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Bertrand d’Argentré

dimanche 4 mars 2018

Bertrand d’Argentré (1519-1590)

Juriste et historien breton

Fils de Pierre d’Argentré, l’un des hommes les plus instruits de son temps, sénéchal de Rennes [1], qui eut un rôle important dans les tractations qui ont conduit à l’édit d’Union de la Bretagne à la France en 1532.

Bertrand d’Argentré est également le petit-neveu de l’historien Pierre Le Baud, l’aumônier d’Anne de Bretagne, dont il se fait remettre les ouvrages et les notes diverses.

Il devient le sénéchal de Vitré  [2] en 1541, puis celui de Rennes en 1547 à la suite de son père, avant de devenir président du présidial [3] de Rennes de 1552 à 1589.

En 1582, il doit abandonner le titre de sénéchal de Bretagne, et demeure seulement président du présidial. Il défend avec acharnement les prérogatives du présidial, et entre régulièrement en conflit de compétences avec d’autres juridictions (sénéchaussée) et surtout le Parlement à qui il reproche, avec son ami l’écrivain Noël du Fail, d’être composé pour moitié de membres non issus de la Bretagne, et ignorants des coutumes du pays.

En 1576 et 1584, il publie des Commentaires en latin et en français sur le texte de 1539 de la Coutume de Bretagne. La suite de ces commentaires, inachevés, est publiée par son fils Charles après sa mort. Muni d’une forte personnalité, il refuse les honneurs qui l’auraient conduit à délaisser la Bretagne, comme la place très convoitée de maître des requêtes du Palais [4] que lui propose Charles IX.

Il est l’un des principaux artisans de la Nouvelle coutume de Bretagne [5], solennellement publiée en 1580. Dans l’esprit, il défend l’originalité du droit provincial, et lutte contre l’influence des droits français et romain. Cette coutume est incomplète et discutée. Elle constitue néanmoins une base complétée par la jurisprudence au 17ème siècle.

Homme d’une grande culture, il possède une des plus riches bibliothèques du royaume, aux qualités intellectuelles indéniables, il fait de l’histoire une science rationnelle, fondée sur la confrontation critique des documents, en privilégiant l’écrit et la source proche des événements au récit légendaire.

Dès 1540 il réalise un ouvrage où il soutient que la Bretagne a toujours été indépendante, et qu’elle n’est devenue une province française qu’en 1491, sous conditions. Après la contestation par les États de Bretagne de nouveaux impôts par le roi de France en 1577, il rédige sur leur commande une Histoire de Bretagne de 1580 à 1582. Il développe cette idée d’une Bretagne bien antérieure à la monarchie française.

L’ouvrage est saisi sur ordre d’Henri III, pour “faits contre la dignité de nos rois, du royaume et du nom françois” . L’ouvrage est censuré et ne sort qu’en 1588. Cette version expurgée est rééditée en 1605, 1611, 1618 et 1668, mais le texte de 1582 entame une carrière clandestine et est longtemps vendu sous le manteau, et ceci avec la couverture officielle.

Pour contrer les travaux d’Argentré, Henri III charge Nicolas Vignier d’établir une réfutation, ce fut le “Traité de l’ancien état de la petite Bretagne et du droit de la couronne de France sur icelle” qui parut en 1619.

En 1589, à 69 ans, nouveau retraité, il s’engage en faveur du duc de Mercœur Philippe-Emmanuel de Lorraine , gouverneur de Bretagne, qui s’oppose au roi, et qui semble vouloir également rétablir la principauté bretonne, car il est l’époux de l’héritière des Penthièvre [6], qui pourrait, de ce fait, revendiquer la couronne de Bretagne.

Bertrand d’Argentré meurt l’année suivante. Son corps est ramené à Rennes pour y être inhumé dans l’église des cordeliers.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Didier Le Fur, « L’histoire de Bertrand d’Argentré », in Anne de Bretagne : miroir d’une reine, historiographie d’un mythe, Paris, Librairie Guénégaud, 2000, p. 155-159 (présentation sous un jour plutôt hostile du personnage et de son Histoire).

Notes

[1] L’office de sénéchal de France est entre le 10ème et le 12ème siècle le premier des grands offices de la couronne de France. Héritier lointain du Maire du Palais, le sénéchal est à l’origine le chef de la maison du roi mais ses attributions dépassent bien vite le cadre domestique pour en faire le personnage le plus puissant du royaume après le souverain. Il a notamment le contrôle des armées royales. Il avait la surintendance de la maison du roi, et donnait ordre aux vivres. En temps de guerre, il conduisait les troupes et réglait la dépense.

[2] La baronnie de Vitré est un ancien territoire breton dont la capitale était située à Vitré. C’était l’une des neuf anciennes baronnies de Bretagne et était d’ailleurs considérée comme étant la plus puissante et la plus prospère. C’est sous le règne de Robert 1er que la ville de Vitré va naître et va devenir la capitale de la nouvelle baronnie. Les deux églises ont aujourd’hui disparues : l’église Saint-Pierre est à l’origine de l’actuelle église Notre-Dame et l’église Sainte-Croix fut reconstruite à de nombreuses reprises. Par la suite, la baronnie de Vitré s’agrandit de plus en plus jusqu’à comprendre près de 80 paroisses. Mais les barons de Vitré occupèrent d’autres seigneuries : Riwallon, par exemple, fut vicomte de Rennes et aussi seigneur d’Acigné et de Marcillé, André II fut comte de Mortain... Certains barons furent de fervents protecteurs de la Bretagne, et donc de la baronnie, contre les envahisseurs anglais : on peut citer Robert 1er et André II. En 1248, le baron André III part en croisade en Terre-Sainte. Il y meurt en 1250 lors de la bataille de Mansourah. Son seul fils, André, un enfant, va hériter de la baronnie mais il mourra l’année suivante. C’est alors sa sœur, Philippa, dernière représentante de la Famille de Vitré, qui devint baronne. À sa mort, en 1254, la baronnie de Vitré passe aux mains de son mari, le baron Guy VII de Laval.

[3] Le Présidial (pluriel : présidiaux) est un tribunal de justice de l’Ancien Régime créé au 16ème siècle. C’est en janvier 1551, c’est-à-dire en 1552 de notre calendrier actuel, que le roi Henri II de France, désireux de renforcer son système judiciaire et de vendre de nouveaux offices, a institué par édit royal les présidiaux. Il en créait un dans les plus grands bailliages et sénéchaussées. 60 présidiaux étaient créés, dont 32 du ressort du Parlement de Paris. En fonction des besoins et des nécessités (ressources du Trésor, annexion de nouveau territoire, etc.), le nombre des présidiaux a atteint le nombre de 101 en 1764. Hiérarchiquement placé entre le bailliage et le Parlement, le présidial statuait sur les affaires civiles dont l’objet était inférieur à 250 livres tournois en capital ou 10 livres tournois de rente, ainsi que les affaires d’appel dont l’objet était compris entre 250 et 500 livres tournois en capital ou entre 10 et 20 livres tournois de rente. La sentence était exécutée par provision nonobstant l’appel.

[4] Le titre de maître des requêtes est porté en France, ainsi que dans certains autres pays d’Europe, depuis le Moyen Âge, par les titulaires de certaines hautes fonctions judiciaires et administratives. Les maîtres des requêtes ordinaires de l’hôtel du Roi étaient, depuis le Moyen Âge, des officiers propriétaires d’une charge extrêmement prestigieuse et devenue, sous Louis XIV, particulièrement coûteuse. Les maîtres des requêtes étaient les collaborateurs du chancelier de France, dont ils dépendaient étroitement. Ils étaient associés à l’œuvre de justice à travers l’audience du sceau et le Conseil des parties, auquel ils assistaient. Ils siégeaient par quartiers trimestriels. Chaque quartier avait son doyen. Le doyen des doyens avait rang de conseiller d’État. Au Conseil, les maîtres des requêtes étaient debout et découverts. Ils étaient membres du parlement de Paris où ils pouvaient siéger mais pas plus de quatre en même temps. Ils n’étaient justiciables que devant les chambres assemblées du Parlement. Ils étaient fréquemment appelés comme rapporteurs dans les Conseils de gouvernement. Du fait de leurs formations de juges et d’administrateurs, ils formaient le vivier dans lequel se recrutaient naturellement les très hauts fonctionnaires et les membres du Gouvernement royal : conseillers d’État, intendants des provinces, intendants des finances, intendants du commerce, contrôleurs généraux des finances, lieutenants généraux de police, etc.

[5] source juridique applicable en Bretagne

[6] Le comté de Penthièvre est le nom d’un fief breton situé au nord du duché, entre Saint-Malo et Saint-Brieuc. Le duc Alain III de Bretagne donna le comté en apanage à son frère Eudes en 1035, qui forma ainsi une branche cadette de la maison de Bretagne. En 1569, lors de son érection en duché-pairie, le comté de Penthièvre comprenait les villes de Lamballe, Moncontour, Guingamp et Bourbriac, le comté de Plourhan dit La Rochesuart, l’île de Bréhat, les terres et châtellenies de Minibriac, Belle-Isle-en-Terre et Beaufort d’Ahouet, Le Pontneuf, les ports et havres de Couesnon et d’Arguenon et les seigneuries de Cornouaille, avec leurs dépendances. En 1657, Lamballe, Moncontour, Guingamp, Bourbriac et le Minibriac, avec leurs dépendances, furent vendus et séparés du duché, pour y être réintégrés en 1666.