Mo-ki-lien dit Bilge Kaghan ou Bilgä qaghan (683/684-734)
Khagan du Second Empire turc des Köktürks qui règne sur la Mongolie de 716 à 734
À la mort de Kapaghan le 22 juillet 716, l’Empire turc connaît une période d’anarchie. Son neveu, Kul-tégin , fils de Elterich dit Qutlugh , qui a acquis un grand prestige par ses victoires, s’empare du pouvoir au détriment du fils de Kapaghan, Bögü, qu’il met à mort ainsi que toute sa famille, à l’exception de Tonyukuk, beau-père du frère de Kul-tégin.
Kul-tégin fait nommer kaghan [1] son frère aîné, Mo-ki-lien. Les deux hommes doivent réprimer la révolte des vassaux turcs consécutive à la mort de Kapaghan et aux querelles de succession.
Ils mènent une série de batailles sanglantes contre les 9 tribus Oghouzes [2] et les neuf tribus tatares [3], qui nomadisent le long de la Kerülen [4], contre les Ouïghours [5] et les Karlouks [6]. Si les Turcs occidentaux reprennent leur indépendance, les deux frères parviennent à sauvegarder l’unité de l’Empire turc oriental autour de l’Orkhon [7].
Mo-ki-lien a l’intention de se tourner contre la Chine, mais le vieux seigneur Tonyukuk l’en dissuade, arguant que les Turcs, épuisés par la guerre civile, commettraient une imprudence à attaquer les Tang [8], qui connaissent un regain de puissance sous le règne de Xuanzong .
Mo-ki-lien voudrait sédentariser les Turcs et construire sur l’Orkhon une capitale fortifiée. Tonyukuk le lui déconseille : la force des Turcs est dans leur mobilité face au nombre. Il désapprouve aussi l’idée de favoriser l’introduction du bouddhisme [9] et du taoïsme [10], qui enseignent la douceur et l’humilité, ce qui ne convient pas à des guerriers.
En 718, écoutant son conseiller, Bilge envoie une ambassade à Chang’an [11] pour négocier la paix avec la Chine. Xuanzong refuse et déclare la guerre : les Basmil, établis au nord du Tarim [12], et les Khitans [13], alliés de la Chine, doivent prendre les T’ou-kiue en tenaille par le sud-ouest.
L’attaque, mal synchronisée, échoue. Pendant que les troupes de Tonyukuk écrasent les Basmil et prennent Bechbalik [14], les forces de Bilge ravagent la frontière chinoise au Gansu [15] actuel en 720, puis se retournent contre les Khitans, qui sont battus. Une paix durable est conclue l’année suivante, instituant des échanges commerciaux fructueux pour les Turcs [16].
L’hiver 723/724, très rigoureux, fait perdre aux Turcs orientaux une grande partie de leur bétail. La guerre contre les Oghouzes et les Tatars, recommence au printemps suivant et Bilge doit investir toutes ses forces pour réprimer l’insurrection. En 727, Bilge refuse de s’allier aux Tibétains [17] contre les Chinois. Il est récompensé par une amélioration des conditions du commerce avec la Chine.
À la mort de son frère Kul-tégin en 731, Bilge fait graver une épitaphe à sa gloire sur sa tombe dans la vallée de l’Orkhon, rédigée avec l’alphabet de l’Orkhon, le plus ancien témoignage daté de la littérature turque.
Bilge Kaghan meurt empoisonné par un de ses ministres le 25 novembre 734. Son fils Izhan Kaghan lui succède, puis à sa mort le jeune Tengri Kaghan, dont le règne est dominé par la veuve de Bilge. Tengri est assassiné par son oncle Qutlugh yabgu [18], le chad de l’Est, qui usurpe le pouvoir et prend le nom d’Ozmich Kaghan. L’empire se désintègre, face à la révolte des Basmil, des Ouïgours et des Karlouks. En 743, la famille royale des Turcs orientaux se réfugie en Chine. Ozmich est tué par les Basmil en 744. Ceux-ci échouent à s’emparer de l’empire et ce sont les Ouïghours qui imposent leur hégémonie sur la Mongolie [19].
Notes
[1] Khagan est un titre signifiant « Khan des khans », c’est-à-dire empereur, dans les langues mongoles, toungouse et turques, on retrouve déjà ce terme dans les langues proto-turques et proto-mongoles. Le titre est porté par celui qui dirige un khaganat (empire, plus grand qu’un khanat dirigé par un khan, lui-même comparable à un royaume). Le khagan, comme tous les khans, se fait élire par le Qurultay, en général parmi les descendants des précédents khans.
[2] Les Oghouzes furent une confédération vivant au nord de la mer d’Aral dans l’actuel Kazakhstan. Lors de la migration des Turcs aux 10ème et 12ème siècles, ils firent partie des Turcs de la région de la mer Caspienne qui migrèrent vers le sud et l’ouest en direction de l’Asie occidentale et de l’Europe orientale, et non vers l’Est en direction de la Sibérie. Ils sont considérés comme les ancêtres des Turcs occidentaux modernes : Azéris, Turcs de Turquie, Turkmènes, Kachkaïs, Turcs du Khorassan et Gagaouzes, dont les effectifs combinés dépassent les cent millions.
[3] Les Tatars ou Tatares sont un peuple turc, parlant le tatar. La plupart des Tatars vivent au centre et au sud de la Russie, en Ukraine, au Kazakhstan, en Turquie et en Ouzbékistan. On en dénombre plus de 8 millions à la fin du 20ème siècle. Les Tatars forment par ailleurs l’un des 56 groupes ethniques recensés par la République populaire de Chine.
[4] La rivière Kherlen ou Kerülen est un cours d’eau de Mongolie et de Chine et un affluent du lac Hulun, donc du fleuve l’Amour.
[5] Les Ouïghours constituent aujourd’hui la plus importante des minorités nationales reconnues de la Région autonome ouïghoure du Xinjiang de Chine, que les Ouïghours appellent le Turkestan oriental. Les Ouïghours, peuple de langue turque dont le nom signifierait « alliance, unité », habitent traditionnellement en Asie centrale, dans les oasis du Taklamakan, les bassins de Turfan et de la Dzoungarie et dans une partie du Ferghana. L’Empire ouïghour de Mongolie et les royaumes qui lui ont succédé en Asie centrale ont connu une brillante civilisation, jusqu’à leur absorption dans l’Empire mongol au 13ème siècle.
[6] Les Karlouks, Karluk ou étaient à l’origine une tribu turque nomade basée dans les steppes de Transoxiane (approximativement à l’est et au sud de la mer d’Aral) en Asie centrale. Ils étaient proches parents et, pendant quelque temps, alliés des Ouïgours. Il a également été mentionné qu’ils furent à une époque alliés aux Oghouzes, qui vivaient sur leurs frontières occidentales.
[7] L’Orkhon, ou Orhon est une rivière de Mongolie. C’est un affluent de la Selenga, cette dernière elle-même sous-affluent de l’Ienisseï russe par le lac Baïkal et l’Angara.
[8] La dynastie Tang est une dynastie chinoise précédée par la dynastie Sui (581-618) et suivie par la période des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes. Elle a été fondée par la famille Li, qui prit le pouvoir durant le déclin et la chute de l’empire Sui. Venant après une longue période de division de la Chine qui dura de 220 à 581, à laquelle l’éphémère dynastie Sui avait mis fin, les premiers empereurs de cette dynastie eurent d’abord pour tâche de stabiliser l’empire récemment réunifié, et de lui redonner la puissance qu’avait eue la Chine à l’époque des Han. Ils firent rapidement mieux que ces derniers dans le domaine des conquêtes extérieures.
[9] Le bouddhisme est, selon le point de vue occidental, une religion (notamment une religion d’État) ou une philosophie, voire les deux, dont les origines sont en Inde au 5ème siècle av. jc à la suite de l’éveil de Siddhartha Gautama et de son enseignement. Le bouddhisme est né en Inde à peu près à la même époque que Mahâvîra, qui rendit plus populaire le jaïnisme, avec lequel il partage une certaine tendance à la remise en cause de l’hindouisme (en particulier de la caste sacerdotale des brahmanes) tel que ce dernier était pratiqué à l’époque (6ème siècle av. jc). Le bouddhisme a repris et aménagé beaucoup de concepts philosophiques de l’environnement religieux de l’époque (tels que dharma et karma, par exemple).
[10] Le taoïsme est un des trois piliers de la philosophie chinoise avec le confucianisme et le bouddhisme, et se fonde sur l’existence d’un principe à l’origine de toute chose, appelé « Tao ». Plongeant ses racines dans la culture ancienne, ce courant se fonde sur des textes, dont le Tao Tö King de Lao Tseu, le Lie Tseu et le Zhuāngzi de Tchouang Tseu, et s’exprime par des pratiques qui influencèrent de façon significative tout l’Extrême-Orient, et même l’Occident depuis le 20ème siècle.
[11] Autrefois nommé Hao ou Zongzhou, pendant la dynastie Zhou, elle fut la capitale de la Chine pour la période des Zhou occidentaux. Suite à la folie du roi Zhou Youwang, la ville fut incendiée et pillée par les barbares Rong. Xi’an est l’extrémité est de la route de la soie considérée comme ayant été « ouverte » par le général chinois Zhang Qian au 2ème siècle av. jc. C’était l’une des Quatre Grandes Capitales Anciennes car ce fut la capitale de la Dynastie Qin, des Han, alors connue sous le nom de Chang’an
[12] Le Tarim est un fleuve sans embouchure traversant le désert du Taklamakan dans le sud du Xinjiang, une des cinq régions autonomes de République populaire de Chine. Il forme le bassin du Tarim.
[13] Liaoning actuel
[14] Le xian de Jimsar est un district administratif de la région autonome du Xinjiang en Chine. Il est placé sous la juridiction de la préfecture autonome hui de Changji.
[15] Le Gansu est une province du nord-ouest de la République populaire de Chine. Longue province étroite, coincée entre le plateau de Mongolie au nord et les contreforts du plateau Tibétain au sud, épousant le tracé principal de l’ancienne route de la soie, le Gansu est habité par environ 26 millions d’habitants (en 2004), dont une minorité importante de Hui. La capitale, Lanzhou, est située dans le sud-est de la province.
[16] rouleaux de soie contre chevaux
[17] Le Tibet est une région de plateau située au nord de l’Himalaya en Asie, habitée traditionnellement par les Tibétains et d’autres groupes ethniques (Monbas, Qiang et Lhobas) et comportant également une population importante de Hans et de Huis. Le Tibet est le plateau habité le plus élevé de la planète, avec une altitude moyenne de 4 900 m. Au 7ème siècle, le Tibet unifié est fondé par Songtsen Gampo, qui crée par la guerre un vaste et puissant empire, qui, à son apogée, s’étend sur une bonne partie de l’Asie y compris certaines parties de la Chine
[18] Yabgu ou Yabghu, également translittéré en Yagbou en français, est un titre princier des peuples turcs, connu dès le vieux-turc via les inscriptions de l’Orkhon.
[19] La Mongolie est un pays d’Asie situé entre la Russie au nord et la Chine au sud. Sa capitale et plus grande ville est Oulan-Bator, la langue officielle est le mongol et la monnaie le tugrik. La Mongolie fut le centre de l’Empire mongol au 13ème siècle et fut ensuite gouvernée par la dynastie mandchoue Qing de la fin du 17ème siècle à 1911, date à laquelle l’indépendance de la Mongolie fut proclamée à la faveur de la chute de l’Empire chinois.