Polycrate d’Éphèse
Evêque d’Éphèse à la fin du 2ème siècle
Il a dû naître vers 130 puisque, sous le pontificat romain de Victor 1er qu’on situe généralement vers 189-199, il nous dit qu’il a 65 ans. Sa famille devait déjà être chrétienne depuis un certain temps, car il affirme qu’il est le 8ème évêque qui en est issu.
Nous le connaissons par la lettre qu’il rédigea à l’intention du pape Victor à l’occasion de la querelle pascale, pour réaffirmer avec force la volonté des Quartodécimans [1] de ne rien changer à leurs traditions.
À la faveur du grand prestige dont jouit l’Église de Rome à cette époque, Victor aurait voulu contraindre toute la chrétienté à suivre l’usage occidental qui impose de fêter la Résurrection un dimanche. Son initiative, pour laquelle il s’appuie sur la tradition apostolique, provoque des réunions d’évêques un peu partout en Orient : à Jérusalem [2] autour de Narcisse de Jérusalem et de Théophile de Césarée, dans le Pont [3] autour de Palmas, à Corinthe [4] autour de l’évêque Bachylle, dans l’Osroène [5] dont les évêques se réunissent sans doute à Édesse [6]. Tous ces synodes rejettent l’appel de Victor et confirment la tradition orientale, héritière de la Pâque juive, qui veut que Pâques se fête le 14ème jour de la lune, quel que soit ce jour dans la semaine.
Polycrate à qui son siège johannique, son âge ou son ancienneté doivent donner un prestige particulier a été chargé par Victor d’assembler les évêques d’Asie Mineure [7]. À l’issue de la réunion, ceux-ci le chargent à leur tour de répondre à Victor en leur nom.
Eusèbe nous a conservé l’essentiel de cette lettre qui a dû être largement répandue en Orient. Polycrate le prend de haut. Il ignore Victor et s’adresse aux frères de l’Église de Rome. Il rappelle les grands astres qui reposent en Asie et ressusciteront au jour de la parousie [8] du Seigneur quand il viendra des cieux avec gloire et recherchera tous les saints : l’apôtre Philippe et ses 2 filles à Hiérapolis [9], saint Jean à Éphèse [10] même, les martyrs Polycarpe et Thraséas de Smyrne [11], Sagaris le martyr de Laodicée et Méliton de Sardes qui a vécu entièrement dans le Saint-Esprit.
On sait que Victor, furieux, voulut excommunier tout l’Orient. En Occident même, des évêques dont Irénée de Lyon tentèrent de le calmer et de faire appel au bon sens et à la charité. En vain, semble-t-il. À la mort de Victor, en 198 ou 199, le problème restait entier et les Quartodécimans fidèles à leur tradition.
Notes
[1] La Pâque quartodécimaine est une fête religieuse qui a été pratiquée essentiellement jusqu’à la fin du 4ème siècle par les Églises chrétiennes d’Asie. Celles-ci célébraient la Pâque au soir du quatorze Nissan (qui débute au coucher du soleil comme tous les jours des calendriers hébraïques), c’est-à-dire la veille de la Pâque juive, alors que les Églises liées à Rome fêtaient Pâques le dimanche suivant. Nissan (dénommé Aviv avant l’exil à Babylone) est le premier mois du calendrier juif, dont les dates des jours commencent avec le coucher du soleil et se terminent avec le coucher du soleil suivant. Le premier jour du mois de Nissan était déterminé par l’observation du lever de la nouvelle lune visible par les prêtres du temple antique à Jérusalem, première nouvelle lune suivant l’équinoxe de printemps. La date de la Pâque du calendrier juif actuel peut différer de la Pâque des Hébreux antiques et des chrétiens du 1er siècle parce que, d’une part, le calendrier juif actuel est basé sur la nouvelle lune astronomique alors que le lever de la nouvelle lune ne peut être visible à Jérusalem que 18 à 30 heures plus tard, et que, d’autre part, la majorité des juifs actuels célèbrent la Pâque le 15 Nissan. De nos jours, les Églises chrétiennes célèbrent Pâques à une date indépendante du calendrier juif, selon les prescriptions du Concile de Nicée.
[2] Ville du Proche-Orient que les Israéliens ont érigée en capitale, que les Palestiniens souhaiteraient comme capitale et qui tient une place centrale dans les religions juive, chrétienne et musulmane. La ville s’étend sur 125,1 km². En 130, l’empereur romain Hadrien change le nom de Jérusalem en « AElia Capitolina », (Aelius, nom de famille d’Hadrien ; Capitolina, en hommage au dieu de Rome, Jupiter capitolin) et il refonde la ville. Devenue païenne, elle est la seule agglomération de la Palestine à être interdite aux Juifs jusqu’en 638. Durant plusieurs siècles, elle est simplement appelée Aelia, jusqu’en 325 où Constantin lui redonne son nom. Après la conquête musulmane du calife Omar en 638, elle devient Iliya en arabe, ou Bayt al-Maqdis (« Maison du Sanctuaire »), équivalent du terme hébreu Beit ha-Mikdash (« Maison sainte »), tous deux désignant le Temple de Jérusalem, ou le lieu du voyage et d’ascension de Mahomet, al-Aqsa, où se situait auparavant le temple juif
[3] Le Pont est une région historique de la Turquie et, selon les limites que lui accordent certains, de la Géorgie. Sa ville principale est historiquement Trabzon (Trébizonde ou de Trapézonte, mais Samsun (Amisos) est aujourd’hui la plus peuplée. Ce pays fut colonisé par les Grecs venus d’Ionie dès l’époque archaïque et fut par la suite un foyer isolé de culture hellénique sous une forme allogène jusque bien après la conquête ottomane du 15ème siècle. La région fut le centre de deux puissants États au cours de l’histoire : le royaume du Pont (période hellénistique) et l’empire de Trébizonde (bas Moyen Âge). Malgré un intense processus de turquisation depuis le 20ème siècle, cette région peut encore être considérée aujourd’hui comme le territoire au particularisme le plus marqué du pays, après le Kurdistan.
[4] Corinthe était l’une des plus importantes cités de la Grèce antique, située dans les terres au pied de son acropole, l’Acrocorinthe. Elle abritait autrefois un célèbre temple d’Aphrodite.
[5] L’Osroène est une région du sud-est de l’Asie Mineure (nord-ouest de la Mésopotamie), bornée au nord par les Monts Taurus, au sud et à l’est par le Chaboras (rivière Khabur), à l’ouest par l’Euphrate, et qui eut pour capitale Édesse. L’Osroène a acquis son indépendance à la suite de l’effondrement de l’Empire séleucide. Elle fut de 132 av. jc à 216 apr. jc un petit royaume indépendant, dont les souverains portaient le plus souvent le nom d’Abgar ou de Manu. Il servit de tampon entre l’Empire romain et celui des Parthes. La région fut conquise par l’empereur romain Trajan. Sous Hadrien elle retrouve une certaine autonomie, mais est à partir de ce moment un royaume client de l’Empire romain. En 163, elle s’allie avec l’Empire parthe contre les Romains. Elle devient une province romaine en 216.
[6] Édesse était la capitale de l’Osroène, un petit État d’abord indépendant de 132 av. jc à 216 ap. jc, devenu province romaine en 214, puis incorporé au diocèse d’Orient. Vers 204, Abgar IX se convertit au christianisme. C’est, dans l’histoire du christianisme, le premier roi chrétien. À la suite de cette conversion, le christianisme syriaque se développa autour d’Édesse et de nombreux monastères furent construits, en particulier celui de la colline, le Torâ d-Ourhoï. En 216, l’empereur Romain Caracalla s’empara définitivement du petit royaume, qui devint une province romaine. En 262, le roi des Perses sassanides Chahpuhr Ier occupa brièvement Édesse puis l’abandonna du fait de l’arrivée du roi de Palmyre Odenath II venu défendre la ville. Celui-ci, allié de l’empereur romain Gallien, avait en charge la défense de ses territoires en Orient. À partir de 250, Édesse, où le christianisme avait bien progressé, accueillit les chrétiens chaldéens, chassés de Perse par les Sassanides.
[7] L’Anatolie ou Asie Mineure est la péninsule située à l’extrémité occidentale de l’Asie. Dans le sens géographique strict, elle regroupe les terres situées à l’ouest d’une ligne Çoruh-Oronte, entre la Méditerranée, la mer de Marmara et la mer Noire, mais aujourd’hui elle désigne couramment toute la partie asiatique de la Turquie
[8] La parousie est un concept de la théologie chrétienne qui désigne originellement à la fois la présence invisible du Christ dans le monde depuis la création et son retour sur la Terre à la fin des temps. Avec les années, la notion s’est limitée à sa signification eschatologique, c’est-à-dire, à la fin des temps, la « seconde venue » du Christ sur la Terre, la première étant sa naissance. Cette venue définitive se distingue de la Résurrection de Jésus, qui comporte une double promesse, celle de la venue en gloire (sa parousie) et celle de la résurrection des morts. Chez les chrétiens des premières générations, la parousie est une constante de la prédication apostolique. Paul de Tarse, dans la Première épître aux Corinthiens, écrite vers 55, espère être encore en vie au moment de la parousie, à tel point qu’il conclut sa lettre par l’exclamation maranatha, « Viens, Seigneur ! » (1 Co 16:22), également présente à la fin de l’Apocalypse (Ap 22:20). C’est également un thème récurrent dans les Actes des Apôtres, écrits une cinquantaine d’années après la Crucifixion, à une époque où la mort des premiers chrétiens commence à soulever des questions sur l’imminence de cette « seconde venue » et sur le sort des corps et des âmes.
[9] Hiérapolis est une station thermale créée vers la fin du 2ème siècle av. jc par la dynastie des Attalides. Elle est située au sommet de la colline de Pamukkale, bien connue pour ses sources chaudes et ses concrétions calcaires, à 15 km de la ville de Denizli en Turquie. La cité antique de Hiérapolis atteste du rayonnement de la présence hellénistique, puis romaine en Asie Mineure.
[10] Éphèse est l’une des plus anciennes et plus importantes cités grecques d’Asie Mineure, la première de l’Ionie. Bien que ses vestiges soient situés près de 7 kilomètres à l’intérieur des terres, près des villes de Selçuk et Kuşadası dans l’Ouest de l’actuelle Turquie, Éphèse était dans l’Antiquité, et encore à l’époque byzantine, l’un des ports les plus actifs de la mer Égée ; il est situé près de l’embouchure du grand fleuve anatolien Caystre. L’Artémision, le grand sanctuaire dédié à Artémis, la déesse tutélaire de la cité, qui comptait parmi les Sept merveilles du monde et auquel Éphèse devait une grande part de sa renommée, était ainsi à l’origine situé sur le rivage.
[11] aujourd’hui Izmir, en Turquie