Né à Dijon [1], fils d’un maître-tonnelier dijonnais qui lui fit commencer ses études sous la direction du réformateur de l’enseignement primaire, Joseph Jacotot , puis il entreprend des études de droit après avoir été un moment enseignant.
Reçu avocat à force de persévérance, il s’inscrivit d’abord au barreau de Dijon, il plaide sans grand enthousiasme, semble-t-il : il s’intéresse en effet surtout à la politique. Ses prises de position en faveur de Napoléon pendant les Cent-Jours [2] le contraignent à fuir sa ville natale pour se réfugier à Paris.
Il s’affilia à la Charbonnerie française [3] qui conspirait contre la Restauration [4], devint membre du comité directeur de cette société, Ses qualités et son zèle lui valent de se voir confier un rôle de dirigeant.
Il fut quelque temps directeur du Journal de Jurisprudence, de Dalloz, et essaya de fonder une agence d’affaires. Grâce à ses relations et à ses lectures, il se forge peu à peu une doctrine, qu’il expose par la suite dans de nombreuses publications. Il ne cesse dès lors de s’opposer par la parole et par l’écrit à la monarchie restaurée de Louis XVIII , puis de Charles X .
Il participe activement à l’insurrection de juillet 1830 [5]. Il devient, pour peu de temps, secrétaire du ministre de la Justice Jacques Charles Dupont de l’Eure , qui le nommera plus tard procureur général en Corse à Bastia [6].
Mais, partisan d’une révolution moins anodine que celle qui venait de s’opérer, il prononça, dès son arrivée à Bastia, un discours sur les améliorations à apporter à la Charte et se distingue en défendant de nombreux accusés politiques et en professant des idées estimées trop démocratiques par le pouvoir, ce qui lui vaut d’être révoqué le 31 mai 1831, par le ministre de la Justice, Félix Barthe .
Il se présenta aussitôt à la députation, et, le 5 juillet 1831, fut élu député du 2ème collège électoral de la Côte D’Or (Dijon). Le ministère était resté neutre à l’égard de sa candidature, ouvertement appuyée par la Société Aide-toi, le ciel t’aidera.
Au Palais-Bourbon, où il fut admis sans justifier du cens d’éligibilité, Cabet acheva de rompre avec le pouvoir, et se jeta dans l’opposition radicale. Il prit part, jusqu’à la fin de la législature, à toutes les manifestations de l’extrême gauche, publia une Histoire républicaine de la révolution de 1830 et situation présente expliquées et éclairées par les Révolution de 1789, 1793, 1799 et 1804 et par la Restauration édité à Paris en 1832, et fonda une feuille radicale : “le Populaire”, en septembre 1833, Le Populaire, un journal ultra-démocratique dans lequel il attaque avec violence le gouvernement de Louis-Philippe resté célèbre par ses nombreux démêlés avec le parquet d’abord, ensuite avec la police, qui prétendait avoir le droit d’en interdire la vente sur la voie publique. Interdite 2 ans plus tard, la publication reparaît en mars 1841, encore plus virulente que dans la première version.
Condamné à 2 ans de prison en mars 1834 pour délit de presse.
Il est reconnu coupable d’offense envers la personne du roi après la publication d’un article où il a dénoncé le refus d’accorder l’asile politique à des patriotes polonais en fuite. Il préfère l’exil à la prison et se réfugier en Angleterre, où il fréquente notamment Martin Nadaud , le maçon de la Creuse en passe de devenir député. Grâce à l’apport de ce dernier et de réformistes anglais, dont Robert Owen , philanthrope communisant, il poursuit sa formation politique.
Lors de ce séjour, il découvre également les conditions déplorables dans lesquelles travaillent les ouvriers dans les usines britanniques, conditions qu’ Friedrich Engels dénoncera dans La Situation de la classe laborieuse en Angleterre, en 1845.
En Angleterre, entre 1834 et 1839, il continua de faire au gouvernement de Louis-Philippe une guerre continue de pamphlets, jusqu’à ce que l’amnistie de 1839 lui l’ouvrît les portes de la France. Il se convertit au communisme. Pour en exposer la doctrine, pour en argumenter la possibilité, pour convaincre la bourgeoisie et les travailleurs, notamment les femmes, de l’adopter, il rédige un roman, le Voyage en Icarie.
De retour en France en 1839, Étienne Cabet reprend son combat par la parole et par l’écrit
Penseur politique français, il est le premier, en 1840 à se définit comme communiste. Il prône une forme de communisme chrétien. Karl Marx et Friedrich Engels le classent parmi les socialistes utopiques auxquels ils opposent leur théorie du socialisme scientifique.
C’est à dater de cette époque que les théories sociales de Cabet, qui tendaient au communisme pur, commencèrent à se manifester et à se répandre : il les exposa dans une “Histoire de la révolution de 1789 à 1830”, et surtout dans le Voyage en Icarie, roman philosophique où l’on trouve l’exposition de la destinée promise par le penseur aux adeptes de sa doctrine. Le « communisme icarien », qui procède à beaucoup d’égards des théories de Charles Fourier , de Saint-Simon et d’Owen, et qui rappelle aussi les aspirations égalitaires de Babeuf , peut se résumer ainsi : L’homme, essentiellement perfectible, bienveillant et sociable par nature, aspire au bonheur, et ne peut le trouver que dans l’égalité et la fraternité. Or la propriété privée et l’organisation sociale dont elle est le principe sont incompatibles avec l’établissement et la réalisation durables de l’égalité et de la fraternité. La communauté seule peut résoudre ce problème, la communauté des biens, qui implique l’éducation et le travail en commun, mais qui n’exclurait point l’Etat comme organisation politique, ni le mariage comme institution civile et religieuse, ni le maintien de la famille, ni les progrès ultérieurs de la civilisation.
Il est notamment connu pour avoir écrit Voyage en Icarie en 1840, description d’une cité idéale. Élaboré en Angleterre et d’abord publié sous un pseudonyme en 1840, le livre connaît un succès immédiat en France et est plusieurs fois réédité. Dans sa préface, Cabet le présente comme un véritable traité de morale, de philosophie, d’économie sociale et politique, qu’il invite ses lecteurs à relire souvent et à étudier.
Il appelle, les ouvriers communistes à gagner la confiance de la bourgeoisie en s’instruisant et en se moralisant. Il pose que le principe de la fraternité entre toutes les classes est un préalable à tous les progrès. Il publie, après son retour en France, une “Histoire populaire de la Révolution française” en quatre volumes, son Voyage en Icarie, puis une série de brochures dont l’une au titre très explicite, “Comment je suis communiste”, qui paraît au mois de septembre 1840. Six mois plus tard, en mars, il lance un journal, le Populaire de 1841 avec le projet d’évincer tous les autres organes du communisme.
Il échoue. Il ne parvient jamais à imposer une direction unique aux divers courants qui se réclament de l’école communautaire, beaucoup le tiennent pour un endormeur. Il parvient encore moins à convaincre la bourgeoisie réformiste que le communisme n’est pas la pire des horreurs
En 1842, réunis en assemblée générale, les actionnaires du Populaire, pour l’essentiel des ouvriers parisiens, adoptent le nom de communistes icariens pour signifier leur renoncement à la violence et aux sociétés secrètes, mais cette proclamation n’émeut personne en dehors de leurs rangs.
La propagande légale et pacifique en faveur d’Icarie l’isole, le conduit dans une impasse politique. En 1846, il publie une nouvelle profession de foi qui atteste un repli sectaire, “Le Vrai Christianisme suivant Jésus-Christ”. Il soutient, dans cet ouvrage, que Jésus était communiste et incompris, comme lui. Il compare les persécutions contre les icariens à celles subies par les premiers chrétiens 19 siècles plus tôt.
Pour financer et diffuser son journal, sous le couvert légal d’une activité en théorie commerciale, il parvient à mettre en place un mouvement politique remarquablement organisé et discipliné. Autour de lui, à Paris, il réunit, chaque dimanche, à son domicile, un premier cercle de militants ouvriers particulièrement dévoués, une douzaine d’hommes environ auxquels il dispense une solide formation politique.
Les actionnaires du journal sont réunis plusieurs fois par an, à Paris, et forment un cercle bien plus large d’hommes et de femmes prêts à de nombreux sacrifices, notamment financiers. Leurs assemblées générales votent les décisions importantes concernant le mouvement icarien. Dans tous les départements français ou presque, à Londres, en Catalogne, en Suisse, en Algérie, Cabet entretient un réseau de correspondants chargés de vendre son journal et ses brochures.
L’été, les icariens organisent des pique-niques à la campagne, ils chantent des hymnes communistes, ils s’émerveillent en plein air des promesses de la communauté. Pacifique, le communisme icarien est un mouvement familial, de manière délibérée, fortement féminisé.
Cabet, qui s’était trouvé dans la seconde partie du règne de Louis-Philippe, en désaccord permanent avec les hommes et les doctrines du National, dut, pour user de l’influence de la presse dans l’intérêt de la propagation de ses idées, ressusciter son journal le Populaire, interrompu en 1834. et en faire le“ Moniteur de l’Icarie” ; vers la même époque, il publia régulièrement, pendant 5 ou 6 années consécutives, un Almanach icarien qui lui offrait un moyen facile et commode de vulgariser les théories communistes.
En même temps les plus ardents parmi ses disciples se chargèrent de tenir, sous la dénomination de cours icariens, des conférences populaires ou étaient lus et commentés les écrits du maître.
Quoiqu’il en soit, Cabet ayant réussi à rallier de très nombreux prosélytes, publia dans son journal en 1847, les statuts d’une association pour la fondation dans les pays d’outre-mer d’une colonie destinée à réaliser les descriptions du Voyage en Icarie. Il annonçait avoir obtenu une concession d’un million d’acres de terres au Texas [7], sur les bords de la Rivière-rouge [8], et conviait ses fidèles à réaliser tout ce qu’il possédaient, à abandonner la vieille Europe et à venir fonder une société nouvelle.
Le 10 octobre 1847, environ 150 personnes réunies dans les locaux du journal Le Populaire votent l’Acte de Constitution d’Icarie, élisent comme président Étienne Cabet et établissent le bureau de l’immigration Icarienne dans ces locaux. En décembre, Charles Sully est envoyé comme éclaireur pour préparer le terrain situé sur les rives de la Red River non loin de la ville de Cross Timbers au Texas.
Cabet suspendit son départ à la tête du gros de l’expédition, et posa, sans succès, sa candidature à l’Assemblée Constituante dans le département de la Seine.
Le 3 février 1848, 69 personnes dirigés par Adolphe Gouhenant, formant l’avant-garde de l’armée icarienne s’étaient embarquées au Havre [9] pour l’Amérique, quand éclata la révolution de février [10]
Quand la répression de l’insurrection de juin eut achevé de détruire les espérances qu’avaient pu concevoir les réformateurs socialistes à l’avènement du gouvernement nouveau, Cabet se décida à partir à son tour. Mais ayant été condamné à un mois de prison, parce que la garde nationale envahissant les bureaux du Populaire le 15 mai, y avait trouvé quelques fusils oubliés dans la chambre d’un employé, il ne put s’embarquer que le 13 décembre 1848.
Ils n’arrivent sur leur terrain qu’en juin 1848 après une longue et pénible marche parce que la Red River n’est pas navigable jusqu’à Cross Timber. Là, ils tentent d’organiser leur communauté mais sont vite découragés par le climat malsain : plusieurs colons y meurent à cause de la fièvre paludique. Ils décident donc de se rendre en Nouvelle-Orléans [11] où, après avoir rencontré d’autres colons Icariens embarqués le 15 octobre, le 2 et le 12 novembre à Bordeaux qui sont dans une situation identique à la leur, ils votent la dissolution de la communauté icarienne.
Cabet arriva à la Nouvelle-Orléans, le 19 janvier 1849 le choléra y sévissait, et l’expédition était minée par les dissensions les plus graves : déjà plusieurs associés demandaient la dissolution et la liquidation de la société. Il tente de reprendre les choses en mains ; il convoque une assemblée générale grâce à laquelle il arrive à convaincre 280 hommes, 74 femmes et 64 enfants sur un total de 485 colons à poursuivre l’aventure icarienne.
Cabet fit décider, par la majorité des adhérents, qu’un établissement définitif serait organisé dans l’Illinois [12], à Nauvoo [13], ville bâtie par les Mormons [14].
C’est ainsi que le premier mai 1849 les colons arrivent dans l’Illinois à la ville de Nauvoo fondée en 1840 par les Mormons que ces derniers avaient abandonnée à partir de 1846 à la suite de persécutions. Le climat est sain et les terres sont fertiles.
Mais bientôt un nouveau schisme se produisit dans la communauté : les dissidents allèrent jusqu’à accuser Cabet d’escroquerie ; un procès lui fût intenté à Paris, et, le 6 juin 1849, la chambre du conseil du tribunal correctionnel de Paris rendit une ordonnance autorisant des poursuites entre Cabet et son ami et mandataire, Louis Krolikowski. Assignation fut donnée au bureau du Populaire à Paris, et l’affaire fut renvoyée au 27 septembre.
Prévenu de s’être personnellement approprié une partie du trésor commun montant à plus de 200 000 francs, Cabet fut condamné une première fois par défaut, le 30 septembre, à 2 ans d’emprisonnement. Il protesta énergiquement contre cette décision, revint à Paris, publia en novembre 1850 une défense personnelle et obtint un arrêt infirmant la décision des premiers juges. Dans cette Défense écrite, après avoir discuté et combattu point par point tous les griefs. Leur ingratitude, leur déloyauté, leurs calomnies, leurs violences, leurs parjures, leurs efforts pour me faire déshonorer par la presse anti-populaire, pour me faire condamner comme escroc et pour perdre à la fois Icarie et les Icariens fidèles, déshonoreraient le peuple, si les vices de quelques-uns pouvaient suffire pour effacer les vertus de la masse/
Pendant l’assemblée générale du 21 février 1850, les colons votent la constitution définitive de la communauté Icarienne. La communauté prospère et les colons, français comme américains affluent jusqu’en décembre 1855.
Cabet avait songé à se mettre sur les rangs pour l’élection présidentielle qui devait avoir lieu en France en mai 1852, mais les événements de décembre 1851 l’empêchèrent de donner suite à ce projet. Il alla mourir en Amérique.
Mais une crise interne due à l’insurrection de plusieurs colons, qui jugent Cabet trop autoritaire et le système qu’il a mis en place liberticide, se résout par le départ de Cabet en octobre 1856, accompagné de 75 hommes, 47 femmes et 50 enfants, pour Saint-Louis dans le New Bremen [15]. C’est là, peu après leur installation, que Cabet meurt d’une attaque cérébrale en 1856.
Il exerça une certaine influence sur les ouvriers parisiens au milieu du 19ème siècle et fonda des colonies communistes aux États-Unis.