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Narsaï

vendredi 17 décembre 2021, par ljallamion

Narsaï

Théologien-Poète

Il est l’un des principaux théologiens et poètes religieux chrétiens de langue syriaque du 5ème, auteur de référence du courant nestorien [1].

Narsaï est né à Ain Dulba, dans le district de Ma alta [2] dans les premières années du 5ème siècle. Devenu orphelin très jeune, il fut élevé par un oncle religieux au monastère de Kfar Mari, près de Beth Zabdaï [3]. Ces régions se trouvaient à l’époque sur le territoire du royaume perse des Sassanides [4], ce qui explique que Narsaï portait un nom pehlevi [5].

Il se rendit bientôt dans l’Empire romain pour devenir pendant 10 ans élève de l’école théologique d’Édesse [6], dirigée à l’époque par Qioré ; cette école, surnommée l’école des Perses, se consacrait notamment à la formation des cadres des Églises chrétiennes du royaume des Sassanides. Lorsque Qioré mourut, en 437, Narsaï lui succéda comme le Mpachqana [7].

Comme son prédécesseur, il s’inspira principalement dans son enseignement de l’exégèse de Théodore de Mopsueste, le grand maître de l’école théologique d’Antioche [8], dont Qioré avait commencé à traduire l’œuvre en syriaque ; l’évêque Ibas d’Édesse était aussi un disciple de Théodore. Mais la doctrine de celui-ci était opposée à celle de Cyrille d’Alexandrie, qui avait triomphé au concile d’Éphèse en 431 [9] ; l’évêque Ibas et l’école d’Édesse se trouvèrent de plus en plus isolés en Syrie [10]. Quand Ibas mourut, en 457, il fut remplacé par le fervent cyrillien Nonnus, et celui-ci, en 471, par un cyrillien encore plus intolérant, Qura ou Cyrus.

Narsaï fut alors obligé de quitter Édesse [11] pour se réfugier en territoire perse, à Nisibe [12] où il commença par se retirer dans un monastère.

Mais l’évêque de la ville, Barsauma, lui-même ancien élève de l’école d’Édesse, vint le tirer de sa retraite et lui proposa de reconstituer à Nisibe l’école des Perses. Ce nouvel établissement, l’École théologique de Nisibe [13] connut d’autant plus de succès que celui d’Édesse finit par être fermé en 489 par les autorités romaines, ce qui consacra le triomphe des partisans de Cyrille d’Alexandrie dans l’Empire romain d’Orient. Pendant ce temps, Barsauma, au concile de Beth Lapat en 484 [14], avait fait adopter la théologie de Théodore de Mopsueste comme doctrine officielle de l’Église de l’Orient. Désormais, l’école de Nisibe, dont Narsaï fut l’organisateur, devint le centre de formation théologique de cette Église.

Narsaï eut des relations tumultueuses avec Barsauma, mort en 491. Une brouille causée par la femme de l’évêque l’amena à se retirer pendant 6 ans à Kfar Mari, le monastère de son enfance, mais on vint le rechercher pour reprendre la tête de l’école. Narsaï présida à la rédaction du règlement de l’établissement qui entra en vigueur en 496 et qui a été conservé. Il mourut en 502 ou 503, ayant atteint à peu près l’âge de 100 ans. Deux autres membres de sa famille, ses petits-neveux Abraham et Jean, animèrent l’école de Nisibe pendant une grande partie du 6ème siècle.

Bien que la plus grande partie de l’œuvre de Narsaï soit perdue, il en reste environ 80 memré [15] : il s’agit d’un procédé pédagogique, inspiré d’Éphrem le Syrien, utilisé dans ses cours d’exégèse [16], et permettant aux élèves d’apprendre la leçon par cœur, voire de la chanter. Les memré conservés sont constitués de couplets en vers heptasyllabes ou dodécasyllabes. L’évêque du 13ème siècle Ébedjésusde Nisibe affirme que Narsaï avait composé en tout 360 memré en vers, auxquels s’ajoutaient des commentaires exégétiques en prose et un traité intitulé “La Corruption de la morale”. Mais aucun texte en prose ne subsiste.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du texte de Raymond Le Coz, Histoire de l’Église d’Orient, Éditions du Cerf, 1995.

Notes

[1] Doctrine hérétique de Nestorius qui reconnaissait les deux natures du Christ, humaine et divine, mais en niait la consubstantialité ; de ce fait même, l’hérésie niait que la Vierge puisse être appelée « Mère de Dieu ». Malgré sa condamnation par le concile d’Éphèse (431), le nestorianisme gagna la Perse, puis l’Asie, jusqu’à l’Inde et la Chine. Au 12ème siècle époque de son apogée, l’Église nestorienne comptait quelque 10 millions de fidèles. Aujourd’hui, seuls subsistent quelques dizaines de milliers de fidèles, principalement en Iraq et aux États-Unis, la majorité des nestoriens ayant rallié l’Église catholique à partir du 18ème siècle

[2] actuel gouvernorat de Dahuk, en Irak

[3] dans l’actuelle province turque de Sirnak

[4] Les Sassanides règnent sur le Grand Iran de 224 jusqu’à l’invasion musulmane des Arabes en 651. Cette période constitue un âge d’or pour la région, tant sur le plan artistique que politique et religieux. Avec l’Empire romano byzantin, cet empire a été l’une des grandes puissances en Asie occidentale pendant plus de quatre cents ans. Fondée par Ardashir (Ardéchir), qui met en déroute Artaban V, le dernier roi parthe (arsacide), elle prend fin lors de la défaite du dernier roi des rois (empereur) Yazdgard III. Ce dernier, après quatorze ans de lutte, ne parvient pas à enrayer la progression du califat arabe, le premier des empires islamiques. Le territoire de l’Empire sassanide englobe alors la totalité de l’Iran actuel, l’Irak, l’Arménie d’aujourd’hui ainsi que le Caucase sud (Transcaucasie), y compris le Daghestan du sud, l’Asie centrale du sud-ouest, l’Afghanistan occidental, des fragments de la Turquie (Anatolie) et de la Syrie d’aujourd’hui, une partie de la côte de la péninsule arabe, la région du golfe persique et des fragments du Pakistan occidental. Les Sassanides appelaient leur empire Eranshahr, « l’Empire iranien », ou Empire des Aryens.

[5] Le moyen perse ou pehlevi, est une langue iranienne qui était parlée à l’époque sassanide. Elle descend du vieux perse. Le moyen perse était habituellement écrit en utilisant l’écriture pehlevi. La langue était aussi écrite à l’aide du script manichéen par les manichéens de Perse.

[6] L’école théologique d’Édesse fut une des grandes écoles théologiques des premiers siècles du christianisme et occupe une place importante dans l’histoire du christianisme de langue syriaque. À partir de 363, elle prit le nom d’École des Perses. En 432, l’école d’Édesse se déchire entre les partisans d’Ibas, chef de l’école (fidèle aux idées de Théodore de Mopsueste discréditées par le concile d’Éphèse) et ceux de Rabbula, évêque d’Édesse, qui soutiennent les thèses de Cyrille d’Alexandrie.

[7] l’Interprète des textes bibliques, au sein de l’école

[8] L’école théologique d’Antioche fut une des grandes écoles théologiques des premiers siècles du christianisme. Sa méthode théologique était historico-littérale. Elle s’opposa à l’école théologique d’Alexandrie qui prônait une méthode allégorique. Dans le débat christologique des 4ème et 5ème siècles, l’école d’Antioche s’attacha à souligner la dualité des natures, divine et humaine, dans le Christ. Considérée de tendance nestorienne, l’école perdit de son importance après le concile de Chalcédoine en 451.

[9] Le concile d’Éphèse, 3ème concile œcuménique de l’histoire du christianisme, est convoqué en 430 par l’empereur romain de Constantinople Théodose II. Le concile condamne le 22 juin 431 le nestorianisme comme hérésie, et anathématise et dépose Nestorius comme « hérésiarque ». À l’inverse des conciles de Nicée en 325 et de Constantinople en 381 dont les questions théologiques portaient principalement sur l’unicité de Dieu, le concile d’Éphèse marque un tournant dans le dogme en définissant l’union hypostatique des deux natures, humaine et divine, du Christ. Le concile d’Éphèse marque donc pour l’Église l’explicitation et la proclamation du Christ homme et Dieu. Il fixe également le dogme de la Vierge Marie Théotokos (« Mère de Dieu »).

[10] La Syrie fut occupée successivement par les Cananéens, les Phéniciens, les Hébreux, les Araméens, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs, les Arméniens, les Romains, les Nabatéens, les Byzantins, les Arabes, et partiellement par les Croisés, par les Turcs Ottomans et enfin par les Français à qui la SDN confia un protectorat provisoire pour mettre en place, ainsi qu’au Liban, les conditions d’une future indépendance politique.

[11] Şanlıurfa souvent appelée simplement Urfa est une ville du sud-est de la Turquie. Elle fut d’abord nommée Urhai puis Édesse (ou Édessa), puis Urfa et aujourd’hui Şanlıurfa ou Riha en kurde. Le nom antique d’Édesse est Osroé, qui provient peut-être du nom du satrape Osroès qui gouverna la région. Selon la légende, Adam et Ève séjournèrent dans la cité, qui serait la ville natale d’Abraham et qui abriterait la tombe de sa femme Sarah.

[12] Ville située aux confins des empires romain et perse, passée plusieurs fois de l’une à l’autre domination, située aujourd’hui dans le sud-est de la Turquie

[13] L’école théologique de Nisibe fut une des grandes écoles théologiques des premiers siècles du christianisme. Elle fut la continuatrice de l’école d’Édesse (dite aussi école des Perses) après la fermeture de celle-ci en 489. Elle occupe une place importante dans l’histoire de l’Église de l’Orient.

[14] Le concile de Beth Lapat (aujourd’hui Gundishapur, en Iran) est un concile de l’Église de l’Orient qui eut lieu en 484. Barsauma, métropolite de Nisibe, qui le présidait, y fit prononcer la déposition du catholicos Babowaï, qui répondit en excommuniant les participants. Ce concile adopta la théologie de Théodore de Mopsueste, inspiratrice du nestorianisme, comme doctrine officielle de l’Église de l’Orient, en rupture avec toutes les Églises de l’Empire byzantin. La conséquence en fut une séparation effective de l’Église de l’Orient de l’Église byzantine, dans l’objectif politique de plaire aux rois perses, alors zoroastriens. On y désapprouva aussi le célibat du clergé, qui allait à l’encontre des coutumes persanes de l’époque. Ce concile n’empêcha d’ailleurs pas une nouvelle persécution anti-chrétienne qui eut lieu peu après. Quelques participants rejoignirent le monophysisme, et, dans le synode de 544 réuni par le catholicos Mar Aba 1er, certaines décisions, notamment l’autorisation du mariage des évêques, furent annulées.

[15] c’est-à-dire homélies en vers

[16] L’exégèse biblique est une exégèse, étude approfondie d’un texte et en particulier d’un texte sacré, appliquée à la Bible. On appelle exégète une personne qualifiée pour ce type de travail. Le Talmud, qui regroupe la Michna (les lois) et la Guemara (commentaires exégétiques) fait lui-même l’objet d’études et d’analyses, c’est-à-dire d’exégèse. L’exégèse juive ne s’arrête donc pas avec la rédaction du Talmud, mais continue pendant le Moyen Âge et la Renaissance.