La célébrité et la richesse de l’abbaye du Mont Saint-Michel [1] avaient fait vivement regretter à Suppo d’avoir refusé l’élection canonique que l’administration lui en avait conférée ; aussi ne négligea-t-il aucun moyen pour ressaisir cette dignité, dont l’influence ducale, le crédit de Jean, l’abbé de Fécamp [2], le firent enfin revêtir l’année même où la mort frappa son prédécesseur Théodoric.
Les premiers temps de sa prélature lui méritèrent l’affection et le respect de ses religieux par le désintéressement et la générosité dont il donna d’abord d’éclatantes preuves. Outre plusieurs reliquaires qu’il apporta d’Italie, il enrichit l’église d’ornements et de vases en argent d’un grand poids : la beauté des ciselures rehaussait encore le prix de la matière.
Sous l’administration de Suppo, le monastère du Mont Saint-Michel vit sa richesse se développer par les libéralités de plusieurs seigneurs normands.
Le vicomte du Cotentin, le chevalier Néel II de Saint-Sauveur , témoigna de sa dévotion pour l’archange saint Michel. Néel, dont l’existence s’était écoulée au milieu du tumulte des guerres et du faste des cours, offrit à ce monastère tous les domaines qu’il possédait dans Guernesey [3], et dans les îles voisines, et voulut terminer sous le froc une vie passée jusqu’alors sous le haubert.
Guillaume Pichenot ne tarda pas à suivre son exemple. Cette abbaye où il devait bientôt après porter l’habit religieux, reçut de lui, en 1034, la Pierrette avec toutes ses dépendances, dont Guillaume le Conquérant approuva et signa la charte. Ce prince, à la même époque, donna à ce monastère les îles de Sercq [4] et d’Anglesey [5], en compensation de la moitié de l’île de Guernesey, aumônée à ce lieu par son père, et qu’il convertit en fief pour un seigneur de sa suite.
Enfin, le roi d’Angleterre, Édouard le Confesseur, combla ces libéralités par sa munificence : le prieuré de Cornouilles, la terre de Veunerie avec les villages, châteaux et terres de toute nature ; le port de Ruminella avec son territoire, ses moulins et ses pêcheries, furent les objets de la donation par laquelle il témoigna sa piété envers le saint patron du Mont Saint-Michel.
La bibliothèque du Mont Saint-Michel dut également à Suppo beaucoup de volumes très précieux qui, d’après don Huynes, n’étaient pas parvenus jusqu’à son époque.
Cette somptuosité ne tarda pas à entraîner Suppo dans des prodigalités qui lui ôtèrent l’affection et l’estime de son couvent. Le monastère devint le rendez-vous de ses parents, qu’il appela d’Italie pour les enrichir des dépouilles de la communauté.
Négligeant l’observance des règles disciplinaires, autant à son égard qu’à celui des autres, il s’abandonna à une vie dissipée, où disparurent les prix du moulin Lecomte, donnés par le duc Robert, et de plusieurs terres dont l’aliénation fut le fruit de ses désordres.
Ces derniers actes soulevèrent si fortement la colère des moines contre lui, qu’il se vit contraint de se dérober à leur vengeance en retournant se réfugier dans l’abbaye de Frutare [6], où il termina sa vie 13 ans plus tard.