Cléon
Homme politique athénien
Il fut un des successeurs de Périclès, et qui s’est illustré au cours de la Guerre du Péloponnèse [1] grâce à un coup d’éclat dans la réduction du blocus de l’îlot de Sphactérie [2].
Fils d’un riche tanneur, Cléainétos, il avait hérité de l’entreprise familiale, ce qui faisait de lui un personnage vulgaire dont Aristophane a fait une violente caricature dans plusieurs de ses comédies. Il est considéré comme le type même du démagogue [3].
Le caractère de Cléon ne nous est connu que par Thucydide, qu’il fit exiler, et qui le présente comme le plus violent des citoyens et fort écouté du peuple ; il est surtout raillé par Aristophane, qu’il avait poursuivi en justice et qui lui était violemment hostile d’abord parce que Cléon, un des meneurs du parti populaire, était un fanatique.
Il est présenté dans Les Cavaliers comme un parvenu sans éducation, violent et vantard, à travers le personnage d’un esclave tanneur nommé Paphlagon, une espèce de génie dans le domaine de la fourberie et de la calomnie, qui à force d’hypocrisie, exploite le peuple athénien.
Politiquement Cléon est représentatif d’une nouvelle génération d’hommes politiques athéniens issus de milieux populaires, ce qu’il revendique avec fierté, et éloignés des grandes familles qui jusque-là dominaient la vie publique athénienne. Cette nouvelle génération cherche à s’imposer comme héritière de la politique de Périclès et développe pour cela une politique jusqu’au-boutiste ; mais la politique intérieure de Cléon ne lui permettait pas de réaliser ses vastes desseins expansionnistes : il augmenta le salaire des héliastes [4] de deux à trois oboles à un moment où le nombre d’Athéniens sans ressources ne cessait de croître du fait de la guerre, ce qui fut perçu comme une décision d’assistance aux plus pauvres.
La forte augmentation du phoros [5] est probablement à mettre aussi à son actif. Au moment de la révolte de Mytilène [6], en 428 av. jc, il fit voter un décret ordonnant au stratège [7] Charès, chargé de mater la rébellion, de mettre à mort toute la population mâle de l’île ; mais le décret fut rapporté dès le lendemain, et cet ordre, annulé.
En 423 av. jc, il fit passer de nouveau un décret demandant la destruction de Skionè [8] en Chalcidique [9] et l’exécution de ses citoyens. De telles mesures, où la démagogie au plan intérieur le disputait à la terreur à l’égard des cités de la ligue, eurent pour effet de vider le trésor et de préparer la révolte et la sécession des alliés d’Athènes.
Après la prise de Sphactérie et la reddition des Lacédémoniens [10], la supériorité militaire terrestre de Sparte fut tellement remise en cause que la cité proposa une paix blanche à Athènes [11]. Cette dernière refusa sous l’influence de Cléon. Après ce succès inattendu de Sphactérie, Cléon, devenu le maître d’Athènes, reçut l’honneur de prendre ses repas au Prytanée [12] et de s’asseoir au premier rang, au théâtre, traitement de distinction réservé aux bienfaiteurs de la cité.
Cléon fut tué lors de la bataille d’Amphipolis [13], en 422 av. jc, face au général spartiate Brasidas qui mourut également pendant le combat.
Notes
[1] La guerre du Péloponnèse est le conflit qui oppose la ligue de Délos, menée par Athènes, et la ligue du Péloponnèse, sous l’hégémonie de Sparte. Le déroulement du conflit est principalement connu à travers les récits qu’en ont fait Thucydide et Xénophon. Provoquée par trois crises successives en peu de temps, la guerre est cependant principalement causée par la crainte de l’impérialisme athénien chez les alliés de Sparte. Ce conflit met fin à la pentécontaétie et s’étend de 431 à 404 en trois périodes généralement admises : la période archidamique de 431 à 421, la guerre indirecte de 421 à 413, et la guerre de Décélie et d’Ionie, de 413 à 404.
[2] La bataille de Sphactérie, en 425 av. jc, pendant la guerre du Péloponnèse, voit une victoire athénienne sur Sparte. C’est une étape importante de l’histoire militaire, puisqu’une troupe d’infanterie légère vainquit une phalange d’hoplites.
[3] La démagogie est une notion politique et rhétorique désignant une autorité morale exercée par une ou plusieurs personnes sur les détenteurs réels ou supposés du pouvoir, le plus souvent en utilisant un discours flatteur à même d’attiser les passions. Si, par extension, la notion a également pu désigner des États où les propres dirigeants politiques usent de ce type de procédé, il convient pourtant de dissocier la démagogie de l’ochlocratie : seule cette dernière peut être assimilée à une forme de gouvernement, en tant que dérive de la démocratie
[4] Les héliastes sont les membres des tribunaux grecs dans l’Antiquité. Ils étaient désignés par l’ecclésia. Ils juraient le serment des Héliastes. L’Héliée était le tribunal populaire. Composé de 6 000 citoyens de plus de 30 ans (les héliastes), il était chargé de rendre la justice. Les membres de l’Héliée étaient désignés par tirage au sort tous les ans par l’Ecclésia. Les héliastes siègent sur des bancs de bois recouverts de nattes de jonc, tandis que le magistrat présidant l’audience siège sur une haute estrade. Sous Périclès, les héliastes recevaient un salaire quotidien d’une obole, montant porté à trois oboles par Cléon en 425 av. jc. L’Héliée est alors fréquentée par le petit peuple désireux de percevoir ce maigre salaire, ou par des vieillards. Le système judiciaire admet alors des dérives, instrument aux mains des démagogues ou détournement de son rôle par les sycophantes. Les héliastes sont moqués par Aristophane, en particulier dans sa pièce Les Guêpes.
[5] tribut que devaient payer les alliés
[6] Mytilène est la principale ville de Lesbos, une île grecque de la mer Égée. Elle est bâtie sur la pointe sud de l’île, à proximité de la côte turque.
[7] Un stratège est un membre du pouvoir exécutif d’une cité grecque, qu’il soit élu ou coopté. Il est utilisé en grec pour désigner un militaire général. Dans le monde hellénistique et l’Empire Byzantin, le terme a également été utilisé pour décrire un gouverneur militaire. Dans la Grèce contemporaine (19ème siècle jusqu’à nos jours), le stratège est un général et a le rang d’officier le plus élevé.
[8] Scione est une cité de la Grèce antique située en Chalcidique, dans la presqu’île de Pallène, sur la mer Égée. Elle est fondée au 8ème siècle av. jc par des colons Ioniens venant de Chalcis, en Eubée. Passée sous la domination d’Athènes, elle doit lui payer un tribut annuel de six talents à l’époque de la ligue de Délos. Lors de la guerre du Péloponnèse, elle accueille avec enthousiasme le général spartiate Brasidas en 423, ce qui entraîne des représailles féroces de la part de Cléon : les hommes furent mis à mort et le site donné à des réfugiés venus de Platées. Elle obéit plus tard à Olynthe, avant de faire partie du royaume de Macédoine.
[9] La Chalcidique, dans l’Antiquité Chersonèse Chalcidique, est une péninsule du Nord de la Grèce s’avançant dans la mer Égée. Les Grecs nomment cette région « le paradis secret de la Grèce ». Le nom de la péninsule a été donné en référence à la ville de Chalcis en Eubée dont étaient originaires les premiers colons (8ème siècle av. jc). À l’époque archaïque, les Chalcidiens d’Eubée, les Érétriens, les Andriens et les Corinthiens, attirés par les ressources en bois et en métaux de Chalcidique, y installent des colonies. Lors de la seconde guerre médique, les cités de Chalcidique fournissent des contingents à l’armée de Xerxès 1er le Grand. Après 478 av. jc, elles adhèrent à la Ligue de Délos. En 432 av. jc, Potidée, Chaldiciens et Bottiéens se révoltent contre Athènes avec l’appui de Perdiccas II, roi de Macédoine, ce qui marque la naissance de la Ligue chalcidienne qui prend fin en 348 av. jc. Sous l’Empire byzantin, la Chalcidique fait partie du thème de Thessalonique jusqu’à sa conquête par les Latins à la suite de la quatrième croisade. Elle fait alors partie du Royaume de Thessalonique jusqu’à sa conquête par le despote d’Épire, Théodore Doukas. En 1430, la Chalcidique est conquise par les turcs ottomans.
[10] Lacédémone (Sparte) est une ancienne ville grecque du Péloponnèse. Située sur l’Eurotas, dans la plaine de Laconie, entre le Taygète et le Parnon, elle est l’une des cités-États les plus puissantes de la Grèce antique, avec Athènes et Thèbes. La Laconie au sens strict est le territoire délimité à l’ouest par le massif du Taygète, au sud et à l’est par la mer Méditerranée. La frontière nord est plus changeante. La transition entre cette ancienne ville et la Sparte dorienne s’explique pour les Anciens par le « retour des Héraclides » : Hyllos, fils d’Héraclès, doit fuir le Péloponnèse suite aux persécutions d’Eurysthée. Après plusieurs tentatives avortées, Téménos reconquiert la terre de son arrière-grand-père. Il prend pour lui la souveraineté d’Argos et donne à ses frères les royaumes voisins : Cresphontès reçoit la Messénie et Aristodème (ou ses fils) la Laconie.
[11] Athènes est l’une des plus anciennes villes au monde, avec une présence humaine attestée dès le Néolithique. Fondée vers 800 av. jc autour de la colline de l’Acropole par le héros Thésée, selon la légende, la cité domine la Grèce au cours du 1er millénaire av. jc. Elle connaît son âge d’or au 5ème siècle av. jc, sous la domination du stratège Périclès
[12] Le prytanée était le siège du Prytane. Ce bâtiment est le foyer de l’État, de la polis, là où se trouve le feu sacré qui ne s’éteint jamais. Symbole de la permanence de la cité, consacré à Hestia, déesse du foyer, de la maison et de la famille, le Prytanée en est le cœur symbolique et politique : les magistrats y siègent, on y reçoit les honneurs publics et les ambassadeurs, on y prend le feu pour fonder des colonies (et leur Prytanée), on y fait les sacrifices et offrandes aux dieux de la cité. L’île de Thasos, selon Théophraste, avait son Prytanée ; à Athènes, le Prytanée prend la forme d’une tholos, bâtiment circulaire de l’Agora. Les élus des tribus d’Athènes qui assurent la présidence de la Boulè, les prytaneis, siègent et travaillent à la tholos. Ils y prennent aussi leur repas, offert par l’État, avec les citoyens honorés par la cité en tant que grands bienfaiteurs, ou les citoyens particulièrement méritants comme les Olympioniques. À Olympie, le Prytanée est le lieu où les prêtres et les magistrats vivent, les grands prêtres habitant dans le Theokoleon. Situé au nord-ouest du temple d’Héra, il est utilisé pour les célébrations et les fêtes par les vainqueurs des Jeux. Il abrite également l’autel d’Hestia, où la flamme olympique originale brûlait.
[13] La bataille d’Amphipolis eut lieu en 422 av. jc durant la guerre du Péloponnèse entre Athènes et Sparte. Cette bataille constitue le paroxysme d’un conflit qui commença en 424 av. jc par la prise d’Amphipolis par les Spartiates.