Gaius Fabricius Luscinus ou Lucinus
Homme politique de la République romaine
Célèbre par sa pauvreté et son désintéressement. Il est, chez Plutarque et Juvénal, le type même de l’antique vertu romaine.
Consul en l’an 282 av. jc, il vainc les Samnites [1], les Bruttiens [2] et les Lucaniens [3] qui menaçaient Thurioi [4], obtenant les honneurs d’un triomphe, et refuse les dons des Samnites auxquels il avait fait accorder la paix.
Alors que Tarente [5] se prépare à la guerre contre Rome, Fabricius est envoyé en ambassade auprès de villes italiennes alliées. Mais il est intercepté et les Tarentins envoient des ambassades aux Étrusques [6], aux Gaulois Sénons [7] et aux Ombriens [8] afin de provoquer leur soulèvement contre Rome. Les historiens datent avec difficulté cette ambassade qui échoue, et la situent entre 284 et 282 av. jc. Ils ignorent aussi le peuple que devait contacter Fabricius.
Deux ans après, ayant été député vers Pyrrhus 1er pour traiter de l’échange des prisonniers, il refuse les présents du roi Pyrrhus et ses offres de l’accompagner comme ami en Épire [9]. Selon Frontin, Cinéas, ambassadeur de Pyrrhus ayant offert à Fabricius une forte somme d’argent, celui-ci la refusa.
Pyrrhus, charmé de ses vertus, lui confie les prisonniers pour les emmener à Rome, à la condition de les lui renvoyer si le Sénat romain refusait de payer leur rançon : le Sénat n’ayant point admis les demandes de Pyrrhus, Fabricius les lui renvoya tous fidèlement.
On raconte que Pyrrhus avait apporté à Fabricius un éléphant. En effet, à cette époque, les Romains ne connaissaient pas cet animal. Mais, au lieu d’être effrayé, Fabricius resta impassible et dit : « Ni ton argent hier, ni ton animal aujourd’hui ne m’impressionneront ».
En 278 av. jc, il fut de nouveau nommé consul et envoyé encore une fois contre Pyrrhus. Le médecin de ce prince lui ayant offert de l’empoisonner, il en instruisit le roi, qui, frappé de sa générosité et de sa loyauté, délivra tous les prisonniers sans rançon, et bientôt évacua l’Italie.
Il prouve à nouveau son désintéressement personnel et son souci de l’intérêt public lorsqu’il soutient la candidature de Publius Cornelius Rufinus pour le consulat de 277 av. jc. Rufinus est un général expérimenté mais avide et corrompu, qu’il déteste mais qui est à ses yeux le seul candidat apte à défendre Rome contre ses adversaires. Il répond aux remerciements de Rufinus en disant : « Je préfère être pillé (sous-entendu par toi) que vendu (sous-entendu comme vaincu) ».
Fabricius est nommé censeur [10] en 275 av. jc. Il se signale par sa sévérité sur les mœurs en excluant du Sénat Publius Cornelius Rufinus pour luxe excessif, car on avait trouvé chez lui 10 livres de vaisselle d’argent. Il mourut si pauvre, que l’État fut obligé de faire les frais de ses funérailles et de doter sa fille.
Cité par de nombreux auteurs antiques, le personnage de Fabricius est remarqué à la Renaissance. Dans sa “Divine Comédie”, Dante évoque sa préférence pour l“a pauvreté avec la vertu, plutôt que de grandes richesses avec le vice”. Il figure parmi les fresques d’hommes illustres de la salle dite des Géants qui décore le Palazzo Trinci [11] à Foligno [12].
Sa biographie simplifiée est reprise dans le “De viris illustribus”, célèbre manuel de latin naguère à l’usage des classes de sixième, rédigé par Charles François Lhomond dit l’abbé Lhomond au 18ème siècle.
Notes
[1] Les Samnites sont des tribus sabelliennes établies dans le Samnium (région montagneuse d’Italie centrale) du 7ème à la fin du 3ème siècle av. jc. La première mention écrite des Samnites remonte à 354 av. jc dans un traité conclu avec les Romains.
[2] Les Bruttiens étaient une tribu antique, de langues osque et Grec ancien, issue du peuple des Lucaniens, eux-mêmes d’origine samnite. Cette tribu est à l’origine du nom de la région romaine du Bruttium, correspondant à la Calabre actuelle. C’est à partir du 4ème siècle av. jc que les Bruttiens apparaissent dans la pointe de la péninsule italienne, s’émancipant des Lucaniens auxquels ils étaient asservis et dont ils reçurent leur nom. Décrits comme un ramassis de toute espèce, d’esclaves fugitifs, de brigands nomades aux mœurs frustes, ils s’organisent progressivement et font pression sur les cités côtières de la Grande-Grèce continentale. Ils dominent peu à peu une partie de la côte Tyrrhénienne, depuis Pœstum jusqu’à Thurii sur les bords de la mer Ionienne. Ils affrontèrent Alexandre le Molosse, roi d’Épire, Agathocle, roi de Sicile et combattirent les Romains aux côtés de Pyrrhus. Soumis après l’intégration de la Grande Grèce dans le giron romain, ils furent les premiers à faire cause commune avec les Carthaginois lors de la deuxième Guerre punique. A la suite de la défaite des troupes d’Hannibal, ils furent déclarés indignes de servir dans les légions romaines et réduits aux fonctions serviles de courriers et de messagers publics.
[3] Les Lucaniens étaient un peuple italique qui habitait en Lucanie, une région de Basilicate en Italie. La langue parlée par les Lucaniens est une langue indo-européenne osque qu’ils écrivaient avec des caractères grecs. Vers le milieu du 5ème siècle av. jc, les Lucaniens ont poussé les peuples indigènes de la région de l’actuelle Basilicate vers les montagnes intérieures. Ils avaient adopté une constitution démocratique, sauf en temps de guerre, lorsqu’ils choisissent un dictateur parmi les magistrats ordinaires. En 336 av.jc, ils sont alliés de la colonie grecque de Tarente lors de son conflit avec le roi Alexandre 1er d’Épire pour le contrôle de la Grande Grèce.
[4] Thourioï, Thurii ou Thurium, est une ville de la Grande-Grèce sur le Golfe de Tarente, sur le site antérieur de Sybaris dont le projet de refonder une ville remonte à 452 av. jc, dû aux descendants d’exilés de Sybaris qui souhaitaient repeupler ce site, ruiné et inondé une soixantaine d’années auparavant, en 510 av. jc.
[5] Tarente est un port du sud de l’Italie construit sur le golfe de Tarente. La vieille ville, la città Vecchia, ou encore Borgo Antico, héritière de la colonie spartiate qui fut dans l’Antiquité l’une des cités les plus riches de la Grande Grèce, a été établie sur une île rectangulaire qui commande le chenal d’accès à la rade, appelée Mare Piccolo.
[6] L’Étrurie était le territoire des Étrusques. Il correspond à l’actuelle Toscane, s’étendant durant la période de son expansion maximum, au-delà de l’Apennin tosco-émilien jusqu’à la plaine du Pô et son embouchure, à Hadria, port antique qui donna son nom à la Mer Adriatique. Au sud, le territoire étrusque s’étendait au-delà de Rome (comprise), jusqu’à Capoue.
[7] Les Sénons étaient un des nombreux peuples celtes basés en Gaule. Ils occupaient la région du Sénonais, s’étendant sur une partie des départements actuels de l’Yonne et de Seine-et-Marne. Ils donnèrent leur nom à la ville de Sens qui était leur capitale sous le nom d’Agendicum. Durant le Haut Empire, la cité des Sénons faisait partie de la province de Gaule lyonnaise.
[8] Le nom de la région est issu de la tribu des Umbri (Ombriens), un peuple qui a fini par être absorbé par l’expansion romaine. Leur langue était l’Ombrien, une des langues italiques. Les Umbri, comme les tribus voisines sont probablement issus de la culture Terramare et de Villanova d’Italie du nord et centrale, et ont pénétré dans le nord-est de l’Italie au début de l’âge du Bronze. Les Étrusques étaient en conflit avec les Umbri, et l’invasion étrusque est passée de la côte ouest vers le Nord et l’est (700 à 500 av. jc), en poussant les Ombriens vers les hautes terres des Apennins. Néanmoins, la population Ombrienne ne semble pas avoir été éradiquée dans les districts conquis. Après la chute des Étrusques, les Umbri ont tenté d’aider les Samnites dans leur lutte contre Rome (308 av. jc) ; toutefois les communications avec le Samnium ont été entravées par la forteresse romaine de Narni et la grande bataille de Sentinum,(295 av. jc). La victoire romaine de Sentinum, commence une période d’intégration sous les souverains romains, qui a mis en place des colonies (Spolète) et construit la via Flaminia (220 av. jc), qui est devenu le principal vecteur de développement romain en Ombrie. Au cours de l’invasion d’Hannibal de la deuxième guerre punique, la bataille du lac Trasimène a vu les Umbri conserver une certaine neutralité. Pendant la guerre civile romaine entre Marc-Antoine et Octave (40 av. jc), la ville de Pérouse, prise par Antoine fut presque entièrement détruite par ce dernier. Au temps de Pline l’Ancien, 49 communautés indépendantes existent toujours en Ombrie et l’abondance des inscriptions et la forte proportion de recrues dans l’armée impériale atteste de sa population. La région moderne de l’Ombrie, cependant, est très différente de l’Ombrie de l’époque romaine dont l’étendue débutait dans ce qui est maintenant les Marches du Nord, depuis Ravenne, excluait la rive occidentale du Tibre. Pérouse se situait donc en Étrurie, et les environs de Norcia dans le territoire des Sabins. Après l’effondrement de l’Empire romain, les Ostrogoths et les Byzantins ont lutté pour la suprématie dans la région. Les Lombards fondent le duché de Spolète, couvrant la majeure partie de l’Ombrie d’aujourd’hui.
[9] Région montagneuse des Balkans, partagée entre la Grèce et l’Albanie. Épire se traduit par "Continent" en français. Ses habitants sont les Épirotes. Le terme peut désigner plus particulièrement :
la périphérie d’Épire, l’une des 13 périphéries de la Grèce. Elle est bordée à l’ouest par la Mer Ionienne ; elle est limitrophe au sud-ouest de l’Albanie, au nord de la région de Macédoine de l’Ouest, à l’est de la région de Thessalie. La périphérie (capitale Ioannina (57 000 habitants) est divisée en 4 préfectures : Thesprotie, Ioannina, Arta et Preveza.
l’Épire du Nord, une région d’Albanie La dynastie des rois éacides du peuple des Molosses y fonda un royaume puissant au 5ème siècle av. jc, avec les autres peuples Chaones, et Thesprôtes. Pyrrhus est un des membres de cette dynastie, ainsi qu’Olympias, la mère d’Alexandre le Grand.
[10] Le censeur est un magistrat romain. Deux censeurs sont élus tous les cinq ans parmi les anciens consuls par les comices centuriates. Le pouvoir des censeurs est absolu : aucun magistrat ne peut s’opposer à leurs décisions, seul un autre censeur qui leur succède peut les annuler. Après 18 mois de mandat, ils président une grande cérémonie de purification, le lustrum, à la suite de laquelle ils abdiquent. La censure est la seule magistrature romaine qui n’autorise pas la réélection. Les censeurs ne sont plus élus à partir de la dictature de Sylla, et leurs pouvoirs sont repris par les empereurs romains.
[11] Le Palazzo Trinci (en français : Palais Trinci) est une démeure patricienne bâtie dans le centre de Foligno en Italie centrale. En 2010, le palais est le siège d’un musée archéologique, d’un musée multimédia de tournois et de joutes et du Musée civique. Il expose aussi une galerie photographique de la ville.
[12] Foligno est une commune italienne, située dans la province de Pérouse, dans la région de l’Ombrie, en Italie centrale.