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L’histoire pour le plaisir

Jean de Jullienne

lundi 22 avril 2024, par lucien jallamion

Jean de Jullienne (1686-1766)

Manufacturier et amateur d’art-Mécène et collectionneur français

François Jullienne en se retirant des affaires en 1729, laisse la direction des manufactures dites royales de teintures et de draps fins [1] créées avec son beau-frère Jean Glucq à proximité de la Manufacture Royale des Gobelins [2], à leur neveu, Jean Jullienne, qu’ils avaient choisi et dont ils avaient assuré la formation.

Celui-ci, fils d’un marchand de drap de la rue Saint Honoré [3], obtint un brevet de compagnon le 6 avril 1712, sa maîtrise le 9 août 1719 après avoir pensé devenir peintre et graveur. Mais son condisciple Watteau, rencontré en même temps qu’ Antoine Dieu et François Lemoyne à l’Académie du Louvre et à l’école de dessin des Gobelins l’aurait dissuadé de persévérer, alors que leur professeur François de Troy lui trouvait quelques aptitudes.

Jean Jullienne donna une impulsion extraordinaire aux établissements de ses oncles réunis en 1721, qu’il fit connaître à l’étranger et dont il fit renouveler régulièrement les privilèges. En 1765, Duhamel du Monceau mentionne la visite de ses ateliers dans son traité l’Art de la draperie destiné à l’Académie des sciences [4].

Travailleur infatigable, Jullienne devint immensément riche, son œil exercé depuis l’enfance et un goût très sûr lui permirent de conseiller les plus grands amateurs de l’époque et la fréquentation des salons et des ventes publiques l’amena plus tard à se constituer une splendide collection.

Dès 1717 et jusqu’en 1735, il achète près de 40 toiles mais n’en conservera que 8, dont “L’Amour désarmé et Mezzetin” et rassemble environ 450 dessins d’Antoine Watteau pour les faire graver par 36 artistes dont son ami le comte de Caylus Anne Claude de Caylus , son parent Jean-Baptiste de Montullé , Benoît Audran et son fils Benoît Audran dit le Jeune , Charles-Nicolas Cochin père , François Boucher alors âgé de 19 ans, Tardieu, Pierre Aveline , Carl Van Loo , etc. ; il consacre alors une partie de sa fortune à diffuser l’œuvre de l’ami disparu prématurément en publiant en 1728 2 volumes de Figures des différents caractères de paysages et d’études dessinées d’après nature par Antoine Watteau, tirés des plus beaux cabinets de Paris [5], en préface desquels il rédige un Abrégé de la vie de Watteau.

Puis en 1736, deux autres des estampes gravées d’après les tableaux et dessins de feu Antoine Watteau [6]. Outre 17 planches, on lui doit 5 eaux-fortes d’après Restout [7] conservées à la Bibliothèque nationale.

Ses témoignages et indications seront d’autant plus précieux pour inventorier les multiples œuvres de Watteau que certaines furent perdues ou détruites à jamais ; rarement datées et signées, elles furent néanmoins répertoriées grâce à ce laborieux travail de reproduction sur cuivre.

En septembre 1736, il est anobli par lettres patentes et fait chevalier de l’ordre de Saint-Michel [8]. Le 31 décembre 1739, il fit don à l’Académie de peinture et sculpture [9] des 4 volumes et fut nommé dès janvier 1740 conseiller honoraire et amateur de la savante compagnie qu’il combla de dons et dont il suivit assidûment les séances.

Watteau a peint son tableau “Rendez-vous de chasse” lors d’un séjour dans sa maison de campagne d’Ivry [10] revendue en 1739 pour acheter la propriété du peintre Noël Hallé à Passy qu’il cédera en 1757.

Toute sa vie, il protégea des artistes en leur offrant et en leur faisant passer des commandes ; il les abrita parfois chez lui et s’attacha à les faire connaître avec plus ou moins de succès.

Sa célèbre collection, exposée dans l’orangerie attenante à son hôtel de la rue de Bièvre, sera en partie dispersée dans le grand Salon carré du Louvre à partir du 30 mars 1767 jusqu’à la fin juillet ; ce fut un évènement mondain qui rassembla aussi de nombreux commissionnaires venus de toute l’Europe.

L’expert Pierre Rémy rédigea à cette occasion le Catalogue raisonné des tableaux, dessins et estampes, Claude-François Julliot le Catalogue des porcelaines et laques, comprenant à eux deux 1679 numéros. Ces catalogues de vente furent imprimés et publiés dès février 1767 par les soins de son neveu et successeur Jean-Baptiste-François de Montullé . Les premiers catalogues de vente avaient été introduits en 1733 par Edme-François Gersaint , également inventeur du « catalogue raisonné » dès 1736.

Une seconde vente d’objets d’art, dont le catalogue avait été rédigé par Jean-Baptiste Pierre Lebrun, eut lieu le 15 novembre 1778 et les jours suivants à l’hôtel d’Aligre [11], après la mort survenue le 13 mai précédent de Mme de Jullienne, née Marie Louise de Brécey, épousée le 22 juillet 1720.

L’ancienne paroisse Saint Hippolyte [12] dont il était marguillier [13] d’honneur, bénéficia de ses libéralités ainsi que les nombreux pauvres du faubourg Saint-Marcel [14] qui suivirent son cercueil en pleurant avant l’inhumation au pied de l’autel de la chapelle Saint-Michel, le 21 mars 1766.

Dans la chapelle sainte Anne de l’église Saint-Médard [15], se trouve depuis un tableau La religion invitant à ses saints mystères, qui fut commandé à Charles-Michel-Ange Challe par Jean de Jullienne qui avait fait exécuter par ailleurs une série de 10 grandes peintures illustrant la vie de saint Hippolyte par Simon Julien .

Jean de Jullienne avait racheté à son cousin germain Claude Glucq le testament artistique de Watteau, l’Enseigne de Gersaint, peint vers la fin de l’année 1720, où ils figureraient tous deux aux côtés de M. et Mme Gersaint. Il céda cette toile en 1744 à l’agent de Frédéric II de Prusse , le comte Rothenburg.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Isabelle Tillerot, Jean de Jullienne et les collectionneurs de son temps. Un regard singulier, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Collection Passages/Passagen, vol. 37, Centre allemand d’histoire de l’art. XII + 516 p., 100 ill. en noir + 43 pl. en coul. h. t., 2011.

Notes

[1] Les bâtiments du 3 bis font partie d’un ensemble qui s’étendait d’une portion de la rue Mouffetard, actuellement avenue des Gobelins depuis son élargissement par les travaux d’Haussmann, jusqu’au bord de la Bièvre (actuellement rue Berbier-du-Mets) sur la longueur de la rue de Bièvre, actuelle rue des Gobelins. Cet îlot appartenait à la famille Gobelin depuis l’installation de Jehan Gobelin en août 1443 sur les bords de la Bièvre pour exploiter un procédé de teinture. Jean III Gobelin et François Gobelin, héritiers de leur père et de leur grand-père, se sont répartis la propriété le 5 août 1523. Jean se réserve la partie basse, actuel « château de la Reine Blanche » avec ses dépendances, François la maison d’en haut, actuel 3 bis et bâtiments voisins jusqu’à l’actuelle rue Gustave-Geoffroy. Un acte du 14 juin 1580 décrit ce bien comme « une grande maison - la maison d’en haut - cours, granges, ateliers, ouvroirs à teintures, quai et autres appartenances de ladite maison ».

[2] La manufacture des Gobelins est une manufacture de tapisserie dont l’entrée est située au 42, avenue des Gobelins à Paris dans le 13e arrondissement. Elle est créée en avril 1601 sous l’impulsion d’Henri IV, à l’instigation de son conseiller du commerce Barthélemy de Laffemas. Reprenant pour le compte de Louis XIV le plan mis en œuvre par Henri IV, Colbert incite peu avant 1660 le hollandais Jean Glucq à importer en France un nouveau procédé de teinture écarlate appelé « à la hollandaise ». Celui-ci se fixe définitivement en 1684 dans une des maisons de l’ancienne folie Gobelin qu’il achète et embellit après avoir obtenu des lettres de naturalité. Appréciant la qualité des productions de l’enclos des Gobelins, Colbert réussit à convaincre Louis XIV de donner les moyens nécessaires au lustre censé glorifier la monarchie. Voulant donner une tout autre organisation à l’œuvre d’Henri IV, il ne renouvelle pas à Hippolyte de Comans la concession en 1661 : il emprunte afin d’acheter le 6 juin 1662 au sieur Leleu, à l’emplacement de l’ancien Clos Eudes de Saint Merry, l’hôtel des Gobelins (environ 3,5 hectares, maintes fois agrandi jusqu’en 1668) pour la somme de 40 775 livres et regrouper autour tous les ateliers parisiens ainsi que celui créé à Maincy par Nicolas Fouquet. Ainsi naît la Manufacture royale des Gobelins qui dépend du surintendant des bâtiments et est soumise par lui à l’autorité du premier peintre du Roi, Charles Le Brun, lequel, nommé officiellement en 1663, a par la suite sous ses ordres des équipes entières d’artistes. Il cumule donc la direction de la Manufacture des Meubles de la Couronne. C’est ainsi qu’incluse dans la Manufacture des Meubles de la Couronne, la Manufacture des Gobelins reçoit de l’édit royal de novembre 1667 son organisation définitive, d’importants avantages étant octroyés à ses habitants

[3] La rue Saint-Honoré, située dans les 1er et 8e arrondissements de Paris, est l’une des plus longues voies de la capitale. Elle permet de joindre les Halles, à l’est, au quartier de la Madeleine, à l’ouest, en passant par les quartiers du Palais-Royal et de la Place-Vendôme.

[4] L’Académie des sciences, nommée l’Académie royale des sciences lors de sa création en 1666, est l’une des cinq académies regroupées au sein de l’Institut de France et composée de 262 membres dont 28 femmes en mars 2016. Elle encourage et protège l’esprit de recherche, et contribue aux progrès des sciences et de leurs applications.

[5] 351 planches

[6] 271 planches

[7] La famille Restout est une dynastie d’artistes français dont est issu un grand nombre de peintres

[8] L’ordre de Saint-Michel est un ordre de chevalerie, fondé à Amboise le 1er août 1469 par Louis XI, sous le nom d’« Ordre et aimable compagnie de monsieur saint Michel ». Les membres de l’ordre de Saint-Michel se disaient chevaliers de l’ordre du Roi, alors que les chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit s’intitulaient « chevaliers des ordres du Roi ». Son siège était établi à l’abbaye du Mont-Saint-Michel.

[9] L’Académie royale de peinture et de sculpture est une ancienne institution d’État chargée en France, de 1648 à 1793, de réguler et d’enseigner la peinture et la sculpture en France durant l’Ancien Régime. L’acte créant l’Académie royale de peinture et de sculpture date du 20 janvier 1648, jour de la requête au Conseil du roi de Louis XIV (alors enfant) par l’amateur d’art Martin de Charmois, conseiller d’État originaire de Carcassonne où il possède un cabinet de curiosité remarquable. Cette institution est ainsi fondée sur mandat royal, sous la régence d’Anne d’Autriche, à l’instigation d’un groupe de peintres et de sculpteurs réunis par Charles Le Brun, qui avait pris la première initiative.

[10] Ivry-sur-Seine est une commune française située dans le département du Val-de-Marne en région Île-de-France. Limitrophe de Paris, la ville fait partie de la Métropole du Grand Paris. Située sur la rive gauche de la Seine, à environ 5 km du centre de Paris, la commune est amputée, à deux reprises, de parties de son territoire, au 19ème siècle, qui furent englobées dans le 13ème arrondissement de Paris.

[11] L’hôtel d’Aligre (ou d’Imbercourt, ou de Beauharnais) est un hôtel particulier situé à Paris. Il est situé au 15, rue de l’Université dans le 7e arrondissement de Paris. Il est construit en 1681, par le maître maçon Tape, pour le compte de Jacques Laugeois d’Imbercourt, un riche fermier général issu d’une famille de marchands parisiens, qui avait racheté le terrain à la famille d’Aligre. Il est possible que l’hôtel construit remplace une demeure préexistente.

[12] vendue comme bien national en 1793 et démolie au 19ème siècle

[13] Le marguillier, soit en latin médiéval le matricularius, est d’abord celui « qui tient un registre ou un rôle (matricula) ». La première fonction connue du matriculaire, officier de la religion chrétienne (religion attentive à la pauvreté christique), était d’immatriculer les pauvres de l’église, c’est-à-dire de les inscrire sur le registre d’aumône. La seconde est l’administration des registres de ces pauvres personnages. Il existait donc, dans chaque paroisse, un marguillier qui avait la charge du registre des personnes qui recevaient les aumônes de l’Église. Le marguillier servait d’aide au sacristain. Ce n’était pas une profession, mais une charge.

[14] Le faubourg Saint-Marceau ou Saint-Marcel est un quartier de Paris situé à cheval entre les 5e et 13e arrondissements. Il était surnommé faubourg souffrant car ce quartier fut pendant longtemps le plus laid, le plus triste et le plus pauvre de Paris

[15] L’église Saint-Médard est située au no 141 rue Mouffetard à Paris, sur la rive gauche de la Seine, au sud-est de la montagne Sainte-Geneviève. Édifiée du 15 au 18ème siècle, elle est l’église paroissiale des fidèles d’une partie du 5e arrondissement, quartier du Jardin-des-Plantes et partiellement quartier du Val-de-Grâce, ainsi que d’une partie du 13e arrondissement, parties des quartiers Croulebarbe et de la Salpêtrière. Depuis la séparation des Églises et de l’État de 1905, elle est la propriété de la Ville de Paris et affectée (droit d’usage exclusif et gratuit) au culte catholique.