Lucius Tettius Iulianus
Sénateur et général romain du 1er siècle-Consul suffect en 83
Victorieux des Daces [1] de Décébale à la première bataille de Tapae [2] en 88 lors de la guerre dacique de Domitien.
En 69, il est légat [3] de la legio VII Claudia en Mésie [4], sous le gouverneur Marcus Aponius Saturninus . Il reçoit les ornements consulaires de l’empereur Othon pour ses succès contre les Sarmates [5].
Lorsque les armées illyriennes [6] se déclarent fidèles à Vespasien, ainsi que deux des trois légions mésiques dont celle que Tettius Iulianus commande, Aponius Saturninus, gouverneur de Mésie, envoie un centurion assassiner Tettius Iulianus. Tacite nous dit qu’il s’agit d’une vengeance personnelle sous couvert d’un motif politique.
En 70, il avait été nommé préteur [7]. Mais sa magistrature lui est retirée sous prétexte qu’il a abandonné sa légion lorsqu’elle passe sous les drapeaux de Vespasien, le nouvel empereur. La préture lui est rendue peu de temps après, une fois qu’on lui reconnaît avoir rejoint Vespasien.
Tettius Iulianus, apprenant le danger, prend la fuite et n’est plus mêlé à la guerre civile, reculant sous différents prétextes son arrivée au camp de Vespasien.
Sous Titus, il est légat autour de 81 en Numidie [8], année à laquelle un camp romain est érigé à Lambaesis [9] pour la legio III Augusta. Il reste légat en l’an 82 sous le nouvel empereur, Domitien.
Il est consul suffect [10] en 83, succédant à l’empereur Domitien, consul éponyme [11] de l’année, et précédant Marcus Cornelius Nigrinus , un autre suffect.
En l’an 85, les Daces envahissent la Mésie romaine dont il tue le gouverneur, Caius Oppius Sabinus . Domitien réunit une armée et repousse l’invasion, nommant ensuite le préfet du prétoire [12] Cornelius Fuscus à la tête des opérations et l’envoyant en 86 en Dacie pour une expédition punitive. Ce dernier est sévèrement battu et tué près vraisemblablement de Tapae [13].
En 88, Domitien, après un an de préparatifs, nomme comme nouveau commandant en chef, Tettius Iulianus. Celui-ci traverse le Danube, probablement en face de la forteresse légionnaire de Viminacium [14], réussit, à l’automne suivant, à rejoindre la plaine de Caransebeş [15], en face des Portes de Fer [16], après une marche d’approche épuisante sur plusieurs colonnes, rendue difficile par les attaques continues des Daces.
Près de la localité appelée Tapae se déroule une grande bataille, suivie par la défaite des Daces. Iulianus, toutefois, ne marche pas sur la capitale ennemie de Sarmizegetusa [17]. Selon Dion Cassius, il est retenu par un stratagème de Décébale qui aurait coupé des troncs d’arbre en les habillant en soldats bien armés et après les avoir positionnés en défense de la capitale de la Dacie, réussit à conduire les Romains à renoncer à avancer en territoire ennemi.
On peut penser qu’il y a d’autres motifs pour lesquels Tettius Iulianus reporte ultérieurement l’avance. La raison principale serait la difficulté de traverser les Portes de Fer à une période proche de l’hiver, et d’être obligé de supporter un séjour en territoire dace jusqu’au printemps suivant, en préparation d’une marche l’année suivante sur Sarmizegetusa. L’année suivante, l’empereur doit faire face à la révolte d’Antonius Saturninus et à une guerre contre les Marcomans [18], les Quades [19] et les Sarmates Iazyges [20]. Ces événements provoquent inévitablement un retrait des armées romaines de la Dacie et la stipulation d’un traité de paix.
Tettius Iulianus est en outre gouverneur de la Mésie supérieure [21] à partir de 88, la province ayant été subdivisée en deux après 85.
Notes
[1] La Dacie est, dans l’Antiquité, un territoire de la région carpato-danubiano-pontique correspondant approximativement à ceux des actuelles Roumanie, Moldavie et des régions adjacentes.
[2] Les batailles de Tapae opposent les Daces de Décébale à l’Empire romain sous les règnes de Domitien et Trajan sur le lieu d’un passage vers la capitale dace de Sarmizégétuse et les forteresses daces des monts d’Orastie.
[3] Titre porté par les représentants officiels de la Rome antique. Les ambassadeurs étaient des légats du Sénat romain. Sous la République romaine, les consuls, proconsuls, préteurs en campagne pouvaient charger temporairement des légats du commandement de la cavalerie, des réserves ou même d’une légion entière et de plusieurs légions. Sous l’Empire romain, à partir d’Auguste, la fonction de ces légats militaires devint permanente. Désignés par l’empereur, ils le représentaient dans les provinces et les légions. On distingua alors les légats consulaires et les légats prétoriens, qui gouvernaient les provinces « impériales » et exerçaient le pouvoir militaire, et les légats de légion, officiers expérimentés, de rang sénatorial, qui étaient chef d’une légion. Le titre de légat se transmit de l’Empire romain à l’Église catholique ; il fut porté dans celle-ci par les envoyés personnels du souverain pontife. Ces envoyés sont généralement des cardinaux.
[4] La Mésie est une ancienne région géographique et historique située au sud du cours inférieur du Danube, dans les actuelles Serbie, Bulgarie (nord) et Roumanie (extrémité sud-est).
[5] Les Sarmates sont un ancien peuple scythique de nomades des steppes, appartenant sur le plan ethno-linguistique au rameau iranien septentrional du grand ensemble indo-européen. Ils étaient établis à l’origine entre le Don et l’Oural. C’est aux 3ème et 2ème siècles av. jc que les Sarmates supplantent ces derniers en Ukraine. Leur poussée vers l’ouest se poursuit jusqu’au 1er siècle. À partir du 1er siècle av. jc, alors qu’ils dominent la steppe européenne, les Iazyges, les Urges, les Roxolans et les Scythes royaux, qui reconnaissaient l’autorité d’un roi, vont former une coalition. Des lanciers sarmates sont recrutés par Rome au cours du 2èmesiècle. L’intégration de ces unités auxiliaires se traduit par l’adoption de l’armement et des techniques militaires steppiques ainsi que par la création d’unités spécialisés. À partir du 3ème siècle une partie des Sarmates fut soumise aux Goths. Dès lors, ils font partie d’une coalition de peuples germaniques et non-germaniques, connue sous le nom de culture de Tcherniakov. À la fin du 4ème siècle, sous la pression des Huns certains groupes de Sarmates prirent part aux migrations et s’installèrent sur le territoire romain.
[6] L’Illyrie est un royaume fondé à Shkodra, Albanie actuelle, en 385 av.jc, par le roi Bardylis. Annexée par Rome durant l’Antiquité, elle désignera plus tard une région historique des côtes de la rive orientale de l’Adriatique, correspondant à peu près actuellement à l’ouest de la Croatie, de la Slovénie, de la Bosnie-Herzégovine, du Montenegro de l’Albanie et du Kosovo.
[7] Le préteur est un magistrat de la Rome antique. Il était de rang sénatorial, pouvait s’asseoir sur la chaise curule, et porter la toge prétexte. Il était assisté par 2 licteurs à l’intérieur de Rome, et 6 hors du pomerium de l’Urbs. Il était élu pour une durée de 1 an par les comices centuriates. La fonction de préteur fut créée vers 366 av. jc pour alléger la charge des consuls, en particulier dans le domaine de la justice. Le premier préteur élu fut le patricien Spurius Furius, le fils de Marcus Furius Camillu. Égal en pouvoir au consul, auquel il n’a pas de compte à rendre, le préteur prêtait le même serment, le même jour, et détenait le même pouvoir. À l’origine, il n’y en avait qu’un seul, le préteur urbain, auquel s’est ajouté vers 242 av. jc le préteur pérégrin qui était chargé de rendre la justice dans les affaires impliquant les étrangers. Cette figure permit le développement du ius gentium, véritable droit commercial, par contraste avec le ius civile applicable uniquement aux litiges entre citoyens romain. Pour recruter, pour former ou pour mener des armées au combat ; sur le terrain, le préteur n’est soumis à personne. Les préteurs ont aussi un rôle religieux, et doivent mener des occasions religieuses telles que sacrifices et des jeux. Ils remplissent d’autres fonctions diverses, comme l’investigation sur les subversions, la désignation de commissionnaires, et la distribution d’aides. Lors de la vacance du consulat, les préteurs, avant la création des consuls suffects, pouvaient remplacer les consuls : on parle alors de préteurs consulaires.
[8] La Numidie est d’abord un ancien royaume berbère, qui alterna ensuite entre le statut de province et d’état vassal de l’Empire romain. Elle est située sur la bordure nord de l’Algérie moderne, bordé par la province romaine de Maurétanie, de nos jours l’Algérie et le Maroc, à l’ouest, la province romaine d’Afrique, la Tunisie, à l’est, la mer Méditerranée vers le nord , et le désert du Sahara vers le sud. Ses habitants étaient les Numides.
[9] Lambèse, officiellement Lambèse-Tazoult, est une ville militaire d’Afrique romaine se situant au nord-est de l’Algérie sur le territoire de la commune de Tazoult dans la région des Aurès, à 10 km à l’est de Batna, sur la route de Timgad et de Khenchela.
[10] Parfois, un consul décède ou démissionne avant la fin de son mandat de douze mois. Le consul restant rétablit la collégialité par l’élection intermédiaire si le délai restant le permet ou par la désignation directe d’un consul suffectus (du participe passé du verbe sufficere, « remplacer »). Ce consul entre en fonction immédiatement, il a les mêmes privilèges et les mêmes pouvoirs que le consul remplacé mais il n’est en charge que pour la durée du mandat qui reste à couvrir. Enfin, le consul suffect ne donne pas son nom à l’année, à l’inverse du consul dit ordinaire.
[11] Qui donne son nom à l’année
[12] Le préfet du prétoire (præfectus prætorio) est l’officier commandant la garde prétorienne à Rome, sous le Haut Empire, et un haut fonctionnaire à la tête d’un groupe de provinces, la préfecture du prétoire, dans l’Antiquité tardive.
[13] village de Valachie près de l’actuelle Bucova
[14] Viminacium était sous l’Empire romain une des villes les plus importantes de la province de Mésie (aujourd’hui la Serbie), et était la capitale de la Mésie supérieure. Bâtie au 1er siècle de notre ère sur la voie Via Militaris, elle servait de camp de base à la Legio VII Claudia, et abrita quelque temps la Legio IV Flauia Felix. Elle a pu compter à son apogée jusqu’à 40 000 habitants, et fut de ce fait une des plus importantes villes romaines et centre militaire des Balkans dans la période du 1er au 4ème siècle. Détruite en 440 par Bleda, roi des Huns, elle fut reconstruite partiellement sous le règne de Justinien, et fut définitivement détruite lors des invasions Slaves de la région au 6ème siècle.
[15] Caransebes est une ville du Banat roumain, dans le județ de Caras-Severin. Construite à la confluence du Timis et du Sebes, elle se situe au pied des Monts du Banat. C’est un important nœud ferroviaire roumain.
[16] Les Portes de Fer sont une gorge du Danube. Le canyon des Portes de Fer a été creusé il y a environ cinq millions d’années, au Messinien, avant la série de glaciations et de phases inter-glaciaires commencée depuis deux millions d’années, dont l’alternance a cependant aussi contribué à sa morphologie actuelle. Au début du Messinien, le proto-bas-Danube, qui se déversait dans le bassin pontique, commençait ici
[17] Sarmizégétuse ou Sarmizegetusa Regia en latin est une cité antique érigée dans les monts d’Orăștie, dans le village de Grădiștea de Munte (commune d’Orăștioara de Sus, județ de Hunedoara, Transylvanie, Roumanie). Sous le règne du roi Décébale, elle fut la capitale des Daces (les Thraces du nord, dits aussi Gètes par les Grecs). L’empereur romain Trajan en fit le siège en 101-102 dans sa première campagne contre Décébale.
[18] Les Marcomans (latin m. marcomani) sont un peuple germanique occidental, connu notamment grâce à l’historien romain Tacite qui les situe entre Naristes et Quades, dans l’actuelle Moravie. Au début du 1er siècle de l’ère chrétienne, les Marcomans créent un royaume éphémère « centré sur la Bohême qui venait d’être enlevée aux Celtes Boïens » ; leur plus grand roi, Marobod avait été otage à Rome durant sa jeunesse. C’est également vers cette époque que naît l’alphabet germanique runique, ou Futhark, dont les Marcomans sont peut-être les auteurs.
[19] Les Quades sont un peuple germanique occidental, peut-être d’origine germano-celtique, connu notamment grâce à l’historien romain Tacite. Les Suèves ont longtemps été confondus avec les Quades, en raison d’une confusion avec le terme « souabe ». En réalité, les Quades sont surtout à rapprocher de leurs plus proches voisins germaniques, les Marcomans, avec lesquels ils partagèrent nombre de combats contre Rome. L’origine exacte des Quades est inconnue. Ils s’établirent très tôt dans l’actuelle Moravie. Au 2ème siècle, les Quades chassèrent les Daces qui, établis au sud de l’actuelle Slovaquie, avaient été soumis par Rome à la fin du siècle précédent. Les Quades exercèrent alors une pression constante sur le limes danubien avec leurs voisins du sud. Ayant franchi le Danube en 167, puis se heurtant aux armées romaines, ils repassèrent le fleuve en 168, après avoir demandé la paix à Rome. Menaçant à nouveau les frontières de l’empire, sous la conduite de leur roi Ariogaesus, ils furent défaits sur leur propre territoire par Marc-Aurèle en 169, dans une coalition malheureuse avec les Marcomans. Soumis pendant un temps, ils se révoltèrent en 177. Cela entraîna le retour de Marc Aurèle dans les régions danubiennes pour une nouvelle guerre qui vit l’installation provisoire de camps militaire romain en territoire barbare.
[20] Les Iazyges ou Jazyges ou Yaziges sont, comme les Roxolans, une des branches occidentales des Sarmates, un peuple des steppes d’origine scythique selon Hérodote, donc de langue iranienne. Ils apparaissent autour de la Méotide et font partie des premiers groupes sarmates à avoir migré vers l’ouest. La force principale des Iazyges réside dans leur archerie et leur cavalerie très mobile.
[21] Initialement peuplée par des tribus thraces, triballes et celtes, la Mésie accueille aussi des colons grecs à partir du 8ème siècle av. jc, aux bouches du Danube et sur les côtes du Pont-Euxin (mer Noire). Sous l’Empire romain qui la gouverne durant 6 siècles, les populations sont romanisées notamment autour des principales villes : En Mésie supérieure : Singidunum, Viminacium, Remesiana, Bononia, Ratiaria, Naissus, Scupi et Ulpiana ; En Mésie inférieure : Oescus, Novae, Nicopolis ad Istrum, Durostorum, Marcianopolis, Odessus, Callatis, Tomis, Argamum, Troesmis et Noviodunum.