au-delà d’Athènes, Platon attribue à Protagoras une visite en Sicile.
Plusieurs témoignages suggèrent un lien entre Périclès et Protagoras. Ce dernier aurait été suffisamment proche de Périclès pour s’entretenir une journée entière avec lui sur une question de responsabilité juridique, et ses vues politiques auraient été assez favorables à la démocratie pour que Périclès lui confie l’établissement d’une constitution. Diogène rapporte en effet que Protagoras a été choisi pour donner des lois aux habitants de Thourioi [8]. Si la constitution finale n’a pas été d’esprit spécifiquement démocratique, le mandat donné à Protagoras indiquerait une proximité minimale entre le sophiste et le pouvoir athénien.
Les dernières années de Protagoras semblent marquées par des événements tumultueux. Certaines sources indiquent une condamnation du sophiste pour impiété, son expulsion d’Athènes, et le fait qu’on ait brûlé ses livres en public. Ces informations sont toutefois loin d’être avérées.
Protagoras aurait été condamné pour avoir écrit qu’il ignorait si les dieux existaient ou non. Suite à une lecture publique de son écrit Sur les dieux, Protagoras aurait été accusé, peut être par un dénommé Pythodore, partisan de l’oligarchie et membre des Quatre-Cents [9]. L’accusation se serait appuyée sur le décret de Diopite [10]. L’impiété serait alors un prétexte, le motif réel du procès étant politique. Cette version des événements est cependant contestée. L’existence d’un tel décret, la tenue d’un procès, ou encore le fait qu’on ait brûlé les œuvres du sophiste ont été mis en doute.
La mort de Protagoras pourrait être due à un naufrage. Philostrate rapporte que le sophiste serait mort pendant sa fuite d’Athènes. Son décès serait ainsi rattaché à son expulsion, et correspondrait à une période de réaction anti-péricléenne. D’autres sources signalent elles un naufrage pendant un voyage vers la Sicile. Là encore, nos informations sont faibles et peu assurées.
Comme ses semblables, l’abdéritain mène une carrière d’enseignant itinérant, allant de cité en cité pour prodiguer ses leçons. C’est un professionnel du savoir. Ses cours sont payants et constituent pour lui une source de revenus et de popularité.
On attribue à Protagoras d’être le premier des sophistes. Il serait le premier à exiger un salaire contre son enseignement. Cette pratique est jusque là inédite en Grèce et enseigner contre salaire devient un trait distinctif des sophistes.
Selon Platon, Protagoras serait même un promoteur actif de la profession : il l’assume ouvertement et la défend face aux critiques. Certaines sources font aussi de Protagoras l’inventeur des discours éristiques [11] et rhétoriques [12]. Il deviendrait alors à la fois l’inventeur des techniques rhétoriques et du métier qui les utilise.
Protagoras est l’un des sophistes les plus célèbres de son époque. Par ses thèses provocantes, ses tarifs élevés et sa profession controversée, le sophiste d’Abdère a marqué ses contemporains. Eupolis le met en scène dans “ses Flatteurs”, et Aristophane semble s’inspirer de lui dans “ses Nuées”. Une génération plus tard, sa présence dans “les dialogues de Platon” témoigne d’une réputation encore vive.