Fils de Jean II , dauphin de Viennois [1], et de Béatrice de Hongrie. Sévèrement jugé par ses contemporains comme un incapable et un dépensier, Humbert II est le dernier dauphin de Viennois. N’ayant pas l’ardeur guerrière de son frère, il se range plutôt dans le camp des pacifiques.
À l’âge de vingt ans, il est précipitamment appelé à remplacer son frère, mort au cours de l’assaut d’un château près de Voiron [2].
Ayant passé sa jeunesse à la cour de Naples, il entretient alors une cour fastueuse dans son château de Beauvoir-en-Royans [3] dans le Dauphiné, ce qui est mal perçu par ses contemporains. À la différence de ses prédécesseurs, Humbert ne mène plus cette vie itinérante d’un château delphinal à l’autre et préfère rester à Beauvoir.
Humbert II est le créateur du Conseil delphinal [4] en 1337, puis de la cour des comptes à partir de 1340. Il fonde également la première université de Grenoble en 1339 avec l’accord du pape Benoît XII.
Humbert II, Dauphin du Viennois, nomma le 20 juin 1337, Agoult des Baux, oncle de son épouse, administrateur de ses finances privées. En janvier 1338, le Dauphin, confronté au problème de ses caisses vides, lui donna ordre de poursuivre les Juifs, les Lombards et les Toscans dans ses États. Accusés d’usure et de contrats usuriers, ils furent taxés de fortes amendes.
Benoît XII envoya aussitôt sur place Johannes de Badis, son Grand Inquisiteur de Provence, pour rechercher les juifs convertis et relaps du Dauphiné.
Le rôle politique d’Agoult des Baux s’amplifia lors des négociations de paix entre le Dauphin et Vienne, en juillet 1338, à la suite de la révolte des Viennois. Au cours de l’été, Humbert dut emprunter 30 000 florins au pape pour solder ses troupes. Sa dette fut gagée sur ses terres et il proposa au pontife de lui vendre le Dauphiné contre 452 000 florins.
Après la perte de son fils unique André, Humbert abandonne vite l’espoir d’avoir une descendance et projette dès 1337 de céder son héritage. Les difficultés financières s’accumulant, Humbert fait procéder à l’inventaire de ses biens en 1339 dans le but de vendre sa principauté au pape Benoît XII.
Sans doute mis au courant des convoitises du roi de France, le pontife lui en offrit 150 000, tout en décidant d’enquêter sur les revenus domaniaux du Dauphin. Entre janvier et juillet 1339, Jean de Cojordan, évêque d’Avignon, trésorier pontifical, et Jean d’Arpadelle, chapelain du pape, parcoururent le Viennois et le Briançonnais. Ils estimèrent les revenus annuels du Dauphin à 27 970 florins, ce qui donnait une valeur théorique de vente pour le Dauphiné de 559 400 florins. La transaction avec le pape échoua.
En effet, Philippe VI et son conseiller l’archevêque de Rouen, Pierre Roger, avaient senti se dessiner une opportunité. Le roi de France engagea d’abord à son service le brillant Agoult des Baux. Il fut d’abord nommé Sénéchal [5] de Beaucaire par Philippe VI, le 30 octobre 1340, puis Sénéchal de Toulouse et d’Albi, le 3 mars 1341. Puis, il fit savoir au pontife qu’il acceptait l’accession de son conseiller à la pourpre.
C’est ce que fit Benoît XII par lettre bullée, en date du 12 décembre 1338. L’archevêque de Rouen arriva à Avignon le 5 mai 1339 et reçut, le 12, le chapeau de cardinal.
Au cours de cette année, le Dauphin voulut à nouveau mater une « émotion » à Vienne. Il se tourna vers le pape et obtint 15 000 florins qu’il promit de rembourser sous six mois. En octobre 1340, il demanda un délai de paiement. En août 1341, il était toujours débiteur de 16 200 florins. Le cardinal Pierre Roger intervint auprès de Benoît XII qu’il persuada d’excommunier le mauvais payeur.
Affolé le pieux Humbert offrit alors au pape de couvrir sa dette en donnant au Saint-siège quelques-uns de ses fiefs. Toujours conseillé par Pierre Roger, Benoît XII fit une réponse négative à l’ambassade delphinale. Sans héritier, endetté jusqu’au cou, rejeté de l’Église, Humbert II allait être, sous peu, une proie facile pour le royaume de France.
Avec le nouveau pape Clément VI, ancien conseiller de Philippe VI de Valois sur le trône pontifical, le sort du Dauphiné était scellé. Il serait rattaché à la France. Sur l’initiative de Clément VI, un grand pas fut franchi au cours du mois de février 1343. Le roi et son fils aîné, Jean de Normandie, vinrent rencontrer Humbert II dans la cité papale.
Le Dauphin du Viennois était aux abois. Toujours à la recherche de liquidités, il se vit proposer par le roi de France un arrangement financier qui le tirerait du besoin. S’il acceptait que le Dauphiné fut dévolu au second fils du roi après sa mort, ses dettes seraient réglées et il jouirait d’une rente annuelle. Humbert sollicita un temps de réflexion.
Depuis quelques mois, il avait pris contact avec son oncle, Robert d’Anjou , pensant que le comte de Provence serait intéressé par l’achat de ses États qui jouxtaient les siens. La réponse de Robert d’Anjou se faisait attendre. Et pour cause… Il venait de rendre son dernier soupir à Naples. Le Dauphin tenta alors de trouver un palliatif. Le 29 mai 1343, il vendit leur indépendance à cinquante-deux paroisses des Alpes qui se regroupèrent pour former la « République des Escartons ». Mais sous la pression pontificale [6] le Dauphin signa un accord avec la France le 30 juillet 1343. Il était prêt à céder aux Valois son Dauphiné.
Clément VI, toujours attentif à la question dauphinoise, écrivit à Philippe VI, le 11 avril 1344, pour lui proposer que le fils aîné du roi de France portât le titre de Dauphin. Le pape envisagea ensuite de lever l’excommunication de Humbert II, qui avait remboursé jusqu’au dernier florin à la Révérende Chambre Apostolique, mais il y mit une condition. Il devait lui céder le fief de Visan [7]. L’accord passé, le 31 juillet, Clément VI reçut Humbert dans son palais de Villeneuve-lès-Avignon [8]. Le Dauphin du Viennois rendit hommage et le pape leva les sentences.
Clément VI put entrer en possession de son fief de Visan à la fin du mois d’octobre au moment où, sur son initiative, arrivaient à Avignon les émissaires de France et d’Angleterre pour discuter d’une nouvelle trêve sous l’égide du cardinal Jean Raymond de Comminges.
Ce fut aussi au cours de cet automne 1344 que le Souverain pontife mit sur pied un nouveau projet de croisade. Il voulait porter le fer contre les « infidèles » sur les côtes même de l’empire byzantin où sévissaient les pirates turcs. Il en confia le commandement au patriarche latin de Constantinople et à Édouard 1er de Beaujeu. L’objectif de cette expédition était de s’emparer de Smyrne [9]. Ce fut chose faite le 28 octobre 1344. La garde de la cité fut confiée aux chevaliers de Rhodes [10] qui la conservèrent jusqu’en 1402, date à laquelle elle fut prise par Tamerlan.
Ce succès en appelait d’autres. Clément VI, au cours du mois de novembre, lança un nouvel appel à se croiser. Seul répondit Humbert II. Le pape, avec une certaine réserve, accepta de le nommer, le 26 mai 1345, capitaine général du Siège apostolique, commandant l’armée chrétienne. Le dauphin, après avoir vidé les caisses de son trésor, embarqua à Marseille le 2 septembre 1345, en compagnie de Jean 1er le Meingre dit Boucicaut , qui s’était déjà illustré à Smyrne. IL allait mener une expédition sans envergure.
Après avoir confié le gouvernement du Dauphiné à Henri de Villars, archevêque de Lyon, il partit en compagnie de son épouse Marie des Baux, âgée de 26 ans, et de sa mère, Béatrix de Hongrie. Très soucieux de leur santé, le dauphin passa son premier hiver à Rhodes. Il battit le 24 juin 1346 les Turcs qui assiégeaient Smyrne. Il fit ensuite engager des pourparlers avec eux après cette petite victoire. Les négociations duraient encore en 1347, année où décéda la dauphine, au cours du mois de mars. Effondré de chagrin, Humbert II retourna en Dauphiné en septembre 1347. Il était ruiné.
Devenu veuf, le roi de France Philippe VI pensa d’abord à se remarier, ce qu’il fit le 29 janvier 1349 avec sa jeune cousine Blanche d’Évreux. Puis, en février, il acheta pour 120 000 écus la ville de Montpellier à Jaime III de Majorque et il repensa au Dauphiné.
Pour s’assurer que le Dauphiné, devenant fief du fils aîné du roi de France, ne soit pas assimilé à n’importe quel autre domaine du souverain, Humbert signe le 29 mars 1349 le traité de Romans [11] avec le royaume de France. Ce traité instaure le « Statut delphinal », ce qui exempte les Dauphinois de nombreuses taxes et impôts. La défense de cette constitution particulière sera l’objet principal des discussions du parlement provincial dans les siècles qui suivirent.
Le 30 mars, les conseillers du roi Guillaume Flote, Pierre de La Forest et Firmin de Coquerel , évêque de Noyon, après plusieurs semaines passées à Tain-l’Hermitage [12], obtinrent l’accord de Humbert II pour la cession. Le 16 juillet 1349, le Dauphin du Viennois aliénait enfin ses droits viagers en faveur de Charles, fils de Jean de Normandie et aîné des petits-fils de Philippe VI, qui fut donc le premier à porter le titre de Dauphin de France. Humbert cédait ses domaines contre 200 000 florins et une rente annuelle de 24 000 livres payable à Pâques ou à la Trinité. La cérémonie du transportqui est le nom donné à la cession pour sauver les apparences) se déroula à Lyon, au couvent des dominicains de la place Comfort. Au cours de celle-ci, Humbert II « se dévêtit » de sa suzeraineté pour en « saisir et investir » Charles. Il lui remit l’épée du Dauphin au manche incrusté du bois de la Vraie Croix, la bannière de saint Georges éclaboussée du sang du dragon, le sceptre et l’anneau delphinaux.
Le nouveau Dauphin jura, entre les mains de Jean de Chissé, évêque de Grenoble, de respecter les franchises du Dauphiné, en particulier les statuts solennels promulgués par Humbert II. Dès le lendemain Humbert prit l’habit monastique. La stratégie de Clément VI avait payé.
Après la cession du Dauphiné, Humbert entre dans l’Ordre des Prêcheurs [13] où il prend l’habit de saint Dominique et aspire à devenir évêque de Paris, voire pape lorsqu’il meurt à 43 ans en 1355. En 1351, il avait été nommé patriarche d’Alexandrie [14] et en 1352, archevêque de Reims [15].