Dante vécut dans un climat de luttes sociales et de guerres régionales, où l’empire et la papauté constituaient des pôles d’engagement ou des prétextes d’alliance plus que des causes embrassées pour elles-mêmes. Quand il naquit, sa ville était depuis 5 ans aux mains des gibelins [1], qui en avaient chassé les guelfes [2] en 1266, Florence [3] repassait aux mains de ces derniers, et les gibelins en étaient expulsés à leur tour, perdant à jamais la partie. Les guelfes allaient se diviser un peu plus tard en Noirs et Blancs, et c’est comme Blanc que Dante devait être un jour proscrit.
C’est pendant son exil que Dante écrivit la Comédie à laquelle l’admiration de la postérité ajouta l’épithète "divine", et dont le titre définit, suivant les catégories littéraires d’alors, avec un style moins noble et soutenu que celui de la tragédie et dont le modèle est “l’Énéide” de Virgile. C’est un poème de l’imminence au regard du destin du monde, des chances de l’homme dans cette vie, et non seulement dans une autre, des anxiétés aussi que fait peser sur la conscience collective l’appréhension d’une "fin des temps".
Cette Comédie forme un récit vivant qui absorbe et renvoie à tout instant au dernier "vécu". Entre le centre de la Terre, où “Lucifer”, dans sa ténébreuse prison de glace, occupe la pointe de l’immense excavation en cône renversé qui contient l’Enfer et l’Empyrée, où Dieu est perçu comme un océan de lumière. Plus sensible que toutes est l’amplification résolue qui, après la force pathétique et l’intensité expressionniste de l’Enfer, s’accentue avec l’émotion plus élégiaque et plus pénétrante du Purgatoire et aboutit au miraculeux triomphe de l’imaginaire dans le Paradis.
Dante convertit son aveu d’impuissance en un prodige de poésie, qui ouvre justement sur l’inexprimable les perspectives infinies que son imagination pressent. Des trois "cantiques", c’est l’Enfer qui est le plus connu, le plus populaire peut-on dire. Le goût du pittoresque, répandu par la critique romantique, y est pour beaucoup. Dante avait pourtant la conviction, maintes fois affirmée dans son poème, qu’en s’élevant d’un royaume à l’autre, il élevait chaque fois sa poésie par un dépassement de niveau qui la rendait digne d’une matière sans cesse plus "haute". Ce n’est qu’en l’embrassant en son entier, par une lecture qui ne s’arrête pas aux moindres détails d’époque, qu’on peut y percevoir tout à fait la puissance et le prix de la poésie de l’ineffable auprès de celle du concret, saisi avec le plus violent réalisme. C’est pourquoi le Paradis ne doit pas être considéré seulement comme la troisième section du poème, mais comme sa conclusion. Dante sera beaucoup plus en faveur au 19ème siècle qu’au cours des 3 siècles précédents.