Né à Sijilmassa [1], fils deMoulay Chérif prince du Tafilalet [2] et fondateur de la dynastie des Alaouites [3]. Sa mère est une esclave noire et son père descendrait de Muhammad al-Nafs al-Zakiya. Il est le descendant de Hassan Ad-Dakhil, qui se réclame 21ème descendant de Mahomet et 17ème descendant de al-Zakiya, et qui se serait installé à Sijilmassa en 1266.
Il occupe la fonction de gouverneur du Royaume de Fès [4] et du nord du Maroc à partir de 1667, jusqu’à la mort de son demi-frère, le sultan Moulay Rachid, en 1672.
Après sa prise de pouvoir, Moulay Ismaïl doit faire face à plusieurs cas de rébellions. Tout d’abord la révolte de son neveu Ahmed Ben Mehrez, fils de Mourad Mehrez ben Chérif ; puis celle de ses frères, parmi lesquels Moulay Harran , qui prend le titre de roi au Tafilalet.
Le chef de guerre tétouanais Khadir Ghaïlan oppose également une résistance au sultan Ismaïl, ainsi que plusieurs tribus insoumises et groupes religieux. En 1672, Moulay Ismaïl lance une campagne contre son neveu Ahmed, qui a rallié les tribus du Haouz [5] et s’est proclamé sultan à Marrakech. Ismaïl réussit à remporter une victoire grâce à son artillerie et à entrer dans la ville de Marrakech, puis à s’y faire reconnaître comme sultan le 4 juin 1672.
Ahmed, blessé par une balle, s’enfuit dans les montagnes tandis que le nord du pays se soulève avec, à sa tête, Khadir Ghaïlan. Ahmed continue à comploter pour le pouvoir et incite les villes de Fès [6] et de Taza [7] à se rebeller. Après une révolte, Fès proclame Ahmed sultan alors que celui-ci se trouve à Taza.
Cependant, Ismaïl atteint la ville avant son neveu et met fin à la révolte de ses habitants, qui le proclament à nouveau sultan. Taza se soumet ensuite après un siège, ce qui oblige Ahmed Ben Mehrez à prendre la fuite vers le Sahara.
Après les révoltes de Marrakech et de Fès, Mouley Ismaïl décide plus tard de faire de Meknès [8] la capitale de son empire. Il se tourne ensuite vers le nord-ouest et précisément contre Khadir Ghaïlan qui, avec l’aide des Turcs d’Alger, soulève les régions du Gharb et du Habt. Avec une force de douze mille hommes, Moulay Ismaïl mate la rébellion et soumet les provinces du nord en tuant Ghaïlan le 2 septembre 1673, près de Ksar El Kébir [9].
Ahmed retente une nouvelle fois de se soulever contre son oncle en 1674 en fortifiant Marrakech. Moulay Ismaïl assiège la ville pendant deux ans avant que Ben Mehrez ne s’enfuie au Souss [10]. Cette fois-ci, Ismaïl châtie violemment et avec cruauté ceux qui ont soutenu Ahmed. En 1675, avec l’aide d’habitants de Taroudant [11], Ahmed rentre secrètement à Marrakech, puis réoccupe la ville après avoir battu l’armée royale. Ismaïl remet le siège devant la ville avant que Moulay Harran ne négocie une paix entre les belligérants. Ahmed quitte la ville et lorsque Ismaïl comprend que cette médiation a pour but de sauver Ben Mehrez qui n’a plus de munitions que pour huit jours, il devient fou de rage et fait arrêter son frère pour trahison. Il reprend le contrôle du Tafilalet puis laisse la ville être pillée en exerçant lui-même des violences sur les habitants de Marrakech. Vers la fin du ramadan 1678-1679, ses trois frères Moulay Harran, Moulay Hachem et Moulay Ahmed se révoltent contre son autorité avec l’aide de la tribu Aït Atta [12]. Mouley Ismaïl réussit, à l’aide d’une importante armée, à défaire les rebelles qui s’enfuient au Sahara. La peste fait ensuite son apparition vers la fin de la décennie et tue plusieurs milliers de personnes, principalement dans les régions du Gharb et du Rif [13].
Le règne d’Ismaïl correspond à une période d’apogée de la puissance marocaine. Le sultan dote le Maroc d’une puissante armée, composée pour une bonne part d’esclaves noirs qui lui sont totalement dévoués, ce qui permet au pouvoir central d’être moins dépendant des tribus trop souvent rebelles.
Moulay Ismaïl, qui restaure et organise Oujda [14] à partir de 1673, tente entre 1678 et 1679 une expédition au-delà du Djebel Amour avant que l’artillerie turque ne repousse l’armée marocaine obligeant le sultan à reconnaître la limite sur la Tafna [15] comme frontière séparant l’Empire ottoman du Maroc. Ismaïl réorganise le Sud de l’Empire après un voyage mené en 1678, des oasis du Touat jusqu’aux provinces de Chenguit, l’actuelle Mauritanie. Dans son périple, il nomme caïds [16] et pachas [17] puis fait construire des forts et ribats, ce qui démontre le contrôle du Makhzen [18] sur ces contrées. Le contrôle marocain sur le Pachalik de Tombouctou [19] redevient effectif en 1670 et le reste tout au long du règne de Mouley Ismaïl.
Moulay Ismaïl réussit à chasser les Européens des ports qu’ils occupent, en l’occurrence Larache, Assilah, El-Mamoura et Tanger. Il fait des milliers de prisonniers chrétiens et manque de peu de s’emparer de Ceuta [20].
Il maintient le contrôle sur la flotte de corsaires basée à Salé-le-Vieux [21] et Salé-le-Neuf [22], qui le fournit en esclaves chrétiens, puis en armement grâce à leurs razzias en Méditerranée et jusqu’à la mer du Nord.
Cela ne l’empêche pas de nouer des relations diplomatiques conséquentes avec les puissances étrangères, en particulier avec la France, l’Angleterre et l’Espagne. Souvent comparé à son contemporain Louis XIV par son charisme et son exercice du pouvoir en tant que monarque absolu, Moulay Ismaïl était surnommé le roi sanguinaire par les Européens, à cause de sa cruauté et de ses exécutions sommaires.
Après avoir achevé l’unification du Maroc, Moulay Ismaïl décide de mettre un terme à la présence chrétienne dans le pays. Il lance tout d’abord une campagne pour reprendre la ville de Tanger aux Anglais qui n’est plus sous contrôle marocain depuis 1471.
Moulay Ismaïl charge l’un de ses plus grands généraux, Ali Ben Abdallah Er-Riffi, de mettre le siège devant Tanger à partir de 1680. Durant le siège, Moulay Ismaïl envoie une partie de son armée commandée par Amar Ben Haddou Er-Riffi conquérir la ville d’El-Mamoura [23] en 1681. Cette ville est occupée par les Espagnols depuis 1614, période où le Maroc sombre dans le chaos. Ismaïl assiège la ville, la prive d’eau, puis l’occupe et fait prisonniers tous les Espagnols présents dans la ville. À Tanger les Anglais résistent, mais face au coût très élevé du maintien d’une garnison, les Anglais décident d’abandonner la ville à l’armée marocaine le 5 février 1684.
Fier de ses victoires, Moulay Ismaïl décide de lancer une expédition imprudente face aux montagnards de l’Atlas, où le Sultan perd près de 3 000 tentes, une partie de son armée et de sa richesse.
C’est après cette humiliation que Moulay Ismaïl a l’idée de créer le corps des Abid al-Bukhari [24], puisque l’armée chérifienne n’est composée majoritairement que de soldats issus du Tafilalet, de renégats européens ou de soldats qui viennent des tribus qui doivent être souvent récompensées et qui se voient octroyer des terres en échange. Ismaïl décide donc d’acheter un grand nombre d’esclaves noirs, vraisemblablement au nombre de 14 000, totalement dévoués à lui.
Alors que Moulay Ismaïl est occupé à combattre les Européens et les tribus insoumises de l’Atlas, Ahmed Ben Mehrez profite de la situation, et s’allie avec Moulay Harran pour déstabiliser l’Empire chérifien d’Ismaïl. Lorsque celui-ci apprend en 1684-1685 que les deux rebelles se trouvent à Taroudant, Moulay Ismaïl se met immédiatement en route vers la ville pour l’assiéger. Ahmed est tué durant l’assaut de l’armée chérifienne tandis que Moulay Harran réussit à s’enfuir au Sahara après un siège qui prend fin en 1687. À partir de cette date, plus personne ne conteste le pouvoir du souverain.
En 1700, Moulay Ismaïl lance une expédition militaire contre la Régence d’Alger. Avec une troupe estimée entre 10 000 et 12 000 hommes, l’armée ottomane réussit à repousser les 60 000 soldats de l’armée marocaine après la perte d’Oujda en 1692.
En 1702, Moulay Ismaïl charge son fils Moulay Zidan à la tête d’une armée de 12 000 hommes, s’emparer du Peñón de Vélez de la Gomera [25]. Les Marocains rasent la forteresse espagnole mais ne parviennent pas à garder l’île.
Roi bâtisseur, il entreprend la construction du grand palais de Meknès, de jardins, de portes monumentales, de plus de quarante kilomètres de murailles et de nombreuses mosquées. Il meurt le 22 mars 1727 à Meknès des suites d’une maladie, et laisse un pays déchiré par une rébellion causée par la garde noire des Abid al-Bukhari, laquelle contrôle le pays jusqu’à l’avènement de Sidi Mohamed Ben Abdellah .
En 1706, devant les intrigues, les calomnies et la haine de sa belle-mère Lalla Aïcha Moubarka , qui veut introniser son fils Moulay Zidan, l’aîné Moulay Mohammed se révolte et s’empare de Marrakech. À l’approche de son frère Moulay Zidan à la tête d’une armée, Moulay Mohammed prend la fuite et se cache à Taroudant. Son frère assiège la place, le capture et l’emmène à Meknès. Son père le punit cruellement en l’amputant d’une main et d’un bras.
Il élimine ensuite avec une violence inouïe, un caïd de Marrakech coupable d’avoir livré la ville à Moulay Mohammed. Celui-ci décède quelques jours plus tard malgré les précautions de son père pour le garder en vie. Puis en apprenant les horreurs que commet Moulay Zidan à Taroudant, Ismaïl organise la mort de son fils et engage ses femmes qui l’étouffent en 1707 alors qu’il était en état d’ébriété.
Mécontent de Moulay Abdelmalek , gouverneur du royaume de Souss, du fait que celui-ci se comporte comme un souverain absolu et indépendant, et qu’il refuse en 1718 de payer les tribus, Ismaïl décide de changer l’ordre de succession d’autant plus que la mère d’Abdelmalek n’a plus d’importance pour lui.
Abdelmalek présentera plus tard ses excuses après une réconciliation, mais Ismaïl conserve une haine envers son fils.
En 1720, Philippe V d’Espagne qui veut se venger de Moulay Ismaïl pour avoir fourni de l’aide aux impériaux durant la guerre de succession d’Espagne [26], envoie le marquis de Lede, à la tête d’une flotte lever le siège de Ceuta et forcer l’armée marocaine à renoncer à une entreprise qu’il lui a coûté de lourdes pertes.
Moulay Ismaïl décide de remettre le siège devant Ceuta en 1721. Le Sultan qui voulait se venger des Espagnols avait préparé un armement considérable qu’une tempête détruit en 1722. Le siège de Ceuta dure jusqu’à la mort du souverain alaouite en 1727.
Moulay Ismaïl meurt finalement le 22 mars 1727 à l’âge de 81 ans, d’un abcès au bas-ventre accompagné du chagrin de ne plus pouvoir monter à cheval selon ses habitudes. Moulay Ahmed lui succède.
À sa mort, l’Empire se déchire en raison d’une rébellion causée par les Abid al-Bukhari, où plus de 7 prétendants au trône se succèdent entre 1727 et 1757, dont certains à plusieurs reprises comme Moulay Abdallah ben Ismaïl qui a été sultan 6 fois.
Moulay Ismaïl fut un roi bâtisseur, ses constructions sont autant politique, économique, culturelle, religieuse que militaire. Il choisit Meknès comme capitale de son empire en 1672. En raison de la frénésie de constructions qu’il déploie dans cette ville, il est souvent comparé à son contemporain Louis XIV. Il vide ainsi le palais saadien d’El Badi [27] de Marrakech de la quasi-totalité de ses richesses pour les faire transporter à Meknès, ainsi que tout le marbre et autres piliers encore utilisable dans la ville antique de Volubilis [28] avoisinante.
Employant pas moins de 30 000 de ses sujets comme ouvrier, ainsi que 2 500 esclaves chrétiens, Ismaïl aime aller au milieu de ses chantiers, corrige ou renverse ce qu’il ne lui convient pas, mais travaille aussi avec ses esclaves et ouvriers. Il est également cruel envers eux, et n’hésite pas à exécuter et punir ceux qui font mal leur travail. C’est par ces méthodes que Moulay Ismaïl impose ce travail d’esclaves à des populations entières.
Il commence la construction de son magnifique palais de Meknès avant de connaître les travaux de son contemporain Louis XIV à Versailles, selon les ambassadeurs occidentaux présents à Meknès à l’époque les remparts du palais seul faisaient plus de 23 kilomètres de long. Dâr-el-Kbira [29] le premier des palais à être fini après 3 ans de construction était immense à lui seul et possédait des jardins suspendue à l’image de ceux de Babylone [30], sitôt fini il se met à poser les fondations de Dâr-al-Makhzen qui devait relier une cinquantaine de palais les uns aux autres chacun comprenant ses propres thermes et sa propre mosquée pour ses multiples femmes et concubines et leur descendances, suivi ensuite par Madinat er-Riyad qui serait le lieu de résidence des vizirs.
Sur le plan militaire, il fait édifier un réseau de 76 forteresses qui jalonnent les principales routes et entourent les montagnes. Meknès est protégée par 40 kilomètres de murailles percés de 20 portes fortifiées de tours et de bastions. Dans le cadre de ses expéditions contre les Ottomans d’Alger, Moulay Ismaïl permet la pacification de l’Est du pays grâce à ses campagnes et à la construction d’un nombre important de forts protégeant le nord-est du pays. Des forts sont également construits dans les territoires de chaque tribu maintenant ainsi la sécurité dans le pays.
Il édifie également des constructions défensives lors de son périple des oasis du Touat jusqu’aux provinces de Chenguit, puis réorganise et reconstruit des murailles dans certaines villes à l’image d’Oujda et de Taza. Les garnisons d’Abid al-Bukhari sont souvent protégées de la kasbah dans les grands centres de population, à l’image de la kasbah des Gnaouas [31] de Salé.
Économiquement, Mouley Ismaïl construit le Hri Souani, important lieu de stockage des denrées alimentaires qui alimentent grâce à ces puits aussi bien le bâtiment que le bassin de l’Agdal, celui-ci construit pour irriguer les jardins de Meknès. De grandes écuries d’une capacité de 1 200 chevaux sont également construites par le sultan. Sur le plan politique et intérieur, il reçoit ses ambassadeurs dans le Koubat Al Khayatine, pavillon qu’il construit à la fin du 17ème siècle, tandis que c’est dans la prison Qara, que tous les criminels, esclaves chrétiens et prisonniers de guerre sont incarcérées.
Sur le plan religieux et culturel, Ismaïl dote la ville d’un nombre important d’institutions religieuses, mosquées et medersas, places publiques, fontaines et jardins. Il en est ainsi d’un perpétuel travail de construction acharné pendant tout le long de son règne de 55 ans.
Poursuivant la politique d’ouverture initiée par Abu Marwan Abd al-Malik, Moulay Ismaïl entretient de bonnes relations avec la France et la Grande-Bretagne afin de lier des relations commerciales. Elles concernent aussi la vente des marins chrétiens capturés sur mer principalement par les corsaires de Salé, mais aussi la création d’alliance. C’est ainsi que Moulay Ismaïl demande en vain à la France de l’aider dans son combat contre l’Espagne.
Une alliance contre la régence d’Alger est également élaborée en association avec la France et le Bey de Tunis. La Grande-Bretagne participe aussi en 1704 au blocus du port de Ceuta lors du siège de la ville.
En 1682, un traité d’amitié entre le Maroc et la France est signé à Saint-Germain-en-Laye, mais l’accès au trône d’Espagne du petit-fils de Louis XIV en 1710 condamne cette alliance, puis provoque en 1718 une rupture des relations diplomatiques avec la France et l’Espagne, puis le départ des commerçants et consuls français et espagnols.
Moulay Ismaïl envoie des ambassadeurs dont les plus connus sont Mohammad Temim et Abdellah Benaïcha qui ont visité la France. Une mission diplomatique a pour but de demander la main de Mademoiselle de Blois, l’une des filles naturelles de Louis XIV, mais sans succès.
Les relations avec la Grande-Bretagne sont très bonnes, puisque les Britanniques malgré la perte de Tanger aident Moulay Ismaïl dans son combat contre l’Espagne, et signent également plusieurs traités de paix et de commerce.
Après la rupture des relations avec la France, l’influence anglaise augmente. Moulay Ismaïl traite également avec Jacques II d’Angleterre, lui propose son aide et lui demande de se convertir à l’Islam.