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L’histoire pour le plaisir

Étienne le Jeune

jeudi 13 août 2015, par lucien jallamion

Étienne le Jeune (715-765)

Moine byzantin

Mosaïque du 11ème siècle représentant Étienne le Jeune, au monastère d'Osios Loukas (monastère Saint-Luc).Étienne naît à Constantinople dans une famille modeste et pieuse, d’un père, nommé Grégoire, travaillant de ses mains. Il a deux sœurs aînées. Il suit l’école élémentaire à partir de l’âge de six ans, et y étudie les Saintes Écritures.

Arrivé dans sa 16ème année, Étienne est conduit par ses parents au mont Saint-Auxence [1] et présenté à l’ermite Jean, successeur d’Auxence, qui, depuis son ermitage, qui est une grotte, dirige un monastère d’hommes situé à proximité. Jean tonsure Étienne et le revêt de l’habit monastique, et le jeune homme est admis dans le monastère. Il se met au service de l’ermite pour le nécessaire, transportant l’eau de fort loin.

À la mort de son père, il se rend à Constantinople, vend tous les biens de la famille, et ramène avec lui sa mère et une de ses sœurs, appelée Théodote, l’autre étant déjà entrée dans le monastère urbain Tou Monokioniou. Il fait bénir les deux femmes par l’ermite Jean, et les fait entrer dans le monastère féminin des Trikhinaréai, fondé par Auxence à une distance d’un mille de son ermitage.

Quand l’ascète Jean meurt, Étienne est auprès de lui. C’est lui qui frappe le simandre [2] pour faire connaître la dormition du père, attirant ainsi un chœur d’ascètes des monts alentour pour la célébration des funérailles. Il est alors dans sa 31ème année, et prend directement la succession de Jean dans son ermitage

Sa réputation de sainteté se répandant, il attire bientôt des disciples qui le supplient de les laisser habiter avec lui. Il fait alors construire un autre monastère près du sommet du mont, sous le vocable de saint Auxence. Mais dans sa 42ème année, il décide de s’imposer une réclusion plus rigoureuse. Abandonnant la gestion du couvent Saint-Auxence à Marinos, le premier disciple qui s’est présenté à lui, il s’aménage une étroite cellule, creusée dans le sol, dans un lieu inaccessible de l’autre côté du sommet. Il reçoit alors la visite d’habitants de Constantinople venant solliciter sa bénédiction, dont une riche veuve qui retourne vendre tous ses biens, rapporte une partie de l’argent à Étienne qui le confie à Marinos pour le dépenser au profit des paysans du voisinage, et prend l’habit monastique des mains d’Étienne dans le monastère des Trikhinaréai.

Des moines de la région de Constantinople et de Bithynie [3] s’assemblent aussi autour de lui en opposition à la politique iconoclaste [4] menée par l’empereur Constantin V, et notamment aux décrets du concile de Hiéreia [5] en 754.

Il leur recommande l’exil en Tauride [6], en Épire [7], en Italie du sud, dans les régions méridionales de l’Asie Mineure, à Chypre et au Liban. Il leur rappelle que le pape et les patriarches d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem rejettent le dogme infâme des brûleurs d’icônes, ainsi que Jean Damascène mort en 749 et condamné à Hiéreia.

L’empereur envoie un patrice du nom de Calliste auprès d’Étienne pour le faire souscrire aux décrets du concile. L’ermite refuse en répondant que les décrets de ce pseudo-concile sont hérétiques. Calliste ayant rapporté ces propos au souverain, celui-ci, furieux, le renvoie avec une troupe de soldats, qui arrachent l’ermite à sa grotte et l’enferment avec d’autres moines dans le tombeau de saint Auxence. Les soldats, impressionnés par l’ascète, n’exécutent d’ailleurs leurs ordres qu’à contrecœur.

Calliste parvient à corrompre un des disciples d’Étienne, dénommé Serge. Celui-ci se rend auprès du directeur du fisc du golfe de Nicomédie [8], qui porte le surnom d’Aulikalamos, et tous deux rédigent un rapport diffamatoire sur Étienne, l’accusant de tenir des propos injurieux contre l’empereur, d’organiser des complots, et même d’avoir une liaison avec la riche veuve mentionnée plus haut, appelée Anne en religion.

Le rapport est expédié à l’empereur, qui se trouve alors en campagne militaire contre les Bulgares. Il ordonne au patrice Anthès, son représentant à Constantinople, de procéder à l’arrestation de la sœur Anne aux Trikhinaréai et de la lui amener dans son camp. Comme Constantin, sûr de la véracité du rapport, exige d’elle qu’elle avoue tout, elle nie avec détermination, et le souverain ordonne qu’elle soit conduite à Constantinople et incarcérée dans la prison palatiale de la Phialê.

Un dignitaire de la cour nommé Georges se rend au mont Saint-Auxence et se fait tonsurer et admettre dans la communauté des moines par Étienne. L’empereur se plaint en public, à l’hippodrome, que les moines lui enlèvent ses proches serviteurs. Trois jours après sa tonsure, Georges s’enfuit du monastère et revient au Palais. Un nouveau rassemblement populaire est organisé à l’hippodrome et Georges est solennellement dépouillé de son habit monastique, purifié et revêtu d’un uniforme militaire.

Une troupe armée se rend au mont Saint-Auxence, incendie le monastère et l’église, disperse les disciples d’Étienne, porte l’ermite, incapable de marcher, jusqu’à une barque sur la côte, et le conduit au monastère Ta Philippikou, à Chrysopolis [9], où il est enfermé. Ensuite l’empereur promulgue un édit stipulant que tout homme pris à s’approcher de la montagne d’Auxence subira la peine capitale par le glaive.

Une délégation est envoyée à Étienne porteuse de l’horos du concile de Hiéreia et chargée de le lui faire signer. Elle est composée notamment de Théodose, métropolite [10] d’Éphèse [11] et fils de l’ex-empereur Tibère III, de Constantin, métropolite de Nicomédie, de Sisinnios, métropolite de Pergé [12], de Basile, métropolite d’Antioche de Pisidie [13], et de dignitaires laïcs comme le patrice Calliste. Le patriarche Constantin II de Constantinople a refusé de s’y associer, par peur de perdre la face devant Étienne. Après un long débat avec l’ermite, les délégués reviennent bredouilles.

L’empereur, furieux, prononce le bannissement d’Étienne sur l’île de Proconnèse [14]. Le saint quitte le monastère Ta Philippikou, où il est resté dix-sept jours, après avoir guéri l’higoumène [15] d’une forte fièvre. Débarqué sur l’île, il y repère une grotte dans la falaise méridionale et s’y installe, se nourrissant de plantes sauvages. Il est bientôt rejoint par tous ses anciens disciples, sauf deux Serge, corrompu par Calliste, et Étienne, entraîné par Serge et récompensé de sa défection par un poste dans le clergé du palais impérial des Sophianæ, à Chrysopolis, également par sa mère et sa sœur, qui ont quitté le monastère des Trikhinaréai.

La mère, puis la sœur, d’Étienne meurent sur l’île à une semaine d’intervalle, vers la fin de 764. Exaspéré de voir que le saint, même relégué sur l’île, continue de faire des adeptes, l’empereur le fait transférer à Constantinople, dans la prison de la Phialê. Quelques jours plus tard, il l’interroge lui-même sur la terrasse du Phare, dans le Palais. Constantin niant que piétiner une icône, c’est piétiner le Christ représenté dessus, Étienne prend alors une pièce de monnaie portant l’effigie de l’empereur, la jette par terre et la foule aux pieds. Les courtisans voulant se saisir de lui et le précipiter du haut de la terrasse, le souverain les en empêche. L’ermite est emmené enchaîné dans la prison du prétoire, siège de l’éparque [16], afin d’être légalement jugé pour outrage à l’empereur.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de histoire de La Vie d’Étienne le Jeune par Étienne le Diacre, introduction, édition et traduction (française) par Marie-France Auzépy, Birmingham Byzantine and Ottoman Monographs, vol. 3, University of Birmingham, 1997.

Notes

[1] Le mont Saint-Auxence, dit aussi mont Auxence, était à l’époque byzantine une hauteur située non loin de Constantinople, du côté asiatique du Bosphore, lieu d’implantation d’ermitages et de monastères. Il est appelé actuellement le Kaişdağ. Il s’agit d’une colline de 428 mètres d’altitude, au sommet rocheux, avec une falaise à pic du côté sud, située à 12 kilomètres au sud-est de Kadiköy (l’ancienne Chalcédoine), près de la côte de la Mer de Marmara. C’est une hauteur dominant les alentours et visible depuis Constantinople.

[2] La simandre est une pièce en bois qui, frappé avec un maillet, sert à appeler à la prière les moines orthodoxes en Grèce et en Roumanie.

[3] La Bithynie est une région historique de l’Asie Mineure située sur la côte nord, entre le détroit du Bosphore, la Propontide, le Pont Euxin, la Paphlagonie, et bornée au sud par la Galatie et la Phrygie. Les villes principales de Bithynie sont Nicomédie (actuelle Izmit) et Nicée, qui se disputent le titre de capitale selon l’époque, ainsi qu’Héraclée du Pont, Pruse (actuelle Bursa) et Chalcédoine. Elle est actuellement située en Turquie.

[4] L’iconoclasme est, au sens strict, la destruction délibérée d’images, c’est-à-dire de représentations religieuses de type figuratif (appartenant souvent à sa propre culture), généralement pour des motifs religieux ou politiques. Ce courant de pensée rejette la vénération adressée aux représentations du divin, dans les icônes en particulier. L’iconoclasme est opposé à l’iconodulie (ou iconodoulie).

[5] Le concile de Hiéreia est le premier concile iconoclaste, convoqué du 10 février au 8 août 754 dans le palais suburbain de Hiéreia sur la rive asiatique du Bosphore, par l’empereur Constantin V pour faire condamner la production et la vénération des images. Les actes du concile sont condamnés par la suite lors du premier rétablissement du culte des images au 2ème concile de Nicée en 787

[6] La Tauride, Taurique ou Chersonèse Taurique fut le nom jadis donné par les Grecs antiques à la presqu’île de Crimée. Elle fut le siège du royaume du Bosphore, royaume grec antique établi sur les rives du Bosphore Cimmérien (actuel détroit de Kertch entre la mer Noire et la mer d’Azov) et sur la Tauride proprement dite, qui perdura jusqu’au roi Sauromatès VI où il disparut, conquis par les Goths, lors des invasions barbares. Passant entre autres dans les mains de l’Empire byzantin, de la Rus’ de Kiev et de la République de Gênes, elle devient de la seconde moitié du 16ème à la fin du 18ème siècle le centre du khanat de Crimée.

[7] Épire est une région montagneuse des Balkans, partagée entre la Grèce et l’Albanie. Épire signifie « continent » en grec.

[8] Nicomédie est une ville d’Asie mineure, capitale du royaume de Bithynie. Elle est appelée Izmit aujourd’hui. Hannibal s’y donna la mort en 183 av. jc et l’historien Arrien y naquit vers 90. Elle fut la capitale des empereurs Dioclétien et Constantin.

[9] Üsküdar est un des trente-neuf districts de la ville d’Istanbul en Turquie, situé sur la rive asiatique, autrefois connu sous le nom de Scutari. Un de ses emblèmes est la tour de Léandre, Kız kulesi, littéralement, tour ou donjon (kule) de la (des) fille(s) (kız). Il jouxte le district de Kadiköy.

[10] Métropolite est un titre religieux porté par certains évêques des Églises d’Orient. À l’origine, le métropolite est l’évêque d’une capitale de province (métropole) romaine investi de la charge de présidence des conciles ou synodes provinciaux. Dans l’Église d’Occident, on prit l’habitude de dire « métropolitain » pour désigner un archevêque assurant un rôle de coordination entre les évêques titulaires des sièges qui composent la province ecclésiastique. En Orient on utilise le terme de métropolite qui, au cours de l’histoire, est souvent synonyme d’archevêque.

[11] Éphèse est l’une des plus anciennes et plus importantes cités grecques d’Asie Mineure, la première de l’Ionie. Bien que ses vestiges soient situés à près de sept kilomètres à l’intérieur des terres, près des villes de Selçuk et Kuşadası dans l’Ouest de l’actuelle Turquie, Éphèse était dans l’Antiquité, et encore à l’époque byzantine, l’un des ports les plus actifs de la mer Égée ; il est situé près de l’embouchure du grand fleuve anatolien Caystre.

[12] Pergé ou Perga est une cité antique, autrefois capitale de la Pamphylie, aujourd’hui située en Turquie, à Aksu, 17 km à l’est d’Antalya.

[13] Antioche de Pisidie est une ancienne cité de Pisidie, la région des lacs en Turquie, la province moderne d’Antalya. Elle se situait à la croisée des mers Méditerranée et Égée et la région centrale d’Anatolie, près de l’ancienne frontière entre la Pisidie et la Phrygie. De ce fait elle est aussi connue sous le nom d’Antioche de Phrygie. Le site se trouve à environ 1 km au Nord de Yalvaç (ou Yalobatch), ville moderne de la province d’Isparta. Antioche était située sur une colline dont le point le plus haut est à 1236 m. La ville était bordée à l’Est du ravin profond de la rivière Anthius qui se jette dans le lac Egridir

[14] L’île de Marmara, en turc Marmara Adası, ou Proconnèse, est une île de Turquie, la plus grande île de la mer de Marmara, proche de la cité de Cyzique.

[15] Un higoumène ou hégoumène est le supérieur d’un monastère orthodoxe ou catholique oriental. Le terme équivaut celui d’abbé ou d’abbesse dans l’Église latine.

[16] Dans l’Empire byzantin, l’éparque est la dignité attribuée au préfet de Constantinople. Pendant le Bas Empire romain, l’éparque est le gouverneur d’une province.