La révolution royale tend vers l’égalité fiscale et veut moderniser les structures du pays. Mais elle se heurte, dès le départ, à l’opposition acharnée des privilégiés qui ne veulent rien céder.
Né le 23 août 1754, le futur Louis XVI est élevé dans un milieu très confiné, le clan des dévots, défenseurs de la religion et de la monarchie traditionnelle, qui s’oppose au puissant et principal ministre, le duc de Choiseul , et aux encyclopédistes. En font partie, outre son père, Louis Ferdinand , fils de Louis XV , et sa mère, Marie Josèphe de Saxe , les filles du roi, Mesdames Adélaïde , Victoire , Sophie et Louise. Timide, maussade et taciturne, Louis Auguste, d’abord titré duc de Berry, devient en 1761 l’héritier du trône à la mort de son frère aîné, le petit duc de Bourgogne, puis dauphin de France en 1765 au décès de son père.
A côté du catéchisme que lui inculque son précepteur, Mgr de Coëtlosquet , ancien évêque de Limoges [1], son gouverneur, le duc de La Vauguyon Antoine de Quélen de Stuer de Caussade , larmoyant mentor doublé d’un ambitieux tartuffe, s’attache à lui donner une éducation ouverte non seulement aux humanités classiques latin, histoire, géographie, droit mais aussi aux disciplines scientifiques mathématiques, physique, économie. Le tout cependant est enrobé d’un moralisme déconcertant et de niaiseries insipides. Confondant morale, religion et politique, il lui enseigne par exemple que la Providence ne dispense qu’aux rois vertueux la gloire, les succès militaires et la prospérité de leurs peuples ce qui est évidemment une critique implicite à l’encontre de Louis XV.
Cette éducation comporte par ailleurs de graves lacunes. La Vauguyon laisse de côté les finances, l’art de la guerre il est pourtant ancien lieutenant général, les affaires étrangères, les idées nouvelles des philosophes, même pour s’en méfier et les combattre. A ce jeune garçon sans grâce naturelle, au caractère introverti, il oublie d’apprendre à se bien tenir, à saluer et à paraître avec aisance à la Cour. Sorties, bals, spectacles sont considérés par cet éducateur austère comme des chemins de damnation.
Louis pourtant n’a rien du benêt ou du médiocre qu’on s’est plu à dépeindre. Outre la chasse, dont il raffole, sans doute aime-t-il des distractions peu intellectuelles. Pour se détendre, il joue au maçon ou au serrurier. Mais ce qu’on sait moins à la Cour, c’est qu’il se passionne pour les progrès techniques et les dernières découvertes scientifiques, la physique, la géographie, la cartographie, qu’il apprend à dessiner à la plume avec le premier peintre de la Marine, Nicolas Ozanne . Tout ce qui touche à la Marine d’ailleurs retient sa vive attention, au point d’avoir acquis dès l’âge de 16 ans le niveau de connaissances d’un ingénieur de cette arme. Louis est conscient de l’éducation incomplète et en partie sclérosée qu’on lui a inculquée. Rencogné dans sa solitude, il lit beaucoup, médite, se prépare avec sérieux à son futur rôle de roi.
Attiré par les langues étrangères dès l’adolescence, il se perfectionne seul en italien, en espagnol, et surtout en anglais, qu’il finit par posséder parfaitement. Pour satisfaire sa curiosité, il s’achète de nombreux livres anglais et lit les Posts d’outre-Manche, s’intéressant tout particulièrement aux débats de la Chambre des communes. Vers 1768, il traduit le petit livre d’ Horace Walpole sur le règne de Richard III.
Louis XV ne se presse pas pour autant de perfectionner son instruction politique et refuse de l’admettre au sein de son Conseil, où se prennent les grandes décisions touchant le gouvernement du royaume. Mais il lui fait dispenser des leçons de relations internationales par le premier commis des Affaires étrangères, l’abbé de La Ville. Louis est vite au courant de l’histoire diplomatique, des alliances, des guerres et des inimitiés entre Etats. Il sait en particulier qu’il faut se méfier de l’Angleterre et de l’Autriche. Aussi est-il bien décidé à tenir à l’écart de la politique sa jeune épouse, l’archiduchesse Marie-Antoinette , fille de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche , ainsi que le propre artisan de son mariage, l’intrigant duc de Choiseul, l’ennemi de feu son père, exilé par Louis XV en 1770.
Quand meurt son grand-père, le 10 mai 1774, le jeune prince n’arrive pas totalement désarmé, mais il manque cruellement d’expérience. Il ne s’est pas encore émancipé du clan des dévots. Sous l’influence de sa tante Adélaïde, il prend pour principal conseiller, avec rang de ministre d’Etat, le vieux comte de Maurepas Jean-Frédéric Phélypeaux de Maurepas , ancien ministre de Louis XV, disgracié en 1749 pour s’être opposé à Mme de Pompadour .
Cet homme affable et fort habile, quoiqu’un tantinet décrépit, grand connaisseur des usages anciens, revient à la Cour avec un désir de revanche et des idées bien arrêtées. Des idées, il en a au moins deux en tête, il veut renvoyer le triumvirat mis en place par Louis XV, composé du chancelier Maupeou , de l’abbé Terray , contrôleur général des Finances [2], et du duc d’Aiguillon Emmanuel-Armand de Vignerot du Plessis , ministre des Affaires étrangères, et rappeler l’ancien Parlement, qui dans son esprit fait corps avec la monarchie traditionnelle.
N’ayant pas connu les années, au tournant du demi-siècle, durant lesquelles les magistrats ont mené la vie dure au roi, il ne perçoit pas le danger que représente leur retour.