François Jullienne en se retirant des affaires en 1729, laisse la direction des manufactures dites royales de teintures et de draps fins [1] créées avec son beau-frère Jean Glucq à proximité de la Manufacture Royale des Gobelins [2], à leur neveu, Jean Jullienne, qu’ils avaient choisi et dont ils avaient assuré la formation.
Celui-ci, fils d’un marchand de drap de la rue Saint Honoré [3], obtint un brevet de compagnon le 6 avril 1712, sa maîtrise le 9 août 1719 après avoir pensé devenir peintre et graveur. Mais son condisciple Watteau, rencontré en même temps qu’ Antoine Dieu et François Lemoyne à l’Académie du Louvre et à l’école de dessin des Gobelins l’aurait dissuadé de persévérer, alors que leur professeur François de Troy lui trouvait quelques aptitudes.
Jean Jullienne donna une impulsion extraordinaire aux établissements de ses oncles réunis en 1721, qu’il fit connaître à l’étranger et dont il fit renouveler régulièrement les privilèges. En 1765, Duhamel du Monceau mentionne la visite de ses ateliers dans son traité l’Art de la draperie destiné à l’Académie des sciences [4].
Travailleur infatigable, Jullienne devint immensément riche, son œil exercé depuis l’enfance et un goût très sûr lui permirent de conseiller les plus grands amateurs de l’époque et la fréquentation des salons et des ventes publiques l’amena plus tard à se constituer une splendide collection.
Dès 1717 et jusqu’en 1735, il achète près de 40 toiles mais n’en conservera que 8, dont “L’Amour désarmé et Mezzetin” et rassemble environ 450 dessins d’Antoine Watteau pour les faire graver par 36 artistes dont son ami le comte de Caylus Anne Claude de Caylus , son parent Jean-Baptiste de Montullé , Benoît Audran et son fils Benoît Audran dit le Jeune , Charles-Nicolas Cochin père , François Boucher alors âgé de 19 ans, Tardieu, Pierre Aveline , Carl Van Loo , etc. ; il consacre alors une partie de sa fortune à diffuser l’œuvre de l’ami disparu prématurément en publiant en 1728 2 volumes de Figures des différents caractères de paysages et d’études dessinées d’après nature par Antoine Watteau, tirés des plus beaux cabinets de Paris [5], en préface desquels il rédige un Abrégé de la vie de Watteau.
Puis en 1736, deux autres des estampes gravées d’après les tableaux et dessins de feu Antoine Watteau [6]. Outre 17 planches, on lui doit 5 eaux-fortes d’après Restout [7] conservées à la Bibliothèque nationale.
Ses témoignages et indications seront d’autant plus précieux pour inventorier les multiples œuvres de Watteau que certaines furent perdues ou détruites à jamais ; rarement datées et signées, elles furent néanmoins répertoriées grâce à ce laborieux travail de reproduction sur cuivre.
En septembre 1736, il est anobli par lettres patentes et fait chevalier de l’ordre de Saint-Michel [8]. Le 31 décembre 1739, il fit don à l’Académie de peinture et sculpture [9] des 4 volumes et fut nommé dès janvier 1740 conseiller honoraire et amateur de la savante compagnie qu’il combla de dons et dont il suivit assidûment les séances.
Watteau a peint son tableau “Rendez-vous de chasse” lors d’un séjour dans sa maison de campagne d’Ivry [10] revendue en 1739 pour acheter la propriété du peintre Noël Hallé à Passy qu’il cédera en 1757.
Toute sa vie, il protégea des artistes en leur offrant et en leur faisant passer des commandes ; il les abrita parfois chez lui et s’attacha à les faire connaître avec plus ou moins de succès.
Sa célèbre collection, exposée dans l’orangerie attenante à son hôtel de la rue de Bièvre, sera en partie dispersée dans le grand Salon carré du Louvre à partir du 30 mars 1767 jusqu’à la fin juillet ; ce fut un évènement mondain qui rassembla aussi de nombreux commissionnaires venus de toute l’Europe.
L’expert Pierre Rémy rédigea à cette occasion le Catalogue raisonné des tableaux, dessins et estampes, Claude-François Julliot le Catalogue des porcelaines et laques, comprenant à eux deux 1679 numéros. Ces catalogues de vente furent imprimés et publiés dès février 1767 par les soins de son neveu et successeur Jean-Baptiste-François de Montullé . Les premiers catalogues de vente avaient été introduits en 1733 par Edme-François Gersaint , également inventeur du « catalogue raisonné » dès 1736.
Une seconde vente d’objets d’art, dont le catalogue avait été rédigé par Jean-Baptiste Pierre Lebrun, eut lieu le 15 novembre 1778 et les jours suivants à l’hôtel d’Aligre [11], après la mort survenue le 13 mai précédent de Mme de Jullienne, née Marie Louise de Brécey, épousée le 22 juillet 1720.
L’ancienne paroisse Saint Hippolyte [12] dont il était marguillier [13] d’honneur, bénéficia de ses libéralités ainsi que les nombreux pauvres du faubourg Saint-Marcel [14] qui suivirent son cercueil en pleurant avant l’inhumation au pied de l’autel de la chapelle Saint-Michel, le 21 mars 1766.
Dans la chapelle sainte Anne de l’église Saint-Médard [15], se trouve depuis un tableau La religion invitant à ses saints mystères, qui fut commandé à Charles-Michel-Ange Challe par Jean de Jullienne qui avait fait exécuter par ailleurs une série de 10 grandes peintures illustrant la vie de saint Hippolyte par Simon Julien .
Jean de Jullienne avait racheté à son cousin germain Claude Glucq le testament artistique de Watteau, l’Enseigne de Gersaint, peint vers la fin de l’année 1720, où ils figureraient tous deux aux côtés de M. et Mme Gersaint. Il céda cette toile en 1744 à l’agent de Frédéric II de Prusse , le comte Rothenburg.