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L’histoire pour le plaisir

Pierre François Guyot Desfontaines

jeudi 11 août 2022, par lucien jallamion

Pierre François Guyot Desfontaines (1685-1745)

Abbé-Journaliste, critique, traducteur et vulgarisateur historique

Élève des Jésuites [1], l’abbé Desfontaines entra dans leur ordre et enseigna la rhétorique [2] à Bourges [3]. Au bout de 15 ans, il s’ennuya de cette dépendance, les quitta en 1715, et, avec la protection du cardinal Henri-Oswald de La Tour d’Auvergne , obtint la cure de Thorigny [4], en Normandie.

À sa sortie des Jésuites, le cardinal de La Tour d’Auvergne, qui aimait les gens de lettres, le garda quelque temps chez lui. L’obligation de dire la messe et de lire tous les jours son bréviaire parut à Desfontaines une nouvelle dépendance aussi lourde que la première.

Bientôt son amour pour la liberté et un goût très vif pour les lettres l’empêchèrent de remplir ses devoirs de pasteur. Alors il se démit de son bénéfice, pour se consacrer exclusivement aux lettres, ne voulant pas en toucher les revenus, sans le desservir.

Son début dans la carrière des lettres est modeste. Alors qu’il était de coutume de se signaler dans le Parnasse par une tragédie et souvent même par un poème épique, Desfontaines, par une sage défiance du peu de solidité qui caractérise les débuts ambitieux, rédigea une simple ode sur le mauvais usage qu’on fait de sa vie. En 1724, il devint collaborateur du Journal des “sçavans” [5] et s’efforça d’introduire de l’agrément dans le style de ses articles.

Il publia ensuite, avec divers collaborateurs des recueils périodiques de critique : Le Nouvelliste du Parnasse, Observations sur les écrits modernes. Ces périodiques, composés hâtivement, se signalaient surtout par la vivacité de leurs critiques et leur partialité.

Desfontaines attaqua notamment les œuvres dramatiques de Voltaire , qui l’avait pourtant aidé à le libérer lorsque l’abbé, accusé de sodomie, avait séjourné quelque temps en prison en 1724 et avait également usé de son influence pour l’aider à revenir à Paris dont il avait été un temps exilé.

Voltaire répliqua par un pamphlet cruel intitulé Le Préservatif, ou critique des Observations sur les écrits modernes en 1738.

Desfontaines répondit anonymement la même année par un libelle intitulé La Voltairomanie, qui compilait toutes les anecdotes scandaleuses qui couraient alors contre Voltaire. Ce dernier intenta une action en diffamation qu’il n’abandonna qu’après que Desfontaines eut désavoué l’ouvrage dans la Gazette d’Amsterdam [6] le 4 avril 1739.

La guerre continua pendant plusieurs années, si bien qu’aujourd’hui le souvenir de Desfontaines n’est plus entretenu que par les épigrammes de Voltaire, ainsi que par celles de Alexis Piron , pour une fois d’accord avec Voltaire, qui promit à l’abbé de lui apporter une épigramme tous les matins et tint parole pendant 50 jours.

Il a fait faire quelque progrès à l’art du critique. Il combattit avec succès des opinions dangereuses.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du texte de Hugues Plaideux, « L’abbé Desfontaines : un adversaire de Voltaire à la cure de Torigni (1732-1734) », Revue de la Manche, t. 40, fasc. 158, avril 1998

Notes

[1] La Compagnie de Jésus est un ordre religieux catholique masculin dont les membres sont des clercs réguliers appelés « jésuites ». La Compagnie est fondée par Ignace de Loyola et les premiers compagnons en 1539 et approuvée en 1540 par le pape Paul III.

[2] La rhétorique est d’abord l’art de l’éloquence. Elle a d’abord concerné la communication orale. La rhétorique traditionnelle comportait cinq parties : l’inventio (invention ; art de trouver des arguments et des procédés pour convaincre), la dispositio (disposition ; art d’exposer des arguments de manière ordonnée et efficace), l’elocutio (élocution ; art de trouver des mots qui mettent en valeur les arguments → style), l’actio (diction, gestes de l’orateur, etc.) et la memoria (procédés pour mémoriser le discours).

[3] L’université de Bourges est une ancienne université française créée en 1463 et supprimée au moment de la Révolution française. L’université de Bourges a été créée par une ordonnance du roi Louis XI à la demande de son frère Charles, duc de Berry. Cette création a été autorisée le 12 décembre 1464 par le pape Paul II. Après que les lettres patentes ont été expédiées de Montilz-lèz-Tours le 6 décembre 1469, Louis de Laval-Châtillon, alors gouverneur de Champagne, intervient en février-mars 1470, sur l’ordre du roi, pour la création de l’Université de Bourges. Il servit dans cette affaire d’intermédiaire entre les Berruyers, le roi et le Parlement de Paris, qui se refusait à entériner les lettres de privilèges accordées à la nouvelle université. L’université s’installe initialement dans les anciens locaux de l’Hôtel-Dieu, près de la cathédrale, libérés par la construction d’un nouvel Hôtel-Dieu de Bourges édifié à l’autre bout de la ville à la suite de l’incendie de la Madeleine de 1487. La princesse Marguerite d’Angoulême, sœur du roi François 1er, manifeste son intérêt pour la jeune université. Puis Marguerite de France, fille de François 1er et sœur de Henri II, intéressée par les idées nouvelles, soutient à son tour l’université sur le conseil de Michel de l’Hospital. Elle incite notamment la municipalité à engager des professeurs de renom. Même si elle dispose de cinq facultés (arts, théologie, médecine, droit canon et droit civil), l’université de Bourges se spécialise surtout dans l’enseignement du droit romain, qui n’est alors pas assuré par l’université de Paris. Sous l’influence d’André Alciat se met en place une autre manière d’enseigner le droit romain, celle de l’humanisme juridique, qui emprunte plusieurs méthodes à la philologie (nécessité de lire le latin et le grec), à l’épigraphie archivistique, ainsi qu’à l’histoire et à l’étude rationnelle du droit. Parmi les principaux enjeux de l’humanisme juridique on trouve : l’établissement des textes du droit canon, les gloses, l’interprétation du corpus du droit civil et du droit canon à la lumière du renouveau des études de la littérature grecque et latine (ainsi que de leur traduction en français). La confrontation de ces travaux aux textes anciens, y compris les textes des pères de l’Église va ouvrir le champ au gallicanisme moderne.

[4] Torigni-sur-Vire est une commune française, située dans le département de la Manche en région Basse-Normandie. Anciennement Thorigny, elle a été le fief de la famille de Matignon dont il demeure l’aile sud du château du 16ème siècle,

[5] Le Journal des sçavans (de 1665 à 1790), devenu Le Journal des savans (de 1791 à 1830), puis Le Journal des savants, est le plus ancien périodique littéraire et scientifique d’Europe. Le premier numéro parut à Paris le 5 janvier 1665 sous forme d’un bulletin de 12 pages annonçant son objectif de faire connaître « ce qui se passe de nouveau dans la République des lettres ». En 1665, le siège du Journal des savants se trouvait dans la rue Montorgueil dans une maison à l’enseigne du Cheval Blanc. Supprimée en 1792, sa publication reprend en 1816, sous son nouveau nom, et perdure depuis.

[6] La Gazette d’Amsterdam, connue également sous les noms de Gazette d’Hollande et de Nouvelles d’Amsterdam, est un ancien journal européen d’informations internationales, édité à Amsterdam. Il fut l’un des journaux les plus importants du siècle des Lumières et une source essentielle d’informations politiques. L’existence de ce journal rédigé en français et paraissant deux fois par semaine, s’étendit de la deuxième moitié du 17ème siècle jusqu’à la fin du 18ème siècle, sous la république batave.