Voltaire , qui fut son élève, garda toute sa vie une profonde vénération pour lui. Fils de Thomas Porée et de Madeleine Richer, de la Ferté-Macé [1].
Charles Porée, après avoir fait au collège du Mont, à Caen [2], de brillantes études dans lesquelles ses succès lui valurent, de la part de ses condisciples, le titre de “dictator perpetuus”, entra chez les jésuites [3], le 8 septembre 1692, alors qu’il n’était âgé que de 17 ans. Il fit d’abord deux années de noviciat, une troisième année qu’il employa à repasser les humanités, et il fut envoyé, à peine âgé de 20 ans, à Rennes, en 1695, pour y faire une expérience apostolique* ( [4]’).
La manière dont il s’acquitta de cet emploi engagea ses supérieurs à le charger immédiatement de la classe de rhétorique, et le succès qu’il obtint dans cette classe fut tel, qu’on le regarda dès lors comme un homme qui égalerait un jour ceux qui avaient parcouru la carrière du professorat avec le plus d’éclat.
Appelé l’année suivante à Paris pour se disposer à recevoir le sacerdoce, le jeune Porée prit la direction d’un grand nombre de pensionnaires. Les progrès rapides des élèves justifièrent le choix qu’on avait fait de lui. Cette occupation ne l’empêcha pas d’approfondir la théologie assez pour y briller.
Il s’essaya aussi à la prédication de façon à donner une idée assez avantageuse de ses talents pour faire hésiter les jésuites sur la destination qu’ils devaient lui donner. Peu s’en fallut néanmoins que, cédant à ses vives sollicitations, ils ne le consacrent aux missions étrangères.
À la fin du carême de 1708, le père Porée fut nommé à la direction du cours de rhétorique du collège Louis-le-Grand, où il se montra à la hauteur de ses devanciers, peut-être même les dépassa-t-il dans l’art de former les jeunes gens.
Il se fit aimer de ses élèves en leur montrant qu’il les aimait lui-même, s’appliquant à connaître leurs penchants, à démêler leurs dispositions et à développer simultanément chez eux l’amour du bien et du beau, et le goût pour les lettres.
Quand ses leçons publiques ne suffisaient pas, il les prenait en particulier, les rappelait à leurs devoirs, et les exhortait avec tant de douceur et de dignité, d’un ton si touchant et si pathétique, que, persuadés d’ailleurs qu’il ne leur disait rien dont il ne soit lui-même pénétré, il s’attira leur vénération et leur estime de telle sorte qu’il eut rarement besoin d’user avec eux de sévérité.
Tous demeurèrent ses amis, se faisant un devoir de le consulter dans les occasions importantes de leur vie, et se dirigeant d’après ses conseils. Le plus célèbre d’entre eux est Voltaire, dont il avait deviné le talent et encouragé les premiers essais dès le collège, où il le chargeait de faire des compliments d’étrennes qu’on demandait pour les princes et d’autres grands personnages. Voltaire resta en correspondance avec le père Porée et lui envoyait ses ouvrages.
Fuyant le monde, le père Porée consacrait tout son temps à ses élèves, ne sortant presque jamais, et seulement lorsqu’il ne pouvait s’en dispenser. L’étude et la prière étaient ses seules distractions aux devoirs de son poste. Ses études étaient, sauf une dizaine de poésies proprement dites et quelques harangues d’apparat, presque toutes dirigées vers des matières d’instruction et la plupart des ouvrages qu’il a laissés sont destinés aux collèges, dans lesquels ils furent si bien reçus que ses collègues se plaignirent bientôt de ce que leurs élèves négligeaient les classiques pour ses écrits et ceux de ses imitateurs.
Le père Porée n’a pourtant pas eu que des panégyristes ; plusieurs critiques l’ont traité avec une grande sévérité. Son oraison funèbre de Louis XIV donna lieu à une polémique grave, qui dégénéra presque en querelle, entre lui et Grénan , professeur de rhétorique au collège d’Harcourt [5]. Plus tard, les rédacteurs de l’Encyclopédie l’ont rudement attaqué dans leur article « collège ». Tout en rendant hommage à ses qualités personnelles, ils appellent son latin « un jargon », et écrivent que ses successeurs ne sauraient trop s’éloigner de ses traces.
Les seules pièces de théâtre de Charles Porée qu’on ait pu retrouver sont au nombre de 11, 6 tragédies et 5 comédies néo-latines destinées à être jouées par les élèves des collèges jésuites.
Vers la fin de l’année 1740, sentant ses forces faiblir, le père Porée avait demandé un successeur à ses supérieurs ; il voulait quitter Paris pour se livrer tout entier aux exercices de la piété. Les Mémoires de Trévoux [6] rapportent qu’une fièvre violente l’avait obligé à quitter sa classe pendant un jour. Il lutta contre la maladie, et trois jours avant sa mort il avait repris, au grand étonnement de tous, ses cours et célébré la messe. Le 10 janvier 1741, on lui administra les sacrements, et le lendemain, il avait cessé de vivre. Sa mort, survenue alors qu’il venait d’atteindre l’âge de 66 ans, dont 33 passés dans la carrière du professorat, permit de faire un nouveau recueil de ses ouvrages, auquel il n’avait jamais voulu consentir.
La perte du père Porée fut vivement sentie du public. Louis XV et toute la cour prirent part au deuil. Des obsèques magnifiques lui furent faites, et il fut inhumé dans l’église des Jésuites.