Il profita de la décadence des Perses, après qu’ils eurent perdu contre Alexandre le Grand la bataille du Granique [1]. Il n’avait osé s’agrandir mais il ne les craignit plus quand il les vit engagés dans une guerre où la fortune se déclara pour les Macédoniens.
Il se trouva bientôt déchu des espérances qu’il avait fondées sur l’affaiblissement de la monarchie persane. Il eut plus de sujet de redouter le vainqueur, qu’il n’en avait eu de craindre la Cour de Perse.
Ceux qui avaient été bannis d’Heraclée [2] recoururent à la protection d’Alexandre, et le trouvèrent si favorable à leurs intérêts, que peu s’en fallut que pour l’amour d’eux il ne détrônât Denys. La chose n’aurait pas manqué d’arriver, si Denys n’avait esquivé le coup par mille souplesses politiques, parmi lesquelles il faut compter son application à s’attirer la bienveillance de Cléopâtre de Macédoine, sœur d’Alexandre.
Il se vit délivré d’inquiétude en apprenant la mort d’Alexandre. Cette nouvelle, à force d’être agréable, lui pensa faire tourner l’esprit. Perdiccas après la mort d’Alexandre n’eut pas de moins bonnes intentions pour les exilés d’Heraclée ; de sorte que Denys se vit obligé de nouveau à recourir à mille artifices, afin de conjurer la tempête qui le menaçait. Mais cet embarras fut de courte durée, parce que Perdiccas fut bientôt tué.
Depuis ce temps là, les affaires de Denys allèrent toujours en prospérant, à quoi son mariage avec Amastris en 322 av. jc le servit beaucoup.
D’abord disciple de Zénon de Cition, il se convertit ensuite à l’hédonisme [3] à la suite d’une maladie qui l’amena à contester la thèse stoïcienne [4] de l’indifférence à la douleur. La vie voluptueuse que mena alors Denys le fit devenir si gras, qu’il ne faisait presque que dormir ; et son assoupissement était si profond, qu’il n’y avait point d’autre moyen de l’éveiller que de lui ficher de longues aiguilles dans le corps : à peine pouvait-on en venir à bout par cette voie.
Denys avait honte de sa grosseur, et c’est pour cela que lorsqu’il donnait audience, ou lorsqu’il rendait justice, il se mettait dans quelque armoire, qui faisait qu’on ne lui voyait que le visage. Quelques bannis d’Heraclée l’appellent le gros pourceau dans l’une des comédies de Ménandre.
Il mourut âgé de 55 ans dont 30 de règne, étouffé par la graisse. Ses sujets le regrettèrent beaucoup, car il les avait traités avec douceur.
Il laissa sa femme tutrice de ses enfants, et régente de l’état. C’est elle qui fit bâtir la ville d’Amastris [5], sur la côte de Paphlagonie [6].