Rien ne destinait ce Hollandais de Rotterdam d’origine modeste, à devenir une des plus grandes figures de son temps. Il fut appelé le Prince des Humanistes et vécut à une période caractérisée par le renouvellement de la plupart des concepts de la connaissance et le retour aux sources de l’antiquité gréco-romaine.
Il suit d’abord les enseignements de diverses écoles dont celle des Frères de la vie commune, qui mêle vie active et contemplation, enseignements de la Bible et lectures des auteurs de l’antiquité païenne. C’est alors que naît en lui l’ambition de débarrasser le christianisme de la scolastique qui, par ses commentaires interminables, son latin incompréhensible aux non initiés, éloigne de la vérité profonde des Écritures. À l’âge de 17 ans, il prend le nom sous lequel il va devenir célèbre : Desiserius Erasmus Roterodamus (erasmos signifiant en grec “ l’aimé”). Après une vie monastique où il accumule un savoir encyclopédique, il est nommé prêtre à 25 ans et se sent prêt à se mesurer à l’obscurantisme. Sa vie sera dès lors jalonnée de longs voyages à travers l’Europe, l’Italie, l’Angleterre en passant par la France. Sa popularité intellectuelle fut telle qu’à partir de sa 30ème année, il fut régulièrement convié à être l’invité des rois, empereurs ou souverains de son temps... Tous ceux qui cherchaient à obtenir un statut remarqué dans le monde des lettres veillaient à s’assurer l’amitié d’Érasme.
Entre 1500 et 1503 il publie les “Adages” et le Manuel du Soldat Chrétien qui propose une réforme catholique libérale, fondée sur la charité. Il s’attelle ensuite à une traduction du Nouveau Testament à laquelle il consacrera une dizaine d’années. Il séjourne longuement en Italie, où la publication de ses Adages ainsi que ses éditions d’auteurs grecs (Platon, Plutarque) ou latins (Plaute, Térence, Sénèque) le classent parmi les plus grands savants de son époque. Puis il retourne en Angleterre chez son ami Thomas More où il y rédige en quelques jours son fameux “Éloge de la Folie” qu’il composa en partie à cheval (!) pendant son voyage vers l’Angleterre alors qu’il quittait l’Italie. C’est un joyeux sermon plein de paradoxes qui vise à réconcilier Socrate, Salomon et le Christ et une attaque en règle dirigée contre les comportements des classes dirigeantes. Il retourne ensuite aux Pays-Bas et fait de nombreux séjours à Bâle, où il prépare l’édition de sa traduction de la bible.
Cette publication va déclencher l’hostilité des théologiens réactionnaires qui condamnent tous les hellénistes et exégètes partisans du recours direct à l’Évangile. Cependant, l’influence grandissante de Luther embarrasse Érasme : on lui reproche d’avoir “couvé l’oeuf” et d’être responsable de l’active “hérésie luthérienne” qui se développe. Les deux camps, celui des Réformés et celui des tenants du catholicisme traditionnel, le somment de prendre position. Érasme plaide l’unité et la réconciliation.
François 1er, fasciné par cette figure hors du commun, cherche à l’attirer à la Cour, mais Érasme veut avant tout rester indépendant et refuse toutes ses invitations. En 1521, il quitte définitivement les Pays-Bas et s’installe à Bâle. C’est là que commence la querelle avec Luther, à coups d’essais philosophiques. Derrière les deux champions se cristallisent des regroupements qui annoncent les guerres de religion. Cependant, Érasme reste un pacifiste convaincu. Il refuse de prendre parti et proclame que l’Europe doit s’unir et que l’Église doit tout faire pour retrouver son unité perdue. Face à la montée de l’extrémisme, Érasme est obligé de fuir à Fribourg. Il reviendra à Bâle passer la dernière année de sa vie. Son objectif humaniste est fondamentalement positif : sélectionner chez les Anciens, comme dans l’Ancien Testament, les idées conciliables avec le message évangélique. Il estime que la révélation n’est pas l’apanage des érudits et doit être accessible au plus grand nombre. La foi ne peut être vécue qu’en ayant une vraie connaissance des textes.