Ses recherches en optique ont conduit à l’acceptation définitive de la théorie ondulatoire de la lumière en remplacement de la théorie balistique qui s’était imposée depuis Newton.
En s’appuyant sur les concepts émis par Christian Huygens à la fin du 17ème siècle, et en procédant à ses propres expériences, il retrouva indépendamment les observations faites quelques années plus tôt par Thomas Young sur les interférences et leur donna les fondements physiques et mathématiques qui emportèrent l’adhésion des physiciens de son époque.
Dans son Mémoire sur la diffraction de la lumière, Fresnel donna la première explication rationnelle du phénomène de la diffraction. Pour sa démonstration, il montra que l’addition de deux vibrations lumineuses de même fréquence pouvait être modélisée comme la composition de deux forces, c’est-à-dire de deux vecteurs, de grandeurs et directions différentes : les vecteurs de Fresnel. En reconnaissant que la lumière est composée de vibrations transversales, Fresnel a expliqué la nature de la polarisation de la lumière, la biréfringence et la polarisation circulaire.
Bien que Fresnel puisse être considéré comme un physicien théoricien ou physicien mathématicien, il n’a eu que peu de temps pour se consacrer à ses recherches fondamentales. Son métier était ingénieur des Ponts et Chaussées. À ce titre, il a apporté des améliorations considérables à la luminosité des phares en inventant les lentilles à échelons, ou lentilles de Fresnel.
Augustin Fresnel est mort à 39 ans. Malgré la brièveté de sa vie, l’excellence et l’importance de ses travaux ont tout de suite été reconnues par ses contemporains. Il a été élu membre de l’Académie des sciences de Paris [1] en 1823, membre associé de la Royal Society [2] en 1825 et a reçu la médaille Rumford [3] sur son lit de mort en 1827.
Humphrey Loyd , professeur de physique au Trinity College à Dublin [4], considérait que la théorie ondulatoire de Fresnel était la plus noble invention qui ait jamais honoré le domaine des sciences physiques, à la seule exception du système de l’Univers de Newton
Fils de Jacques Fresnel, architecte, et d’Augustine Mérimée. Augustin a un frère aîné et 2 frères cadets
Augustin Fresnel a été très influencé par sa famille maternelle. Il était le petit fils de François Mérimée, avocat au parlement de Rouen [5], intendant du maréchal de Broglie Victor-François de Broglie . Il était filleul de son oncle Léonor Mérimée , le père de l’écrivain Prosper Mérimée , qui était élève à l’Académie royale de peinture [6] au moment de son baptême. C’est donc cet oncle-parrain qui l’a soutenu après la mort de son père en 1805. À cette époque, Léonor Mérimée cesse son activité d’artiste peintre pour se consacrer à l’étude de l’histoire et des techniques de peinture. Il est directeur de l’École des Beaux-Arts [7] et professeur de dessin à l’École polytechnique [8]. C’est lui qui mettra en relation son neveu avec François Arago au moment de l’élaboration de la théorie de la diffraction de la lumière en 1815.
Il faut remarquer que la famille Fresnel était très liée au château et à la famille des princes de Broglie [9]. Il est très probable que Jacques Fresnel architecte, résidant à Broglie, était au service du Maréchal de Broglie et que c’est au château qu’il a fait connaissance de la fille de l’intendant qui deviendra son épouse.
Lorsque la situation est devenue incontrôlable au moment de la Révolution française, la famille de Broglie a émigré, le château a été pillé et incendié. Le prince Claude Victor de Broglie , fils aîné du Maréchal, qui était député aux États Généraux et avait choisi de rester en France fut exécuté en 1794.
La famille Fresnel s’est réfugiée d’abord à Cherbourg [10] en 1790 puis, en 1794, à Mathieu [11], village natal de Jacques Fresnel, à quelques kilomètres au nord de Caen [12].
Un illustre descendant du Maréchal de Broglie, Louis de Broglie , proposera la théorie ondulatoire de la matière un siècle après que la théorie ondulatoire de la lumière ait été établie par Augustin Fresnel.
Augustine Mérimée était une pieuse catholique et même un peu janséniste [13]. Augustin Fresnel a donc passé son enfance et son adolescence dans une famille catholique et royaliste, marquée par les méfaits de la Révolution. Bien qu’il ait bénéficié des institutions nouvelles, l’École centrale de Caen [14] et l’École Polytechnique, il est resté, sa vie durant, royaliste et fervent catholique.
Arago rapporte que Madame Mérimée était douée des plus heureuses qualités du cœur et de l’esprit ; l’instruction solide et variée qu’elle avait reçue dans sa jeunesse lui permit de s’associer activement pendant 8 années consécutives aux efforts que faisait son mari pour l’éducation de leurs 4 enfants. Les progrès du fils ainé furent brillants et rapides. Augustin, au contraire, avançait dans ses études avec une extrême lenteur ; à 8 ans, il savait à peine lire. Il semble qu’Augustin était réticent à faire des efforts de mémoire. Mais était très friand des exercices de raisonnement, dans les sciences ou dans la pratique. Ses camarades lui avait attribué le qualificatif d’homme de génie car il était très doué pour choisir les branches d’arbres les plus adaptées pour construire des arcs et des flèches ou d’autres objets.
On peut penser que l’influence de son père, architecte, a été décisive d’une part sur le développement de ses connaissances en arithmétique et en géométrie qui lui ont permis d’entrer au collège sans difficulté et d’y briller et d’autre part sur sa capacité à penser et dessiner dans l’espace, manifeste dans ses études ultérieures sur la diffraction et la polarisation de la lumière.
En 1801, à 13 ans, Augustin rejoint son frère Louis à l’École centrale de Caen. À 16 ans et demi, il est admis à l’École polytechnique promotion 1804. Il a des professeurs de mathématiques très compétents : Siméon-Denis Poisson , Gaspard Monge , Adrien-Marie Legendre et un répétiteur, André-Marie Ampère . Par contre, l’enseignement de physique à l’École polytechnique était très médiocre. Fresnel n’avait pu y trouver aucune notion tant soit peu exacte des travaux de ses devanciers sur la théorie des ondes. Il a cependant dû être instruit de la théorie de Newton sur la lumière qu’il s’appliquera à démolir. En 1814, il fait l’acquisition du Traité élémentaire de physique de René Just Haüy pour compléter ses connaissances.
En 1806, il devient élève de l’École des ponts et chaussées [15]. Là, il apprend la topographie. Il fait partie de la génération des Arpenteurs du monde. Fresnel a arpenté méticuleusement les chemins de la lumière avec le savoir-faire qu’il a acquis à l’École des ponts. Il a fait des mesures précises de distance et d’angle et a toujours estimé la marge d’erreur dont elles étaient grevées. Il sort de l’École en 1809 avec le titre et l’emploi d’ingénieur ordinaire aspirant du Corps des Ponts et Chaussées. Il restera toute sa vie dans cette administration.
La vie de Fresnel est entièrement consacrée à sa profession et à ses recherches scientifiques. Il consacre une part de ses revenus pour acheter les instruments dont il a besoin pour ses recherches.
La Vendée [16] fut le premier département où Fresnel fut affecté pour participer à l’édification de Napoléon-ville [17]. C’est là qu’en 1811 il inventa une méthode de production industrielle de soude, que l’on connait aujourd’hui sous le nom de procédé Solvay. Sa découverte fut présentée aux chimistes compétents par l’intermédiaire de son oncle Léonor mais elle ne fut pas retenue car, à la différence de celle de Solvay, elle ne comprenait pas le recyclage de l’ammoniaque, ce qui la rendait économiquement sans intérêt.
Vers 1812, Fresnel fut envoyé à Nyons [18], dans la Drôme, sur le chantier de la route impériale qui devait relier l’Italie à l’Espagne. C’est à Nyons qu’il manifeste son intérêt pour l’optique.
Plus tard, il manifeste son intérêt pour la théorie ondulatoire de la lumière qui, à son avis, expliquerait la constance de la vitesse de la lumière et serait compatible avec l’aberration stellaire. Finalement, il rassemble ses idées dans un texte qu’il intitule “Rêveries” et qu’il envoie à son oncle Léonor Mérimée qui le transmet à André-Marie Ampère. Le 19 décembre 1814, Léonor Mérimée évoque la note de Fresnel au cours d’un dîner avec Ampère et Arago, professeurs comme lui à Polytechnique. François Arago n’a que 2 ans de plus qu’Augustin Fresnel. Il est entré à l’École Polytechnique en 1803 en même temps que son frère Louis. Il se comportera à son égard comme un frère, tantôt protecteur, tantôt collaborateur. Ampère, Arago et Fresnel formeront un trio amical et scientifiquement fécond.
En mars 1815, Fresnel perçoit le retour de Napoléon de l’île d’Elbe [19] comme "une attaque contre la civilisation". Il quitte son poste et se rend à Lapalud [20] dans le Vaucluse où il offre ses services à la résistance royale mais il n’est pas pris à cause de son apparence chétive.
Il est arrêté à Valence le 8 mai 1815. Il est relâché mais est destitué pendant les Cent-jours [21] tout en ayant l’autorisation de se rendre chez sa mère à Mathieu. Fresnel obtint la permission de passer par Paris. Il put renouer connaissance avec d’anciens condisciples et se préparer ainsi aux recherches scientifiques dont il comptait s’occuper dans la retraite où ses jeunes années s’étaient écoulées. Le 12 juillet, alors que Fresnel est sur le départ, Arago lui laisse une note dans laquelle il attire son attention sur la diffraction de la lumière.
Fresnel n’a pas accès à ces publications en dehors de Paris et ne parle pas anglais. Malgré ces difficultés, arrivé à Mathieu, il entreprend des expériences sur la diffraction et les interférences de la lumière. Ces loisirs forcés rappellent ceux de Newton à Woolsthorpe [22] au moment de la grande peste de Londres en 1665 : ils sont l’occasion de grandes intuitions. Le 7 juillet 1815, Napoléon abdique définitivement. Fresnel a 27 ans. Il est réintégré dans le Corps des Ponts et Chaussées puisqu’il a choisi le camp qui l’a finalement emporté. Il demande immédiatement une prolongation de son congé de 2 mois pour finir son travail. Ce qui lui est accordé, les travaux publics ayant été suspendus partout pendant la période de trouble occasionné par le retour de Napoléon.
Le 23 septembre, il écrit à Arago : « Je pense que j’ai trouvé l’explication et la loi des franges colorées que l’on remarque dans l’ombre des corps éclairés par un point lumineux. » Cependant, dans le même paragraphe, Fresnel doute implicitement de la nouveauté de sa découverte. Il lui faudrait engager quelques dépenses pour améliorer son équipement. Il veut savoir si ces travaux sont inutiles ou si la loi de la diffraction n’a pas déjà été établie avec des expériences plus précises que les siennes. Il explique qu’il n’a pas encore eu l’occasion d’acquérir les ouvrages de sa liste de lecture à l’exception du livre de Young qu’il ne peut pas comprendre sans l’aide de son frère.
Fresnel conclut son travail de 3 mois et envoie, le 15 octobre, un manuscrit intitulé Mémoire sur la diffraction de la lumière à Delambre, secrétaire perpétuel de l’Institut, par l’intermédiaire de son oncle. Arago, qui a pris connaissance du Mémoire, lui écrit le 8 novembre. Fresnel lui répond le 12 novembre. Il est ennuyé. Il voudrait savoir plus précisément en quoi il a répété ou contredit les travaux de Young. Il annonce que son congé se termine et qu’il doit rejoindre Rennes [23]. Le 20 novembre, il écrit encore de Mathieu pour décrire les expériences complémentaires qu’il a faites sur les franges extérieures pour satisfaire la demande d’Arago.
Le 3 décembre, Fresnel écrit de Rennes. Il fait des commentaires et des corrections sur son Mémoire. Il remercie Arago des démarches qu’il a entreprises auprès de Gaspard de Prony , directeur de l’École des Ponts, pour que Fresnel vienne quelque temps à Paris pour finaliser son travail. Arago a fait valoir que cela serait favorable au progrès de la science et au prestige du Corps des Ponts et Chaussées. Prony a relayé la demande auprès de Louis-Mathieu Molé , directeur du Corps des Ponts, supérieur hiérarchique de Fresnel. Fresnel pourra venir à Paris dès février 1816 et faire des expériences complémentaires avec Arago.
L’année 1816 fut une année sans été : les récoltes furent maigres. Les familles affamées formaient des queues dans les rues de Rennes. Le gouvernement fut obligé d’organiser des ateliers de charité pour les nécessiteux. En octobre, Fresnel est renvoyé en Ille-et-Vilaine pour superviser ces ateliers en plus de ses équipes ordinaires de cantonniers.
À l’automne 1817, Fresnel, soutenu par Prony, obtient un nouveau congé de son supérieur hiérarchique, Louis Becquey , et rentre à Paris. Il reprendra son poste d’ingénieur au printemps 1818 mais, à Paris, cette fois, d’abord au canal de l’Ourcq [24] et ensuite, à partir de mai 1819, au cadastre des rues de Paris. Le 21 juin 1819, il est nommé à la Commission des phares. L’entretien des phares français faisant partie des missions du Corps des Ponts.
Durant ses séjours à Paris, Fresnel est hébergé par son oncle Léonor Mérimée. À partir de 1822, il loue une chambre chez Ampère, dans la maison qu’il a achetée en 1818, au no 19, rue des Fossés-Saint-Victor [25]. Dans cette maison, Ampère avait aménagé un petit laboratoire pour faire ses expériences sur les interactions entre électricité et magnétisme, expériences auxquelles Fresnel a participé depuis 1820, Ampère étant génial théoricien mais pauvre expérimentateur alors que Fresnel était à la fois théoricien et expérimentateur talentueux
Fresnel est revenu à Paris en février 1816 pour faire des expériences complémentaires avec Arago. L’une d’entre elles sera communiquée le 26 février 1816, en séance de l’Institut sous forme d’une Note sur un phénomène remarquable qui s’observe dans la diffraction de la lumière.
Finalement, une version corrigée et enrichie est présentée à l’Académie par Arago, le 25 mars 1816. Intitulé Mémoire sur la diffraction de la lumière, où l’on examine particulièrement le phénomène des franges colorées que présentent les ombres des corps éclairés par un point lumineux, il est publié dans le numéro de mars 1816 (paru en mai) des Annales de Chimie et de Physique dont Arago est devenu récemment le co-éditeur. Il est reproduit dans les Œuvres complètes sous le titre Deuxième Mémoire.
En mars, Fresnel a déjà des compétiteurs : Biot présente un mémoire sur la diffraction dont il est l’auteur avec son étudiant Claude Pouillet, mémoire qui prétend que la régularité des franges de diffraction, comme celle des anneaux de Newton, doit être liée aux "ajustements" de Newton. Mais la démonstration n’est pas rigoureuse et Pouillet lui-même deviendra un des premiers défenseurs de la théorie ondulatoire.
Fresnel était de constitution et de santé fragile. Son état de santé s’est détérioré pendant l’hiver 1822-1823 ce qui l’a empêché de rédiger un article sur la polarisation et la double réfraction que lui avait demandé “l’Encyclopædia Britannica”. Les mémoires sur la polarisation circulaire et elliptique, sur la polarisation rotatoire ainsi que les détails de la dérivation des équations de Fresnel et leur application à la réflexion totale datent de cette période. Au printemps, il récupère suffisamment de force pour envisager de superviser l’installation des lentilles au phare de Cordouan [26]. Mais il devient clair qu’il est atteint d’hémoptysie [27]. En mai 1823, à sa troisième candidature, il est élu à l’unanimité membre de l’Académie des sciences. En 1824, il est fait chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur [28].
Cependant, comme sa santé se dégrade, on lui conseille de réduire son activité et de ménager ses forces. Considérant son travail sur les phares comme son devoir le plus important, il démissionne de sa fonction d’examinateur à l’École Polytechnique et ferme ses cahiers de recherche. Pourtant, le 9 juin 1825, il est élu membre étranger de la Royal Society. Dans sa dernière note à l’Académie, lue le 13 juin 1825, il décrit le premier radiomètre et attribue, à tort, les forces de répulsion à la température. Bien que son travail de recherche soit arrêté, il continue à correspondre. En août ou septembre 1826, il trouve encore l’énergie pour répondre aux questions de John Herschel sur la théorie ondulatoire. C’est Herschel qui recommande à la Royal Society d’accorder la médaille Rumford à Fresnel.
Pendant l’hiver 1826-1827, son état s’aggrave et l’empêche de retourner à Mathieu au printemps. La séance de l’Académie du 30 avril 1827 est la dernière à laquelle il assiste. Début juin on le transporte à Ville-d’Avray [29]. Sa mère vient le rejoindre. Il est assisté aussi par son collègue et ami Alphonse Duleau, comme lui ingénieur des Ponts et Chaussées.
Le 6 juillet, Arago vient lui remettre la médaille Rumford qui lui a été accordé pour ses développements de la théorie ondulatoire appliquée aux phénomènes de la lumière polarisée et pour ses découvertes importantes et variées en optique physique.
Il meurt 8 jours plus tard, le 14 juillet 1827. Augustin Fresnel est inhumé au cimetière du Père-Lachaise.
Léonor Fresnel, polytechnicien et ingénieur du Corps des Ponts et Chaussée, est nommé à la Commission des phares où il succède à son frère Augustin et poursuit son œuvre.