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Une politique de croissance démographique

lundi 26 novembre 2012

Une politique de croissance démographique

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Palais du parlement du Dauphiné 15ème siècle (photo lj 1998)

Louis XI n’avait pas attendu son accession au trône pour entamer son grand dessein. En 1447, il avait été envoyé dans le Dauphiné après de nombreuses querelles avec son père Charles VII, trop lent à ses yeux à bâtir la nation. A peine arrivé, il se mit à organiser la province.

Globalement, il protégeait les initiatives des entrepreneurs et des inventeurs dans les secteurs agricole, industriel et commercial. Il prit des mesures protectionnistes pour aider les céréaliers, les producteurs de lin et autres exploitations agricoles, et il exonéra les commerçants des taxes locales, tout en imposant des droits de douane sur les importations de marchandise étrangère. Il encouragea les agriculteurs d’autres pays à s’installer dans le Dauphiné avec leurs familles et leur garantit des avantages fiscaux proportionnels à leur productivité.

Louis avait à coeur de développer des dizaines de milliers d’emplois dans l’infrastructure et l’industrie. Il centralisa le développement des voies d’eau pour faciliter le transport des biens et du matériel militaire à travers la nation. L’un de ses projets consistait à rendre la Garonne entièrement navigable et sans péage, afin que « les laines, huiles, muscades, et autres biens de Languedoc descendent par icelle pour tirer à Bordeaux et de là en Angleterre et en Flandres ce que jamais ne se fit ». Pour des raisons analogues, il agrandit les ports de Rouen, Marseille, La Rochelle et Bordeaux.

Louis créa de nombreuses industries textiles dans l’ensemble du pays. Une entreprise de Lyon employa jusqu’à 10 000 ouvriers dans son usine de soie. Il rédigea une lettre ouverte déclarant que l’industrie textile est un « honorable métier, (...) auquel se pourront occuper licitement hommes et femmes de tous estaz, que 10 000 personnes, tant de ladicte ville que des environs et tant de gens d’Église, noble, femmes de religions, que autres, qui à présent sont oiseux y auront honeste et proufitable occupation ». De tels programmes eurent un si grand succès que dans certaines villes, comme à Tours, les bourgeois qui le financèrent, bénéficièrent d’une industrie florissante pendant 2 siècles.

Louis créa un système de poste nationale. Des écuyers étant postés à quelques kilomètres les uns des autres et une lettre pouvait parcourir 400 kilomètres en 24 heures. Il est ironique aujourd’hui de considérer ces efforts alors qu’on laisse se dégrader la qualité du service et qu’on parle de « privatisation » — un retour à l’état des choses d’avant Louis XI ! L’industrie minière fut un autre grand projet. A travers la France, il donna l’ordre d’exploiter à grande échelle les mines d’or, d’argent, de plomb, d’étain, de cuivre, de fer et de charbon, et n’hésita pas à confisquer la terre de tout seigneur féodal qui refusait d’exploiter les ressources naturelles enfouies sous sa propriété, pratiquant de fait pour la première fois la « nationalisation » du sous-sol. Pour cela, la France avait besoin de main-d’œuvre étrangère, notamment des ingénieurs et des mineurs allemands et italiens, qui étaient considérés comme les mieux qualifiés au monde, et il leur demanda de former la population locale à leurs techniques. Ingénieurs, imprimeurs, mineurs, agriculteurs, fabricants d’armes, dessinateurs, artilleurs, forgerons, ouvriers du cuivre, chaudronniers, verriers et tisserands. On encourageait les spécialistes de toute l’Europe à venir s’établir en France.

L’une des ordonnances sur la création d’industries pour le bien commun montre que pour Louis XI, l’innovation technologique était à la base de sa politique de croissance économique. Il écrit :

« Comme entre toutes les choses nécessaires pour le bien entretenement et utilité de la chose publique l’une des principales soit le fait de marchandise, par moyen de laquelle fertilité et habondance des régions fertiles secourt et pourvoit la nécessité des autres, et sont les pays et peuples habitans iceulx pourveux de plusieurs choses dont autrement souventes ils auraient souffertes et indigence : et veoit-on clairement par expérience congrue et manifeste, que tous les royaumes, pays et régions, ou le fait de la marchandise est plus commune et fréquente sont les plus riches et les plus abondans, et par le moyen de négociatier et conduicter tant par mer que par terre des gros et puissants marchands, grand nombre du peuple, qui autrement seraient oyseux, ont occupation honneste et prouffitable, et par l’industrie des ars méchanique qu’ils exercent soulz les dits marchands, s’entretiennent et gaignent la vie d’eulx et de leurs ménages : à cause de quoi les pays et régions ou la continuation de la dite marchandise est commune et fréquente sont plus opulantes en toutes choses et mesmement en multitude de peuple qui est l’une des plus grande gloire et félicité que prince puisse avoir, et qu’on doit plus désirer soulz luy. »

Cette politique du travail humain fait de l’amélioration des arts mécaniques et de l’augmentation de la productivité une priorité absolue. Avant Louis XI, aucun dirigeant n’avait adopté une politique aussi explicite de croissance et de profit publics, suivant la conception que la population active peut produire bien plus que ce qui est nécessaire à sa propre subsistance.

Ces mesures furent si efficaces qu’au cours des 20 ans de règne de Louis XI, les salaires doublèrent et les recettes provenant des impôts sur le revenu firent plus que tripler. Si on ajoute à ceci les « aides » (impôts indirects) et la « gabelle » qui s’élevèrent à 655 000 livres, ainsi que la taxe sur le domaine royal qui en rapporta 100 000, il rentra au total 4 655 000 livres dans les caisses du royaume. En utilisant judicieusement les impôts, en collectant et en exonérant là ou c’était nécessaire, Louis pu diriger la croissance économique et le développement de la nation.

Avec Louis XI, on mit donc explicitement en oeuvre, pour la première fois dans l’histoire humaine, une politique volontariste de croissance démographique pour bâtir un Etat nation. Cette conception, ainsi que des réformes comme la frappe d’une monnaie universelle, la stricte réglementation des fonctions administratives et la réorganisation de la justice, constituèrent autant d’innovations prises une à une et, ensemble, formèrent un tout cohérent. Elles firent de ce roi l’ennemi des seigneurs féodaux qui se voyaient désormais interdire de lancer des guerres privées et d’exercer des privilèges arbitraires. Mais pour l’homme ordinaire, Louis XI fut un bon roi, un roi qui servit le bien commun du peuple et lui donna la dignité que lui refusait l’oligarchie féodale.

Ce conseil donné par Louis XI à son fils mérite d’être médité :

« On list du Roy Alexandre, que jasoit que son père le Roy Philippe sur le point de sa mort l’eust couronné et fait Roy de son Royaume et seoir en son siège Royal, et que les Princes et les seigneurs en fussent contens, neanmoins apres la mort de son pere, pour attraire le cueurs de ses hommes et subjects, leur dit entre autres lusieurs belles paroles : Beaux seigneurs, je ne veuil avoir aucune seigneurie sur vous mais veuil estre comme l’un de vous et ce quil vous plaist me agrée : je veuil aymer ce que vous aymerez et hayr ce que vous hayrez : Je ne veuil en aucune maniere estre contraire à vous ne à vos faiz. Mais je, qui hay frauldes et malices et vous ay tousjours aymés au vivant de mon père et encore fays et feray, vous conseille et prie, que vous craignez dieu et que lui obeyssez comme au Seigneur souverain et celuy eslisez à Roy, que vous voyez le plus obeyssant à dieu, qui mieulx pensera du bon estat du peuple, et qui mieulx sera debonnaire et misericors aux pauvres, qui mieulx gardera justice et le droit du foible comme du fort, qui mieulx exposera son corps es choses publicques, qui pour nulles delectations ou delices ne sera paresseux de vous garder et defendre, qui plus hardiment se mettra en peril de mort pour destruire vos ennemys, et qui par moyen de ses bonnes oeuvres vous defendra de tous maulx : car tel homme doit estre eslu à Roy et non autre. »