Élisabeth de Bohême (1618-1680)
Princesse palatine-Abbesse protestante d’Herford
Née à Heidelberg [1], elle était philosophe et est célèbre pour la correspondance philosophique qu’elle maintint avec Descartes jusqu’à la mort de ce dernier.
Fille de Frédéric V et d’Élisabeth Stuart, qui furent brièvement souverains de Bohême [2]. À la suite de la destitution de son père, elle vécut en exil, d’abord à Heidelberg auprès de sa grand-mère Louise-Juliana d’Orange-Nassau , fille de Guillaume d’Orange, qui lui enseigna la piété.
Vers l’âge de 9 ou 10 ans elle fut envoyée avec ses frères et sœurs à Leyde [3] pour parfaire leur éducation. Là, elle étudia les lettres classiques et modernes, les mathématiques, les langues anciennes et contemporaines, ainsi que les arts et montra une inclination particulière pour la philosophie. Elle y gagna le surnom de la Grecque, pour sa maîtrise impressionnante des langues anciennes.
Après ses études, elle rejoignit ses parents à La Haye [4] où ils tenaient leur cour en exil. On forma des plans en vue de la marier à Ladislas IV Vasa , roi de Pologne [5], mais, très attachée à la religion protestante, elle refusa de s’unir avec un souverain catholique.
Vers 1650, elle partit retrouver à Heidelberg son frère Charles 1er Louis à qui le traité de Westphalie [6] avait rendu le Palatinat [7], mais ses déboires conjugaux la poussèrent à s’en aller. Lors d’une visite à Krossen [8] où vivait une de ses tantes, elle rencontra Johannes Cocceius qui plus tard entra en correspondance avec elle et qui lui dédia son commentaire du Cantique des Cantiques. Il l’amena à l’étude de la Bible.
En 1667 elle devint abbesse protestante du monastère d’Herford [9] où elle se distingua par son exactitude à remplir ses devoirs, par sa modestie et sa philanthropie, et particulièrement son hospitalité envers les persécutés pour raison de conscience. En 1670 elle reçut Jean de Labadie et ses disciples, dont la piété l’attira. Attristée par le départ de la congrégation en 1672, elle retint un petit groupe de sympathisants sous sa protection.
Les Labadistes [10] furent suivis par les quakers [11]. En 1677 William Penn lui-même y demeura 3 jours avec Robert Barclay , présidant des réunions qui laissèrent une forte impression dans l’esprit d’Élisabeth. Son amitié pour Penn dura jusqu’à sa mort, et il célébra sa mémoire dans la seconde édition de son livre “No Cross, No Crown” en 1682, louant sa piété et ses vertus, sa simplicité, son équité, son humilité et sa charité. Leibniz lui rendit visite en 1678.
Dès 1639, elle échangea une correspondance avec Anne Marie de Schurman , une érudite surnommée “la Minerve hollandaise”. Peu après, elle entra en contact avec Descartes qui, à sa demande, devint son professeur de philosophie et de morale, et lui donna des conseils pour soigner sa mélancolie.
Il lui dédia, en 1644, “ses Principes de la philosophie”. Ils poursuivirent leur correspondance quand Descartes partit, sur l’invitation de la reine Christine de Suède, pour Stockholm [12] où il mourut en 1650. Élisabeth posa à Descartes la question du rapport entre l’âme et le corps, que celui-ci considérait comme deux entités distinctes, mais à laquelle il ne put donner de réponse satisfaisante.
Elisabeth de Bohême est une figure importante de l’histoire féministe de la philosophie. Elle a attiré l’attention par son travail philosophique et pour l’appui qu’elle a apporté à d’autres intellectuelles du 17ème siècle.
Par ailleurs, elle a utilisé sa cour d’exil à La Haye pour créer un réseau propice aux femmes universitaires. Son réseau était un espace où les femmes pouvaient s’engager dans la recherche philosophique par correspondance. En plus d’Elisabeth, le réseau comprenait Anna Maria van Schurman, Marie de Gournay et Lady Ranelagh .
Notes
[1] Heidelberg est une ville située sur les deux rives du Neckar, dans le Land de Bade-Wurtemberg au sud-ouest de l’Allemagne. Heidelberg a été l’un des foyers de la réforme protestante et a accueilli Martin Luther en 1518. La ville est l’ancienne résidence du comte palatin, l’un des sept princes électeurs du Saint Empire romain germanique. Elle a été en partie détruite par l’armée française de Louis XIV lors de la dévastation du Palatinat en 1689 (guerre de la Ligue d’Augsbourg) et son célèbre château fut dévasté à cette époque.
[2] Le royaume de Bohême était un royaume situé dans la région de la Bohême, en Europe centrale, dont la plupart des territoires se trouvent actuellement en République tchèque. Devenu une possession héréditaire des Habsbourg en 1620, le royaume a fait partie du Saint Empire jusqu’à sa dissolution en 1806, après quoi il est devenu une partie de l’Empire d’Autriche, puis de l’Empire austro-hongrois.
[3] Pays-Bas
[4] La Haye a été fondée en 1248 par Guillaume II, comte de Hollande et roi d’Allemagne, puis du Saint Empire romain germanique. À cette date il a ordonné la construction d’un château dans une forêt près de la mer en Hollande, dans lequel il avait l’intention de s’installer après son couronnement. Guillaume II mourut dans une bataille avant celui-ci, stoppant ainsi la construction avant la fin. Aujourd’hui le château est appelé le « Ridderzaal » (littéralement : « salle des Chevaliers ») et est encore utilisé pour des événements politiques. Par la suite, La Haye a été le centre administratif des comtes de Hollande. De puissantes villes hollandaises comme Leyde, Delft et Dordrecht s’accordèrent pour choisir la petite et peu importante ville de La Haye comme leur centre administratif. Cette situation n’a jamais été remise en cause, ce qui fait aujourd’hui de La Haye le siège du gouvernement, mais pas la capitale officielle des Pays-Bas qui est Amsterdam.
[5] Le royaume de Pologne est dirigé alternativement par des ducs et des rois de 960 à 1320, puis uniquement par des rois jusqu’à sa disparition comme royaume indépendant en 1795. Les premières dynasties polonaises sont héréditaires ː les Piast, qui règnent jusqu’en 1370, et les Jagellon, sous lesquels le pays connaît son apogée territorial de 1386 à 1572. Avec l’extinction de la dynastie des Jagellon la monarchie parlementaire polonaise devient élective, et c’est l’assemblée de tous les nobles qui élit le roi. Le dernier roi de Pologne, Stanisław II August, abdique en 1795, suite aux partages du royaume par les puissances voisines. L’État polonais cesse d’exister.
[6] Les traités de Westphalie (ou Paix de Westphalie) conclurent la guerre de Trente Ans et la guerre de Quatre-vingts ans le 24 octobre 1648. Ils sont à la base du « système westphalien », expression utilisée a posteriori pour désigner le système international spécifique mis en place, de façon durable, par ces traités. Catholiques et protestants ayant refusé de se rencontrer, les négociations se tinrent à partir de décembre 1644 à Münster pour les premiers et à partir de 1645 à Osnabrück pour les seconds. Cette solution qui avait été proposée par la Suède est préférée à l’alternative française qui suggérait Hambourg et Cologne. Les pourparlers de Münster opposaient les Provinces-Unies (les Pays-Bas) à l’Espagne et la France au Saint Empire romain germanique. Ceux d’Osnabrück, la Suède à l’Empire. Les principaux bénéficiaires furent la Suède, les Pays-Bas et la France. Côté français, la diplomatie engagée par Mazarin fut décisive.
[7] Le palatinat du Rhin, l’électorat palatin, ou encore en forme longue le comté palatin du Rhin, aussi connu sous le nom de Bas Palatinat ou de Palatinat inférieur, possession du comte palatin du Rhin, était l’un des sept plus anciens électorats du Saint Empire romain germanique. Son souverain était appelé électeur palatin. Situé de part et d’autre du Rhin, il avait pour limites : au sud, la Lorraine et l’Alsace (et comprenait le bailliage de Seltz de 1418 à 1766) ; à l’ouest et au nord, Trèves, Mayence et Liège ; de l’autre côté du Rhin, Bade et le Wurtemberg. Il avait dans sa plus grande largeur 125 km, et sa capitale était Heidelberg. Les principales autres villes étaient Mannheim et Frankenthal. Son territoire s’étendait sur les actuels länder de Bade-Wurtemberg, de Hesse, de Rhénanie-Palatinat, de Sarre et sur l’Alsace-Moselle.
[8] Krosno est une ville de la voïvodie des Basses-Carpates, dans le sud-est de la Pologne. Elle est le chef-lieu du powiat de Krosno sans en faire partie et constitue un powiat-ville. Krosno est une ville de Pologne située au sud-est du pays, dans la partie sud-ouest de la voïvodie de Basses-Carpates. Elle est arrosée par la rivière de Wisłok, dans l’estuaire d’une autre rivière, la Lubatówka.
[9] L’abbaye de Herford était la plus ancienne des maisons religieuses de femmes du duché de Saxe. Elle a été fondée comme une maison de chanoinesses séculières en 789, d’abord à Müdehorst (près de la moderne Bielefeld) par un noble appelé Waltger, qui a l’a déplacée environ vers 800 sur les terres de son domaine Herivurth (plus tard Oldenhervorde), situé à la croisée de plusieurs chemins et près des gués sur l’Aa et de la Werre. L’actuelle ville de Herford a grandi sur ce site autour de l’abbaye. Bénéficiant de l’immédiateté impériale à partir du 12ème siècle, elle constituait un petit état autonome dans le Saint Empire romain germanique. Elle relevait directement du pape sur le plan spirituel, et de l’empereur sur le plan temporel.
[10] Les Labadistes formaient au 17ème siècle une communauté chrétienne (ou secte) présente surtout dans les Pays-Bas et en Allemagne. Fondée par le pasteur calviniste français Jean de Labadie et de tendance illuministe elle ne compta jamais plus que quelques milliers de membres et disparut vers 1732.
[11] La Société religieuse des Amis est un mouvement religieux fondé en Angleterre au 17ème siècle par des dissidents de l’Église anglicane. Les membres de ce mouvement sont communément connus sous le nom de quakers mais ils se nomment entre eux « Amis » et « Amies ». Le mouvement est souvent nommé simplement Société des Amis et le surnom de « quaker » apparaît le plus souvent dans la dénomination officielle, sous la forme Société religieuse des Amis (quakers). Les historiens s’accordent à désigner George Fox comme le principal fondateur ou le plus important meneur des débuts du mouvement. Originaire d’Angleterre, le mouvement s’est d’abord répandu dans les pays de colonisation anglaise. Puis au 20ème siècle, des missionnaires quakers ont propagé leur religion en Amérique latine et en Afrique.
[12] Stockholm est la capitale et la plus grande ville de Suède. Elle est le siège du gouvernement et du parlement suédois ainsi que le lieu de résidence officiel du roi. Située au bord de la mer Baltique, la ville est construite en partie sur plusieurs îles, à l’embouchure du lac Mälar, ce qui lui a valu, à l’instar d’autres cités européennes, son surnom de « Venise du Nord » Au 17ème siècle, Stockholm devient une ville européenne d’envergure. Entre 1610 et 1680, sa population est multipliée par six. Ladugårdslandet, maintenant appelé Östermalm ainsi que l’île de Kungsholmen sont alors rattachés à la ville. En 1628, le Vasa coule dans Stockholm. Peu après, sont instaurées des règles qui donnent à celle ci un monopole sur les échanges entre les négociants étrangers et les territoires scandinaves. À cette époque, sont bâtis nombre de châteaux et de palais, dont la maison de la noblesse (riddarhuset) et au 18ème siècle le palais royal.