Anna (mort en 653 ou 654)
Roi d’Est Anglie du début des années 640 jusqu’à sa mort
Neveu de Rædwald, le premier roi historiquement attesté d’Est-Anglie [1], Anna monte sur le trône après la mort de Sigeberht et Ecgric au combat face à Penda, le souverain païen du royaume voisin de Mercie [2].
Son règne est mal connu, faute de documentation, mais semble avoir été marqué par une rivalité constante avec Penda. En 645, Anna accueille à sa cour Cenwalh , roi du Wessex [3], chassé de son royaume par Penda. Cenwalh se convertit au christianisme durant son séjour en Est-Anglie et encourage la christianisation de ses sujets après son retour au Wessex en 648.
En 651, Penda attaque le monastère est-anglien de Cnobheresburg [4] et contraint à son tour Anna à l’exil. Peu après son retour, en 653 ou 654, il est confronté à une nouvelle attaque de Penda et trouve la mort avec son fils Jurmin en affrontant les Merciens à Bulcamp, près de Blythburgh [5]. Son frère Aethelhere lui succède à la tête des Angles de l’Est. Il laisse l’image d’un souverain pieux, notamment parce que ses trois filles Seaxburh, Aethelthryth et Aethelburh de Faremoutiers entrent dans les ordres et sont considérées comme des saintes.
La principale source écrite concernant Anna est l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais [6] du moine northumbrien [7] Bède le Vénérable, achevée en 731. Bède s’intéresse avant tout à l’histoire de la christianisation des Anglo-Saxons, mais son œuvre présente également des informations concernant la situation politique de l’époque. La Chronique anglo-saxonne [8], recueil annalistique compilé au Wessex à partir du 9ème siècle, se contente quant à elle de rapporter la mort d’Anna. Un texte plus tardif, le Liber Eliensis [9], présente également des informations concernant Anna. Rédigé à l’abbaye d’Ely [10] au 12ème siècle, il comprend l’hagiographie de deux de ses filles, Seaxburh et Æthelthryth.
D’après le Liber Eliensis, c’est à Exning [11], un village du Suffolk [12], qu’est née Azthelthryth, la fille la plus célèbre d’Anna. Exning est un lieu hautement stratégique pour les Angles de l’Est : il se situe à proximité du Devil’s Dyke [13]. Le cimetière anglo-saxon qui y a été découvert suggère la présence d’un site important dans les alentours, peut-être une résidence royale.
En 633, le roi de Northumbrie Edwin est vaincu et tué à la bataille de Hatfield Chase [14] par une alliance entre le Gallois Cadwallon ap Cadfan et le roi anglo-saxon païen Penda de Mercie. Débarrassés du royaume le plus puissant du nord de l’Angleterre, les Merciens se tournent alors vers l’Est-Anglie. Le roi Ecgric et son prédécesseur Sigeberht connaissent eux aussi la défaite contre Penda et laissent la vie sur le champ de bataille.
Anna monte sur le trône d’Est-Anglie après cette bataille, mais la chronologie de ces événements est difficile à établir. D’après le Liber Eliensis, Anna meurt en sa 19ème année de règne, ce qui situerait son avènement entre 635 et 637 environ. Néanmoins, la fiabilité de cette source n’est pas assurée sur ce point.
Les Angles de l’Est subissent des attaques merciennes tout au long du règne d’Anna, mais il semble avoir réussi à tenir tête à Penda.
Peu après la mort d’Oswald, tué en affrontant Penda en 642, le roi des Saxons de l’Ouest Cenwalh divorce de sa femme, qui n’est autre que la sœur du roi mercien. La Chronique anglo-saxonne rapporte qu’en 645, Penda envahit le Wessex et chasse Cenwalh de son royaume. Le roi déchu se réfugie à la cour d’Anna, où il se convertit au christianisme. Il rentre au Wessex en 648 et reprend le pouvoir, probablement grâce au soutien de son homologue est-anglien.
Anna parvient à nouer une alliance avec le Kent [15] grâce au mariage de sa fille aînée Seaxburh au roi Eorcenberht. Il renforce son emprise sur les marches occidentales de son royaume en mariant vers 651-652 son autre fille Aethelthryth à Tondberht, prince des Gyrwas du Sud [16].
Devenue veuve après 3 ans de mariage, Aethelthryth se remarie après la mort de son père avec le roi de NorthumbrieEcgfrith avant de fonder l’abbaye d’Ely en 673.
Dans les années 640, Aethelburh et Sæthryth, respectivement fille et belle-fille d’Anna, deviennent religieuses à l’abbaye de Faremoutiers [17], en Neustrie. Ce sont les premières princesses anglo-saxonnes à prendre le voile et leur exemple est imité par la suite. En dépit du rôle majeur qu’elles jouent dans la fondation des couvents royaux anglo-saxons, les raisons de leur vocation sont inconnues.
Le monastère de Cnobheresburg, fondé par Fursy vers 633, reçoit de nombreux dons en bâtiments et objets précieux de la part d’Anna.
Las des attaques merciennes, Fursy quitte l’Est-Anglie à une date ultérieure, laissant le monastère sous la garde de son frère Feuillen. En 651, Penda attaque le monastère. Anna arrive à temps pour retenir les Merciens et permettre à Feuillen et aux moines de fuir avec leurs livres et leurs biens, mais il est vaincu et chassé de son royaume. Son exil le conduit peut-être chez Merewalh , roi des Magonsæte [18], dans l’ouest de l’actuel Shropshire [19]. Il ne rentre en Est-Anglie que vers 653-654.
Il est possible qu’ Aethelhere frère de Aethelwald ait été placé sur le trône par Penda, ou du moins qu’ils aient été alliés : Aethelhere fait partie des 30 chefs qui combattent aux côtés de Penda à la bataille de la Winwæd en 655 [20]. Durant la bataille, Penda et Aethelhere sont tués, et après la mort d’Aethelwold en 664, le pouvoir passe aux descendants d’Aethelric, le benjamin des frères d’Anna.
Bède salue la piété d’Anna dans son Histoire ecclésiastique du peuple anglais et les historiens modernes le considèrent comme un roi dévot, mais cette réputation lui vient surtout de la canonisation de tous ses enfants. D’après le Liber Eliensis, sa tombe à Blythburgh est encore l’objet de la dévotion populaire 5 siècles après sa mort.
Tous les enfants d’Anna sont considérés comme des saints.
Notes
[1] L’Est-Anglie, ou royaume des Angles de l’Est, est un royaume anglo-saxon établi au cours du Haut Moyen Âge sur les actuels comtés anglais du Suffolk et du Norfolk. Sa fondation légendaire, vers le milieu du 6ème siècle, aurait été le fait d’envahisseurs germaniques appartenant à la tribu des Angles. Il disparaît comme entité indépendante après les invasions vikings du 9ème siècle, mais le titre de comte d’Est-Anglie continue à être donné au sein du royaume d’Angleterre jusqu’à la fin du 11ème siècle, et la région conserve le nom d’Est-Anglie à ce jour.
[2] La Mercie est l’un des sept royaumes de l’Heptarchie anglo-saxonne, avec Tamworth pour capitale. Entre 600 et 850, la Mercie fit quatorze fois la guerre au Wessex voisin, onze fois aux Gallois, et mena dix-huit campagnes contre d’autres ennemis - encore ne s’agit-il là que des conflits dont nous avons gardé la trace. Elle est fondée par les Angles rassemblés et menés un an auparavant, depuis les côtes marécageuses proches du Wash vers l’actuelle région des Midlands en Angleterre, par Creoda (ou Crida), premier roi connu des Merciens, peut-être en partie légendaire, qui accèda au pouvoir en 585. Ces Midlands (« terres du milieu ») regroupent les comtés actuels de Gloucester, Worcester, Leicester, Northampton, Bedford, Buckingham, Derby, Nottingham, Hereford, Warwick, Chester et Lincoln.
[3] Le Wessex est l’un des royaumes fondés par les Anglo-Saxons en Angleterre durant le Haut Moyen Âge. Il s’étend sur une partie du sud-ouest de la Grande-Bretagne, entre la Domnonée à l’ouest, la Mercie au nord et les royaumes de Kent, de Sussex et d’Essex à l’est. Au IXe siècle, le Wessex est le dernier royaume anglo-saxon à résister aux invasions vikings.
[4] Cnobheresburg est un site monastique anglo-saxon du 7ème siècle situé dans le royaume d’Est-Anglie. Il est couramment localisé à Burgh Castle, un village du Norfolk. D’après l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais de Bède le Vénérable, qui s’appuie sur une hagiographie antérieure du moine irlandais Fursy, le roi des Angles de l’Est Sigeberht offre un terrain à Fursy pour y construire un monastère vers 630. Bède précise que « le monastère était agréablement situé dans les bois, non loin de la mer, aménagé dans un château dont le nom est Cnobheresburg en langue anglaise, c’est-à-dire « la cité de Cnobhere ». Le successeur de Sigeberht, Anna, dote encore davantage ce monastère en terres et en biens. Au bout de quelques années, peut-être vers 643, Fursy décide de se retirer du monde et confie Cnobheresburg à son frère Foillan.
[5] Blythburgh est un village et une paroisse civile du Suffolk, en Angleterre. Il est situé à cinq kilomètres environ à l’ouest de la ville de Southwold, près d’une zone de marécages traversée par le fleuve Blyth.
[6] L’Histoire ecclésiastique du peuple anglais (Historia ecclesiastica gentis Anglorum en latin) est un ouvrage de Bède le Vénérable écrit vers 731. Comme son titre le suggère, il s’agit d’une histoire de l’Angleterre qui s’intéresse tout particulièrement à sa christianisation.
[7] La Northumbrie est un royaume médiéval situé dans le nord de l’actuelle Angleterre et constituait l’un des principaux royaumes de l’Heptarchie. Sa notoriété est surtout liée à son rôle dans la propagation du christianisme nicéen dans l’île et à la constitution d’un centre culturel d’importance européenne avec l’archevêché d’York. Le nom de Northumbria désigne à l’origine les terres envahies par les Angles au 6ème siècle situées au nord de la rivière Humber. La Northumbrie en tant que royaume se constitue au début du 7ème siècle par l’union de deux autres entités Angles : celle de Bernicie (Bernicia) au nord et celle de Deirie (Deira) au sud.
[8] La Chronique anglo-saxonne est un ensemble d’annales en vieil anglais relatant l’histoire des Anglo-Saxons. Le manuscrit original est probablement rédigé dans le royaume de Wessex sous le règne d’Alfred le Grand, à la fin du 9ème siècle. De multiples copies sont distribuées aux monastères d’Angleterre et ensuite mises à jour indépendamment les unes des autres.
[9] Le Liber Eliensis est une chronique anonyme en latin rédigée au 12ème siècle à l’abbaye d’Ely, dans le Cambridgeshire. Fondé sur de nombreuses sources historiques antérieures, le Liber Eliensis retrace l’histoire de l’abbaye de sa fondation en 673 jusqu’au milieu du 12ème siècle. Il rapporte les miracles attribués à Aethelthryth, la fondatrice de l’abbaye, sa destruction par les Vikings et sa reconstruction sous le règne d’Edgar le Pacifique, son élévation au rang d’évêché en 1109 et la carrière des premiers évêques d’Ely, notamment Néel et ses démêlés avec le roi Étienne de Blois. Le Liber Eliensis fait partie d’une série d’histoires locales produites dans divers monastères du royaume d’Angleterre dans la deuxième moitié du 12ème siècle. Il est le plus long de ces textes et constitue une source importante pour l’histoire d’Ely et de sa région, les marécages des Fens. Le récit est entrecoupé de nombreuses chartes et autres documents témoignant des donations reçues par l’abbaye et prouvant les droits régaliens auxquels prétend la communauté monastique sur ses terres.
[10] La cathédrale d’Ely est située dans la ville d’Ely dans le Cambridgeshire en Angleterre. Ancienne abbaye saxonne fondée en 673, elle est détruite par les Vikings, puis restaurée suivant la règle de saint Benoît en 970. Après la conquête de l’Angleterre par les Normands, l’église est reconstruite sous les vocables de saint Pierre et de la Vierge par l’abbé Siméon et devient le siège d’un évêché en 1109. Après la dissolution des monastères de 1539, Cathedral Church of the Holy and Undivided Trinity of Ely devient l’église mère du diocèse d’Ely de l’Église d’Angleterre, dans la région de l’Est-Anglie.
[11] Exning est un village et une paroisse civile du Suffolk, en Angleterre. Il est situé non loin de la frontière avec le comté voisin du Cambridgeshire, à une vingtaine de kilomètres au nord-est de la ville de Cambridge. Administrativement, il relève du district de Forest Heath.
[12] Le Suffolk a des frontières au nord avec le Norfolk, à l’ouest avec le Cambridgeshire et au sud avec l’Essex. Il est bordé à l’est par la mer du Nord. La capitale du comté est Ipswich et les autres villes importantes sont Lowestoft et Bury St Edmunds. La ville de Felixstowe est, quant à elle, l’un des plus grands ports de containers d’Europe.
[13] une fortification linéaire en terre qui protège la frontière occidentale de l’Est-Anglie
[14] La bataille de Hatfield Chase eut lieu le 12 octobre 633 à Hatfield Chase, près de Doncaster, dans le Yorkshire. Elle opposa les Northumbriens menés par leur roi Edwin à une alliance des Gallois du Gwynedd et des Merciens, conduits par leurs souverains respectifs Cadwallon ap Cadfan et Penda. Le champ de bataille était une zone marécageuse, à environ 8 milles au nord-est de Doncaster, sur la rive sud de la rivière Don. Ce fut une victoire décisive pour les Gallois et les Merciens : Edwin fut tué et son armée défaite, ce qui entraîna l’effondrement temporaire du royaume de Northumbrie.
[15] Le Kent est un royaume anglo-saxon fondé au 5ème siècle par les Jutes dans le sud-est de l’Angleterre. Il correspond approximativement au territoire occupé par le peuple celtique des Cantiaci avant la conquête romaine, et à l’actuel comté de Kent. C’est le premier royaume anglo-saxon converti au christianisme, et il atteint son apogée au début du 7ème siècle sous le roi Aethelberht.
[16] un peuple qui occupe la région marécageuse des Fens, autour de l’île d’Ely
[17] Située à quelques kilomètres à l’ouest de la ville de Coulommiers, l’abbaye Notre-Dame de Faremoutiers est fondée à l’époque mérovingienne vers 620 par sainte Fare. Le symbole héraldique de la double crosse, figurant encore sur le blason de la commune de Faremouriers, rappelle que Notre-dame de Faremoutiers a eu le rang d’abbaye royale. Cette abbaye était un monastère double, le premier du genre en France, accueillant moines et moniales. Deux fois détruit, il a connu plusieurs états architecturaux successifs, dont on peut voir aujourd’hui, à côté des bâtiments contemporains, des pans de fondations médiévales.
[18] Les Magonsæte ou Magonsætan sont un peuple anglo-saxon installé dans l’ouest des Midlands, autour de Hereford, sur un territoire conquis sur le Pengwern cambrien. Ils apparaissent dans le Tribal Hidage sous le nom de Westerna (le nom Magonsæte n’apparaît qu’au 9ème siècle d’après le nom de la cité romaine de Magnis), avec une superficie de 7 000 hides, soit autant que le Sussex ou que l’Essex
[19] Shropshire aussi appelé Salop est un comté anglais des West Midlands en Angleterre. Il portait le nom anglo-normand de comté de Salopesberie d’où l’abréviation de Salop. Le chef-lieu est Shrewsbury, bien que la ville nouvelle de Telford soit la ville la plus peuplée.
[20] La Bataille de Winwaed a lieu le 15 novembre 655 ou 654 entre les rois Penda de Mercie et Oswiu de Northumbrie, avec comme résultat la défaite des Merciens et la mort de Penda.