Bienvenue sur mon site historique. Bon surf

L’histoire pour le plaisir

Accueil du site > Histoire du 15ème siècle > 1429 : une année charnière

1429 : une année charnière

lundi 26 novembre 2012

Le chateau Dunois, aujourd'hui musée de l'Orléanais (photo lj 2009)

1429 : une année charnière

L’effet de l’arrivée de Jeanne d’Arc fut surtout psychologique. Le dauphin, faible de caractère, se sentait perdu (et avait même des doutes sur sa légitimité à cause de sa mère).

Jeanne naît le 6 janvier 1412 à Domrémy, petit village des Vosges près de Neufchâteau. C’est dans cette châtellenie de Vaucouleurs, commandée par Robert de Baudricourt, qu’elle grandit.

La place est fidèle au roi de France et le restera. Chemin obligé entre Bourgogne et Flandres, le pays est sûr car placé sur une route commerciale essentielle au royaume. Mais le Traité de Troyes met fin à ce climat serein, les partis ennemis cernent la Châtellenie et malgré la défense de quelques capitaines du roi comme Etienne de Vignolles, elle succombe aux pillages et autres razzia. Jeanne a treize ans.

Elle ne sait ni lire, ni écrire, bien que de parents aisés. Elle ne sait que ses prières, aide volontiers à conduire ou garder le troupeau et excelle à filer et coudre. Un dimanche d’été, Jeanne a sa première révélation : l’archange Michel apparaît "mêlé au cœur des anges du ciel" pour lui dire "la grande pitié du royaume de France" et parle "du secours nécessaire à donner au roi légitime".

Saint Michel est à cette époque le patron des français : il est partout prié et vénéré. On lui attribue la vie sauve du dauphin Charles à La Rochelle ; quand le Mont au Péril de la Mer (Mont Saint-Michel), défendu depuis sept ans par Jean, le Bâtard d’Orléans, sort victorieux de son état de siège en 1425, saint-Michel devient pour tous, le Saint protecteur des défenseurs du Dauphin. De plus, Jeanne, très instruite des principes de la foi chrétienne, ne peut ignorer que Saint-Michel est le premier des guerriers, la nature guerrière de sa mission lui est ainsi signifiée très tôt. Mais Jeanne, très pieuse, a aussi ses saintes : Sainte-Catherine et Sainte Marguerite. Elles apparurent également à Jeanne, quatre années durant, l’exhortant à "aller en France" puis à aller "vers Robert de Baudricourt, dans la ville de Vaucouleurs dont il était capitaine.

Après avoir chassé ses doutes, elle se décide à l’action. Devant l’hostilité de son père, doyen de Domrémy, elle se tourne vers son oncle, Durand Lassois, laboureur à Burey-la-Côte. En mai 1428, Lassois la mène une première fois à Vaucouleurs ; à Baudricourt, elle demande d’adresser un message au Dauphin : "Gardez-vous bien, et surtout n’offrez pas la bataille à vos ennemis ; car le Seigneur vous enverra secours vers la mi-carême". Robert de Baudricourt la chasse. Elle rentre à Domrémy, mais en juillet, les bourguignons attaquent la châtellenie. Elle suit ses parents en refuge à Neufchâteau, chez La Rousse, où elle apprend à monter à cheval.

L’hiver 1428-1429 voit les défaites militaires françaises s’enchaîner : Orléans est assiégé par les anglais dont l’avancée est inexorable. Contre l’avis paternel, Jeanne repart chez Durand Lassois puis à Vaucouleurs.

Baudricourt la fait exorciser par le curé, puis l’envoie à Nancy au chevet du duc Charles II qui réclame sa présence, croyant en ses dons de guérisseuse ! Jeanne s’excuse et lui demande de lui "bailler" son gendre, René d’Anjou, ami d’enfance du Dauphin. Le duc refuse mais lui donne toutefois un cheval et quelques sous. De retour à Vaucouleurs, Robert de Baudricourt accepte de la laisser partir : il lui donne une épée, alors que le peuple l’équipe ("tunique, chausses attachées au pourpoint avec des aiguillettes, souliers hauts, robe courte jusqu’au genou, chaperon à bords festonnés, cheveux coupés à la façon des pages".)

Armée et équipée, Jeanne part le 23 février 1429 pour Chinon, où le Dauphin Charles tient sa cour. Robert de Baudricourt la laisse partir à regret, lui donnant toutefois une petite escorte de six hommes en armes et un serviteur : Jean de Nouvilonpont, Bertrand de Poulengy, Jean de Honnecourt, Colet de Vienne (messager du roi), Richard (archer) et Julien (page).

Cent trente lieues (520 km) séparent la châtellenie de Vaucouleurs de Chinon, voyage périlleux en ces temps de brigandage et de saccages. En allant de nuit par des routes peu fréquentées, la petite troupe gagna l’abbaye de Saint Urbain en Champagne, puis Auxerre. Elle atteignit les terres du Dauphin à Gien, terres tout aussi peu sûres. La traversée du Berry et de la Touraine se fit sans encombre.

Aux portes de Chinon, Jeanne fit transmettre un message au Dauphin : elle devait lui dire "des choses qui lui seraient utiles et qu’elle seule connaissait".

Elle entrait le 6 mars 1429 à Chinon mais due patienter deux jours avant d’être reçue à la cour. L’audience est donnée un soir, en présence de trois cents chevaliers en grande tenue.

Interrogée par le dauphin, elle répondit, nullement intimidée, qu’elle était "venue de Dieu pour vous aider, vous et votre royaume". La légende veut qu’elle transmit à Charles un signe secret qui lui accorda sa confiance. Elle ne parla jamais de ce secret, même durant son procès. Toutefois, Charles était empêtré par son entourage et ne pouvait laisser son avenir et celui du royaume dans les mains d’une inconnue sans se discréditer lui-même. Il la logea confortablement dans la tour du Coudray du château de Chinon et confia à des moines franciscains le soin d’enquêter sur Jeanne jusqu’à Domrémy.

Parallèlement, on fit appelle à Jacques Gélu, ancien conseiller de la maison royale, pour déterminer si cette femme, "facilement abusable par sa nature" n’était ni hérétique, ni inspirée du Démon.

Elle fit bonne impression par sa simplicité mais surtout par sa demande au Dauphin d’avouer Dieu pour suzerain afin "de tenir de lui pour fief le royaume de France". L’ultime jugement devrait tout de même être prononcé par les Docteurs de l’Église de l’Université de Poitiers. La patience de Jeanne est donc mise à l’épreuve quand elle quitte Chinon pour Poitiers, accompagnée de Nouvilonpont et Poulengy. Elle subira interrogatoire et examen durant trois semaines. Un procès verbal fut dressé puis une seconde enquête fut mandée par Charles lui-même.

Elle était alors logée chez Jean Rabuteau, avocat général au Parlement de Poitiers et fréquentait assidûment la chapelle qui jouxtait la maison. Les docteurs durent finalement conclurent "qu’ils ne voyaient rien que de bien en son fait" et que "nul mal ne trouvant en elle et considéré sa réponse qui est de monter signe divin devant Orléans, vu sa constance et sa persévérance en son propos et ses requêtes instantes d’aller à Orléans pour y montrer le signe de divin secours" ils conseillaient au roi "de ne la point empêcher d’aller avec ses gens d’armes", mais " la doit faire conduire honnêtement, en espérant de Dieu".

La nouvelle et les conclusions des Docteurs de l’Église se répandent dans toutes les villes et contrées fidèles au Dauphin. Cette "autre sainte Catherine" rallie la noblesse avide d’en découdre avec l’anglais envahisseur, mais aussi le peuple qui voit en elle une juste victoire pour la France et surtout la paix.

Le Conseil décide alors d’envoyer Jeanne à Tours : son armure lui est remise. Son épée, marquée de cinq croix, fait l’objet d’une histoire particulière. Jeanne la désigna après une révélation, située derrière l’autel de l’église Sainte-Catherine de Fierbois. La rouille qui la couvrait tomba sans effort. Jeanne la conservera jusqu’en avril 1430.

Son arme de prédilection fut incontestablement son étendard : de toile blanche frangée de soie, semée de fleurs de lis ; deux anges encadrent le monde (c’est à dire Dieu le Père) ; sur le côté les mots Jhesus-Maria ; au revers, les armoiries de Jeanne (une colombe d’argent sur écu d’azur tenant un phylactère :"De par le Roi du Ciel"). Nous sommes le 22 avril 1429.

A Tours, Jeanne était logée chez Eléonore du Puy, dame d’honneur de Yolande de Sicile. Cette dernière lors des conclusions des docteurs de l’Église rendues et sur ordre de Charles, lui constitua une suite qui avait pour but de la protéger. Mais parmi celle-ci, on comptera les plus fidèles compagnons de la pucelle. Elle était ainsi formée de : Jean d’Aulon, écuyer, membre du Conseil royal, avec deux pages, Louis de Coutes et Raymond, Jean de Nouvilonpont trésorier de la troupe, Bertrand de Poulengy, Gaucourt et deux hérauts, Ambleville et Guyenne, frère Pasquerel, ermite de Saint Augustin en fut l’aumônier. Les deux frères de Jeanne rejoignirent à ce moment leur sœur, accompagnés de son cousin, Nicolas de Vouthon.

Mission était alors donnée à Jeanne de gagner Blois où stationnait l’armée de Charles et ses capitaines : Regnault de Chartres, le sire de Gaucourt gouverneur d’Orléans, le maréchal de Boussac, le sire de Rais, l’amiral de Culant, Etienne de Vignoles, Ambroise de Loré, Poton de Xaintrailles et Jean, duc d’Alençon.

L’armée comptait ainsi plus de huit mille soldat. A ce moment là, Dunois était assiégé à Orléans et attendait de cette armée vivres et munitions. C’est par la rive gauche de la Loire que l’armée avance vers Orléans

Le 22 mars, Jeanne, attendant le verdict des docteurs de l’Église à Poitiers, avait fait préparer une lettre pour les anglais qui assiégeaient Orléans. Elle sommait ainsi le roi d’Angleterre et le duc de Bedford, mais aussi les capitaines anglais Guillaume (comte de Suffolk), Jean Talbot et Thomas de Scales : "Faites raison au Roi du Ciel ; rendez à la Pucelle qui est envoyée par Dieu, le Roi du Ciel, les clefs de toutes les bonnes villes que vous avez prises et violées en France (...) Allez-vous-en en votre pays, de par Dieu, et si ainsi ne le faites, attendez les nouvelles de la Pucelle, qui vous ira voir brièvement à vos bien grands dommages (...)

Je suis envoyée de par Dieu, le Roi du Ciel, pour vous bouter hors de toute France (...) Si vous lui faites raison, encore pourrez venir en sa compagnie, là où les Français feront le plus bel fait que oncques fut fait pour la chrétienté".

Jeanne dépêcha la missive lorsqu’elle se mit en route pour Orléans. Les anglais ne répondirent pas mais gardèrent le héraut Guyenne pour le brûler. C’est que le siège durait depuis plus de 6 mois et que les anglais précédés de leur réputation, étaient sûrs d’eux. Ils avaient bâti 13 puissantes bastilles autour de la ville. Le 28 avril 1429, l’armée est en vue d’Orléans : la manœuvre consiste à remonter la Loire pour entrer par la Porte de Bourgogne. Les vents sont contraires, la chose se complique.

Dunois sort de la ville qu’il défend et se porte au-devant de l’armée. Il constate alors que le vent tourne : c’est le signe que tous attendent de la Pucelle ! Le soir du 29 avril, Jeanne entre dans Orléans avec Dunois, La Hire, Boussac, son escorte de Tours et 200 soldats. La ville est en liesse. Le 30 avril, l’audace est dans le camps de assiégés qui attaquent vainement l’anglais à la Bastille Saint-Loup. Le 1er avril, Dunois part à la rencontre des renforts sur la route de Blois. A son retour, le 4 mai, La Hire et Jeanne sortent pour les accueillir : l’anglais n’attaque pas. Lorsque l’après-midi le sire de Rais attaque la Bastille Saint-Loup pour dégager le passage aux renforts, Jeanne se repose dans la ville. Elle est tirée de son sommeil par ses saintes pour relancer un combat qui s’annonce un fiasco. Sous son étendard, Orléans se réveille et après trois heures de lutte, la bastille est enlevée ! Les renforts anglais, menés par Talbot ne pourront que reculer devant la sortie des 600 hommes de Boussac.

A plusieurs reprises, Jeanne tentera la voie diplomatique avec les anglais en les sommant de quitter les lieux. A chaque fois, ils répondront par le mépris et l’insulte.

Le 6 mai, la bastille de Saint-Jean-le-Blanc est occupée, ses défenses anéanties au son du cris de Jeanne : "En nom Dieu ! Hardi ! Entrez hardiment !". Le 7 mai, le plus gros morceau reste a prendre : le fort des Tourelles et le boulevard du même nom. Jeanne déclarera aux capitaines : "Tenez-vous toujours près de moi, car demain j’aurai beaucoup à besogner, beaucoup plus que je n’ai fait jusqu’ici, et demain le sang coulera de mon corps au-dessus de la poitrine". L’assaut est donné mais les anglais résistent bien. A la mi-journée, un carreau d’arbalète atteint Jeanne à l’épaule. Elle se retire pour être soignée. Les combats se poursuivent jusqu’au soir et Dunois est bien près d’ordonner la retraite. D’Aulon porte alors l’étendard de Jeanne aux pied de la muraille.

Celle-ci survient alors, s’en empare et clame : "Regardez ! Jusqu’à ce que la queue de mon étendard touche au mur !". Le vent l’y poussa. "Alors entrez ! Tout est à vous !". L’assaut est terrible mais réussit. Les Tourelles, attaquées de toutes parts, tombent ; les capitaines anglais qui les défendaient périssent dans l’effondrement d’une passerelle. A la nuit tombante, Jeanne d’Arc rentre dans Orléans victorieuse.

Le dimanche 8 mai 1429, sir Jean Talbot provoque, comme il est d’usage à l’époque, les français en combat loyal. Jeanne sort d’Orléans mais réclame deux messes avant le combat. Au terme de celles-ci, les anglais se retirent. Un historien anglais écrira bien plus tard que "dans les quelques heures de la lutte des Tourelles, Jeanne a gagné une des quinze batailles décisives du monde".

Partout en France, la victoire est célébrée par des processions, même si le Dauphin, toujours mal conseillé par La Trémoille et Regnault, ne se déplace pas pour les festivités. Jacques Gélu la qualifie "d’ange des armées de Dieu".La victoire d’Orléans étant acquise le 8 mai 1429, les anglais se replient en bon ordre vers Jargeau pour les troupes du comte de Suffolk et vers Meung et Beaugency pour celles de sir John Talbot et lord Scales. La Loire restait à libérer.

Le 10 mai, Jeanne quitte Orléans. le 11 mai, Dunois attaque Jargeau en vain, tandis que Jeanne est à Tours pour saluer le Dauphin. Elle veut prestement le couronner à Reims mais celui-ci préfère rejoindre Selles en Berry pour la tenue des États. Jeanne suit mais le 4 juin, elle reçoit une lettre d’Orléans l’informant de la situation sur la Loire. Elle regagne Orléans le 11 juin, puis Dunois, Vendôme, Boussac, la Hire, Rais, Florent d’Illiers, Jean d’Alençon et ses 6000 hommes devant Jargeau. L’assaut rend Jargeau à la France et fait Suffolk prisonnier.

Le 15 juin, Meung tombe et Talbot se replie sur Janville ; devant Beaugency, Jeanne est ralliée par le connétable de Richemont et ses 1000 hommes : le 17 Beaugency capitule. Le même jour, Sire John Fastolf marchait sur Beaugency avec 5000 hommes, mais apprenant la prise de la ville, oblique vers Janville pour faire la jonction avec les archers de Talbot.

Le 18 juin, Jeanne prédit que "le gentil roi aura aujourd’hui plus grande victoire qu’il n’eut de longtemps..." C’est près de Patay que les cavaliers de La Hire chargèrent les troupes de Talbot et de Scales ; Ces derniers sont fait prisonniers. Les français accrochent ensuite l’armée de Fastolf et la mettent en déroute : quatre mille anglais périssent. Les survivants sont humiliés d’avoir reculé devant une femme et les prétentions du duc de Bedford de soumettre la France sont anéanties. Suivront le repos de Saint-Benoît-sur-Loire le 22 juin avec le Dauphin et une attente à Gien. Puis le sursaut : la décision du Dauphin de marcher sur Reims pour y être couronné. Cette décision fut en fait prise par Regnault de Chartres qui vit là l’occasion de récupérer son archevêché.

Après les longs jours de tergiversations à Gien, Jeanne part le 27 juin 1429 pour Montargis avec l’avant-garde d’une armée forte de trente mille hommes. Mais elle ne la commande pas : c’est La Trémoille, conseiller chambellan du dauphin qui dirige, aidé de Dunois, Jean d’Alençon et les sires de Rais et d’Albret. Lorsque le 1er juillet celle-ci atteint Auxerre qui est aux mains des bourguignons, La Trémoille se laisse soudoyer par les bourgeois et accepte que la ville ne se rende qu’après Troyes, Chalons et Reims ! Le 5 juillet, l’ost de Charles campe devant Troyes ; ce dernier arrive le 8 juillet et attaque sur les conseils de Jeanne. La ville négocie aussitôt le retrait de la garnison bourguignonne ce qui permet à Charles d’entrer dans Troyes le 10 juillet 1429.

De Troyes, Regnault écrit aux Rémois de se rendre, puis l’armée se remet en marche : Chalons se rend sans combat le 14 juillet. Reims envoie une ambassade à Charles le 16 juillet qu’il reçoit au château de Sept-Saulx, à quatre lieues de la ville : le sacre se prépare à la hâte car les bourgeois de Reims veulent éviter de dépenser pour l’approvisionnement de l’armée de Charles. Le Sacre de Charles VII a lieu le 17 juillet 1429 dans la cathédrale de Reims.

Les insignes royaux résidaient en la Basilique de Saint-Denis que tenait l’ennemi, mais la sainte ampoule était à Reims ; les pairs laïques furent remplacés par les capitaines de l’armée, tandis que trois pairs ecclésiastiques étaient présents (l’archevêque de Reims, les évêques de Chalons et de Laon). Charles prêta serment puis fut oint par Regnault ; vint le tour du duc d’Alençon qui conféra au roi le sacrement de la chevalerie. Jeanne s’agenouilla alors devant son roi : "Gentil roi, maintenant est exécuté le plaisir de Dieu, qui voulait que je fisse lever le siège d’Orléans et que je vous amène en la cité de Reims pour recevoir votre digne sacre, en montrant que vous êtes le vrai roi et celui à qui le royaume de France doit appartenir".

Le peuple, superstitieux, suivit ce roi à présent sacré et la "pucelle" guidée par Dieu. De guerre féodale, la Guerre de Cent Ans devenait une guerre nationale guidée par un sentiment mystique. En effet, Charles recevait soumission de Laon, Soissons le 21 juillet, Château-Thierry, Coulommiers, Montmirail, Provins, et tentait de regagner la Loire. Mais l’anglais l’en empêche au passage de la Seine, et de Montereau, le duc de Bedford défie Charles, qui "d’habitude s’appelait dauphin" et qui mène avec lui "une femme déréglée et dissolue en ses mœurs, vêtue en hommes". 6000 soldats français font alors face à 8000 anglais du 14 au 16 août 1429. Le 15 août, Jeanne et La Hire charge les anglais qui se replient sur Paris.

Charles VII est à Compiègne, qui lui donne soumission après de longues négociations. Suivent Senlis et Beauvais, dont l’évêque, Pierre Cauchon, en est chassé et jouera, nous le verrons un triste rôle plus tard.

Le 26 août, Jeanne se rend à Saint-Denis avec Jean d’Alençon pour préparer l’attaque de Paris. Mais la place, tenue par les bourguignons (Bedford s’est replié sur Rouen), est fort bien défendue par le capitaine de Paris, sire de l’Isle-Adam et l’évêque de Thérouanne, Louis de Luxembourg, chancelier de France pour Henri VI. Malgré quelques atermoiements politiques douteux, Charles arrive à Saint-Denis le 7 septembre1429 et demande à Jeanne de prendre Paris en quelques heures ! L’attaque a lieu le 8 septembre 1429 : mal préparée, elle piétine malgré les 12 000 hommes qui la mène. A un passage de fossé, Jeanne reçoit une flèche à la jambe et se retire. Au soir, La Trémoille ordonne la retraite sans victoire jusqu’à la Chapelle. Déjà, Jeanne dresse les plans pour le lendemain. Le 9 septembre, l’armée se remet en mouvement mais est stoppée par un ordre royal qui somme Jeanne de rentrer à Saint-Denis. Elle insiste auprès du roi pour attaquer le 10 par le sud, mais dans la nuit, Charles fait démolir le seul pont qui eut permit cet assaut.

Ne comprenant pas ces tergiversations, Jeanne suspend son armure devant la Vierge de la Basilique de Saint-Denis (mais garde son épée et son étendard), et suit son roi lors de son retour vers la Loire le 13 septembre. Celui-ci, par manque d’argent, donne congé aux capitaines de l’armée le 21 septembre, à Giens. Il contraindra Jeanne à une retraite qu’elle choisira pieuse, et ce malgré la demande de Jean d’Alençon de mener avec elle une campagne en Basse-Normandie et en Bretagne.

Le 29 décembre, il exempte d’impôts Domrémy et surtout anoblit Jeanne et sa famille, sous le nom de Johanna d’Ay et avec pour ses frères, des armoiries et un nouveau nom : du Lys.

Mais la nouvelle court que les anglais préparent un débarquement pour le printemps, afin de reprendre la Loire à Charles VII. Quelques places sont encore à l’ennemi sur la rive droite du fleuve, dont La Charité (tenue par Perrinet Gressart) ou Saint Pierre le Moustier : il faut les enlever avant que les troupes d’outre-manche puissent prendre appui dessus. Le mois d’octobre voit Jeanne redevenir chef de guerre. Mais l’inconséquence du roi et la cupidité de La Trémoille ont vidé le trésor royal qui ne peut plus financer la moindre expédition ! C’est la ville de Bourges qui réunira les fonds (1300 couronnes d’or). A la fin du mois, Jeanne, avec son audace coutumière, enlève Saint Pierre le Moustier ; elle se rend ensuite à Moulins pour réapprovisionner sa troupe en munitions (quelques villes fidèles comme Orléans lui enverront, payés par les habitants, de la poudre, des armes et des hommes).

Début novembre, le siège de La Charité peut commencer. Mais par manque d’argent, il tourne court, la politique et la diplomatie prennent le relais des armes pour obtenir une trêve de printemps.

Jeanne se replie à Orléans où elle se repose puis rejoint Charles à Sully-sur-Loire. Elle y reçoit un appel des Rémois, menacés par l’avancée des anglais en Champagne

Fin mars 1430, elle quitte la cour pour rejoindre Lagny, dont les anglais menacent les portes. Elle a alors la révélation, par ses voix de sa fin prochaine :" elle serait prise avant que vînt la Saint-Jean ; et qu’ainsi fallait que fût fait ; et qu’elle ne s’ébahît pas et prît tout en gré ; et que Dieu lui aiderait".

Jeanne ne commande plus l’armée mais une petite troupe, gonflée à Lagny par des cavaliers et archers écossais et lombards. Lorsque les trêves prennent fin, nulle paix n’est fixée. Charles VII aperçoit alors son erreur, tout comme Regnault de Chartres qui tient Compiègne. Philippe, duc de Bourgogne et le duc de Bedford ne renonceront pas ; ils lancent au contraire une vaste offensive sur l’Oise. Les places tombent les unes après les autres. Jeanne tente de parer les coups : à Choisy sur Aisne, à Noyon puis Soissons. En vain. L’armée royale, privée de subsistance, se disloque.

Jeanne apprend alors que Compiègne va être assiégée par la coalition anglo-bourguignonne, commandée par le comte d’Arundel. L’histoire d’Orléans se répète. De nuit et par l’est, Jeanne entre à Compiègne le 23 mai 1430 au matin.

Compiègne est assiégée : les anglais de Montgomery campent à Venette, au sud-ouest, les bourguignons de Philippe sont à Coudun, au nord ; Jean de Luxembourg est à Clairoix, entre les deux. Dans l’après-midi du 23 mai, Jeanne et une petite troupe sortent de la ville pour prendre le poste avancé bourguignon de Margny, commandé par Baudot de Noyelles. Par effet de surprise, le village tombe, mais Jean de Luxembourg, qui inspecte les avant-postes alerte ses troupes de Clairoix qui arrivent promptement. Les français sont submergés et font retraite vers la rivière ; des bateaux ont en effet été prévus à cet effet. Jeanne, entourée de d’Aulon et de ses frères, charge les bourguignons pour permettre la fuite en bateau de ses hommes. Entre-temps, les troupes anglaises du comte de Montgomery, alertées, parviennent à approcher les remparts et coupent de ce fait toute retraite à Jeanne. Les voyant si près des murs, Guillaume de Flavy, commandant de la place, fait fermer les portes de Compiègne et lever la herse. Jeanne est toujours dehors. Cernée, elle est tirée de sa monture et se rend à Lyonnel, un archer du bâtard de Wandonne.

Elle est conduite à Margny où Philippe de Bourgogne vient la voir. Charles VII se trouve alors à Jargeau. Il ne bouge pas. Toujours sous l’influence de La Trémoille, qui le pille, et de Regnault de Chartres, qui dirige son conseil, il ne tente aucune médiation de rachat ou d’échange, rendu possible par la captivité de Talbot depuis Patay.

Même si une multitude de voix s’élèvent pour le demander, ce roi qui lui doit tout lui tourne le dos.

Captive au soir du 23 mai 1430, Jeanne dépend de Jean de Luxembourg, mais elle était gardée par le bâtard de Wandonne. Il la conduisit de Margny au château de Baulieu, près de Noyon. Prête à s’évader pour rejoindre les assiégés de Compiègne, elle fut transférée début juin au château de Beaurevoir, en Vermandois. Elle était alors en compagnie des dames de Luxembourg (Jeanne de Béthune, femme de Jean de Luxembourg, Jeanne de Bar, leur fille et une autre Jeanne, leur tante, marraine de Charles VII. Bien que sévèrement gardée, elle sauta de soixante pieds dans un fossé pour tenter l’évasion, car elle voulait de toute force rallier Compiègne et ne pas tomber aux mains des anglais.

Ses craintes étaient justifiées : le Conseil de Rouen, aux mains des anglais, voulait la racheter, tout comme l’Université de Paris, dont les docteurs, confortés par le vicaire général de la Sainte Inquisition, la désignait hérétique. Mais Paris, toujours aux mains des bourguignons, était toujours cernés de près par les Armagnacs. Rouen était plus sûr pour un procès, d’autant plus qu’un des plus acharnés adversaire de Jeanne s’y trouvait : Pierre Cauchon, ancien recteur de l’Université, évêque chassé de Beauvais, aumônier de France pour le roi d’Angleterre, donc l’homme de Bedford. Dès juillet 1430, il se présentait à Jean de Luxembourg devant Compiègne avec 10.000 livres d’or de la part du régent anglais. Sous la menace de l’Inquisition et le risque d’un coup de main libératoire des partisans français, Jean de Luxembourg livre Jeanne au duc de Bourgogne, fin septembre 1430.

Elle est emmenée à Arras et confiée à son gouverneur, le sire de Ligny. Cauchon redouble d’ardeur pour l’obtenir, se déplaçant jusqu’en Flandres pour voir Philippe. Les tractations vont bon train mais restent scellées. Vers la mi-novembre, Jeanne est vendue ; le bâtard de Wandonne reçut une rente tandis que les États de Normandie versait 10.000 livres tournois pour "acheter Jehanne la Pucelle que l’on dit être sorcière, personne de guerre, conduisant les osts du dauphin"

D’Arras, les anglais la conduisirent au château de Drugy puis au Crotoy ; de là, le 21 novembre, elle embarqua pour Saint-Valéry puis Dieppe d’où elle prit la route de Rouen. Elle fut alors enfermée dans "la grosse tour" du Vieux Château de Philippe Auguste où résidait le jeune Henri VI.

Elle aurait due être emprisonnée dans les geôles de l’Officialité car accusée d’hérésie ; ainsi, les anglais n’auraient pas pu l’humilier comme ils le firent : les fers aux pieds, dans une cellule crasseuse et gardée par des rustres grossiers. Elle dira à ses confesseurs qu’elle avait souffert le martyre et "qu’elle ne savait si plus grande peine elle pourrait souffrir". Etienne Vignolles (dit La Hire), ancien compagnon de Jeanne à Orléans et Patay, tentera en vain de la libérer à Rouen. Fait prisonnier, il s’échappa et remporta de nombreuses victoires dans le nord de la France sur les anglais.

Les anglais veulent un procès. Certes, le sentiment de vengeance est présent car la Pucelle, depuis Orléans, défie et ridiculise la puissante armée du petit roi et de son régent. Mais la raison en est plus politique : faire condamner Jeanne par l’Église c’est atteindre la légitimité de Charles VII. En démontrant qu’elle n’est pas inspirée de Dieu et de ses saints protecteurs, mais du Diable, non seulement on casserait l’élan spirituel du peuple français, mais en plus on discrédite le roi qui se serait laissé abusé par une sorcière.

La royauté française restaurée par le sacre n’a plus de raison d’être et les desseins anglais enfin réalisables. Mais l’histoire rend justice à Jeanne car Compiègne ne tomba point. Le siège dura jusqu’au 26 octobre 1430, date à laquelle Guillaume de Flavy fait une sortie en masse, appuyé par Vendôme et Xaintrailles de l’extérieur. Les bourguignons sont écrasés à Germiny le 1er décembre et la campagne qui devait couronner Henri VI "roi de France et d’Angleterre" est anéantie.

A la fin décembre 1430 et au début de janvier 1431, Cauchon se hâte de préparer le procès de Rouen. Il faut former le tribunal mais Rouen n’a ni archevêque, ni doyen de Chapitre. Qu’importe ! Il obtient tout pouvoir de ce Chapitre le 28 décembre et peut dès les premiers jours de l’année désigner les acteurs.

Juge : Pierre Cauchon, clerc de l’Université, évêque déchu de Beauvais, aumônier de France pour Henri VI. Accusateur : Jean d’Estivet, chanoine de Beauvais. Notaires : Guillaume Colles et Guillaume Manchon, prêtres. Examinateur des témoins : maître Jean de La Fontaine.

Huissier : Jean Massieu, prêtre de Rouen. Inquisiteurs : Jean Graverent, Inquisiteur de la perversité hérétique, et Jean Le Maistre, dominicain, vice inquisiteur de Rouen, mais aussi Pierre Maurice, Jean Beaupère, Thomas Fiefvé, Guillaume Erart, Nicolas Midi, Thomas de Courcelles, docteurs de L’Université de Paris. Assesseurs : une centaine de maîtres et licenciés de l’Université de Paris, encadrés par le cardinal d’Angleterre, Henri Beaufort et Warwick, capitaine de la ville de Rouen et du château.

L’iniquité de ce procès débute dès l’information préalable, le 9 janvier 1431, jugée nécessaire pour qu’il "ne souffre aucun vice". Sans que Jeanne ne soit présente, chez Cauchon, "les personnes notables singulièrement érudites en droit canon et civil" se réunissent pour instruire "certains articles en due forme, afin que la matière apparût plus distinctement et mieux en ordre, et que l’on pût délibérer de façon plus certaine s’il y avait matière de foi". Des enquêtes sont ordonnées, à Domrémy et Vaucouleurs ; les conclusions des docteurs de Poitiers sont "disséquées" ; mais tous les témoins restent anonymes.

L’accusation de Jean d’Estivet se bâtit sur des commérages orientés, mais il en sortira tout de même 70 articles !

Le 21 février 1431, le "procès ordinaire" peut débuter. Les séances sont publiques, essentiellement basées sur l’interrogatoire de Jeanne au regard des 70 articles de Jean d’Estivet. C’est la chapelle du château qui fait office de salle d’audience.

La première impression que donne Jeanne à ses juges est mauvaise : elle refuse de se séparer de ses habits d’hommes qu’elle n’a jamais quitté. Ce fut d’ailleurs prétexte à lui refuser d’entendre la messe ("l’inconvenance de son habillement dans laquelle elle persévérait"). 42 clercs lui font face : elle leur reproche ses fers et ses chaînes, affirme sa volonté de s’évader et déclare son intention de ne rien révéler de ses voix.

Le 22 février, c’est à dire au 2ème jour de procès, Jeanne répond à 47 clercs dans la salle d’apparat du château. Les questions sont désordonnées, les réponses injustement consignées.

Le 24 février se tient la troisième séance du procès. 62 clercs interrogent Jeanne sur le fait qu’elle soit ou non en état de grâce. Sa réponse : "Si je n’y suis, Dieu veuille m’y mettre ; et si j’y suis, Dieu veuille m’y tenir". Jeanne tombera malade dans les jours suivant, après avoir mangé du poisson. Le roi Henri VI aura le cynisme de trouver la dépense excessive pour la soigner.

Le 27 février, elle répond aux questions de 54 clercs, portant sur ses saints, son étendard ou sa blessure d’Orléans. Le 1er mars, une nouvelle séances devant 58 assesseurs porte sur une lettre au comte d’Armagnac concernant le vrai pape, sur ses prédictions concernant la défaite des anglais ou sur sa devise "Jhesus-Maria". Est abordé également le signe secret qu’elle donna à Charles VII en mars 1429, mais elle n’en dit mot.

Le 3 mars, 41 clercs tentent de la faire parler à propos de sa persistance à porter des habits d’homme. Ils la questionne aussi sur les raisons qui poussaient les soldats à la suivre si facilement : s’il y avait quelque sorcellerie là-dessous, Cauchon tenait sa victoire. Mais Jeanne élude habilement.

Suite à cette journée, certaines voix s’élèvent parmi les clercs et les juges. Ce sont d’abord des assesseurs comme Nicolas de Houppeville et Jean Lohier qui s’étonnent des témoignages favorables à Jeanne qui ne sont pas entendus, de l’accusée laissée sans avocat ou de la non-représentation de Charles VII, pourtant mis en cause. L’évêque Jean de Saint Avit, qui siège parmi les juges, réclame quant à lui que l’affaire soit tranchée par le pape.

Cauchon sent que le vent tourne et se débarrasse promptement de ces "gêneurs". Il annonce également la suspension des audiences publiques.

Du 4 au 9 mars, Cauchon réunit chez lui les plus zélés de "ses" juges pour préparer un autre interrogatoire d’où il devra ressortir une inculpation pour pêché d’orgueil et de révolte contre l’Église militante.

Du 10 au 17 mars, Jeanne sera interrogée dans sa cellule par cinq assesseurs triés sur le volet. Les docteurs de l’Église délibèrent ensuite du 18 au 20 mars et la déclare coupable de 5 pêchés mortels ! C’est le triomphe de la Sainte Inquisition.

Le 27 mars 1431, le procès ordinaire peut reprendre. Il se tient près de la grande salle du château. Il débute par la lecture des 70 articles qui sont sensés rapporter les déclarations de Jeanne. C’est Thomas de Courcelles qui les énumèrent sur un ton qui accuse plus qu’il ne présente. Cette lecture durera 2 jours, Jeanne faisant preuve d’une patience et d’une mémoire infaillible.

Le 31 mars, Cauchon en personne, entouré de sept docteurs en théologie, somme Jeanne de révoquer ses visions. Elle refuse.

Le 5 avril, les chefs d’accusation sont établis : Jeanne est condamnée comme "sorcière, devineresse, fausse prophétesse, invocatrice, magicienne, mauvais esprit, hérétique, apostate, blasphématrice, séditieuse et altérée de sang". 12 articles résument ces chefs d’accusation, qui sont donnés en délibéré à 18 théologiens.

Le 1er mai, dans la grande salle du château, Jean de Châtillon, archidiacre d’Évreux, prononce l’admonestation publique. La menace du bûcher est clairement signifiée à Jeanne pour la première fois.

Le 9 mai, on menace Jeanne de la mettre, dans la grosse tour du château, "à la torture pour la ramener à la voie et connaissance de la vérité". Entre-temps, l’Université de Paris avait été consultée par Cauchon au sujet des 12 articles rédigés le 5 avril. Cette faculté, toute aux ordres des anglais, émet, le 14 mai, l’avis que Jeanne est "traîtresse, rusée, cruelle, assoiffée de répandre le sang humain" ; elle préconise en même temps de conclure rapidement ce procès.

Le 24 mai, Jeanne est conduite devant Henri de Beaufort, abbé déchu du Mont-Saint-Michel par les français et fait cardinal d’Angleterre par les anglais. La scène se déroule au cimetière de l’abbaye de Saint-Ouen, où sont réunis évêques, abbés, juges et spectateurs. Immédiatement, Jeanne demande l’intervention du pape, qui lui est refusée. Elle ne laisse alors pas Cauchon aller au bout de la lecture de la sentence : elle déclare qu’elle se soumet "aux juges et à l’Église". Elle signe en souriant une courte abjuration devant une foule mécontente, privée d’une condamnation spectaculaire ! Le soir, elle accepte de quitter ses habits d’homme pour ceux de femmes et se fait raser les cheveux.

Ce changement d’attitude de Jeanne s’explique en fait par les promesses qui lui ont été faites, notamment par maître Nicolas Loiseleur, qui lui garantit la prison à vie, gardée par des femmes. Elle échappe ainsi aux geôles anglaises qui la terrorisent par dessus tout.

Il n’en sera rien. Les quelques lignes apparemment insignifiantes qu’elle a signé, seront allongées postérieurement et à son insu, d’une énumération de ses "crimes et désaveu de sa vie". Cauchon ordonne qu’elle retourne au donjon du château sous la surveillance des hospitaliers anglais, enchaînée à une poutre et au secret.

Le 28 mai, Cauchon est prévenu qu’elle a repris l’habit d’homme et qu’elle renie l’abjuration : Dieu et ses saintes lui auraient reproché. Il n’en faut pas plus pour parler de relaps.

Le 29 mai, dans la chapelle de l’archevêché, Cauchon réunit 39 assesseurs qui constate le crime de relaps.

Le mercredi 30 mai 1431, à 7 heures du matin, Massieu annonce à Jeanne, dans sa cellule, qu’elle est citée à comparaître au Vieux Marché, "pour se voir déclarée relapse, excommuniée et hérétique". Martin Ladvenu et Jean Toutmouillé, deux dominicains, lui explique que la formule signifie sa mort par le feu. Elle déclare, terrorisée : "Me traitera-t-on aussi horriblement et cruellement qu’il faille que mon corps net et entier, qui ne fut jamais corrompu, soit aujourd’hui consumé et réduit en cendres !. " Lorsque Cauchon survient, espérant vainement recueillir l’aveu de défaillance qui aurait désavoué Charles VII , Jeanne lui lance : "Évêque, je meurs par vous !".

Les deux dominicains l’entendent en confession et lui donne la communion.

A 9 heures, elle quitte la prison pour son supplice. Sur la place du Vieux Marché, Jeanne est attendue par une grande foule qui entoure les gens d’Église. Parmi eux, Cauchon, les évêques de Thérouanne et de Noyon et 11 docteurs en théologie. Sur la place ont été aménagé 3 échafauds. L’un supporte les juges, le 2ème l’accusée et le 3ème le bûcher. Cauchon donne lecture de la sentence ecclésiastique : " nous te rejetons, te retranchons, t’abandonnons, priant que cette même puissance séculière modère envers toi sa sentence, en deçà de la mort et de la mutilation des membres". Car si l’Église prononce le jugement, elle ne punit pas et s’en remet au bras séculier pour la basse besogne ! Une ordonnance de 1226 dictait que cette peine "modérée" (par rapport à l’écartèlement) était la peine du feu. Jeanne est à genoux. Elle implore le pardon des juges et du roi d’Angleterre, prie Dieu, la Vierge et ses Saints et réclame messe et prières aux prêtres présents. La foule s’impatiente. A l’image du procès, l’exécution se hâte. Le bailli de Rouen, Le Bouteiller, fait fi de la procédure et fait rapidement passer Jeanne sur l’échafaud central où se tient le bûcher et la fait ligoter au poteau. Sa tête est recouverte d’une mitre sur laquelle sont inscrits les mots hérétique, relapse, apostate et idolâtre. Un panonceau est cloué au poteau, énumérant les seize "crimes" de Jeanne. Elle réclame une croix. Un soldat anglais en bricole une avec deux morceaux de bois, qu’elle accepte en prières. Elle demande ensuite la croix de l’église Saint-Sauveur : Massieu lui ramène. Le bûcher est embrasé. Martin Ladvenu, le dernier confesseur de Jeanne lui parle et la console, malgré la menace des anglais ; il monte même sur le bûcher et s’y trouve encore lorsque les flammes montent. Ce n’est que sur la prière insistante de Jeanne qu’il accepte de se retirer.

Jeanne s’écrie : "Ah ! Rouen ! J’ai grand peur que tu n’aies à souffrir de ma mort !". Alors que les flammes la gagnent, elle crie qu’elle a agit sur commandement de Dieu et invoque ses saints, Saint-Michel, Sainte-Catherine et Sainte Marguerite. Son dernier mot est "Jésus !".

Minutes du procès de Jeanne d’Arc

Minutes du procès de Jeanne d'Arc

Il faudra attendre 25 ans pour que Jeanne d’Arc soit réhabilité. En 1450, bien que n’ayant rien tenté pour sauver Jeanne dix-neuf ans plus tôt, Charles VII ordonne une enquête. Elle sera menée par Guillaume Bouillé, membre du Grand Conseil du Roi et de l’Université de Paris. Elle n’aboutira pas. Deux ans plus tard, en 1452, le légat Guillaume d’Estouteville, originaire du diocèse de Rouen dont il deviendra cardinal archevêque, instruit une autre enquête qui sera également sans suite. Ce n’est qu’à la demande insistante de la mère et des frères de Jeanne, que le pape Calixte III, en 1455, ordonne une troisième enquête. Elle est confiée à Jehan Brehal, des Frères Prêcheurs, grand inquisiteur de la Foi pour le royaume de France. Celui-ci est favorable à la défunte pucelle et obtiendra un procès en réhabilitation. Ce procès est mené par trois juges, trois délégués du Saint-siège : Jehan Juvenal des Ursins, archevêque de Reims, Guillaume Chartier, évêque de Paris et Richard de Longueil, évêque de Coutances. Après de nombreuses auditions et témoignages (les proches de Jeanne seront entendus), le 7 juillet 1456, à Rouen, dans la grande salle du Palais de l’Archevêché, le tribunal inquisitoire se prononce sur les jugements et les sentences des 24 et 31 mai 1431, en vertus desquels Jeanne avait été condamnée et brûlée : "Nous disons, prononçons et déclarons lesdits procès et sentences remplis de dols, de calomnies, d’iniquités, d’inconséquences et d’erreur manifestes, tant en fait qu’en droit ; disons qu’ils ont été, sont et seront, ainsi que l’abjuration et tout ce qui a suivi, nuls, non avenus, sans valeur ni effet ; Néanmoins, en tant que de besoin, et ainsi que la raison nous le commande, les casons, anéantissons, annulons et déclarons vides d’effet ; Déclarons que ladite Jeanne et ses parents, demandeurs en la cause actuelle, n’ont, à l’occasion de ce procès, contracté ni encouru aucune note ou tache d’infamie ; les déclarons quittes et purgés de toutes les conséquences de ces mêmes procès ; Ordonnons que l’exécution et la solennelle publication de notre présente ordonnance auront lieu sur le champ en cette cité [de Rouen], en deux endroits différents, savoir : Aujourd’hui même, sur la place Saint-Ouen, à la suite d’une procession générale et d’un sermon public ;

Demain, sur le Vieux Marché, au lieu même où ladite Jeanne a été suffoquée par une flamme cruelle et horrible ; avec aussi une prédication générale, et apposition d’une croix honnête, pour la perpétuelle mémoire de la défunte, et le salut d’icelle et des autres défunts. Déclarons nous réserver de faire ultérieurement exécuter, publier, et, pour l’honneur de sa mémoire, signifier avec éclat notre dite sentence dans les cités et autres lieux insignes du royaume, partout où nous le trouverons bon ; sous réserve de toutes autres formalités qui pourraient être encore à faire. A Rouen, dans le Palais archiépiscopal, l’an du Seigneur 1456, le septième jour du mois de juillet." Jeanne obtenait enfin ce qu’elle n’avait pu avoir lors de son procès, bien que l’ayant maintes fois réclamée : la justice de l’Église de Rome.

Dans leurs conclusions, les trois juges qui réhabilitaient Jeanne, ordonnaient l’érection "d’une croix honnête", c’est à dire de bonnes proportions. Cette croix fut posée. Les historiens la situe près de l’église Saint-Sauveur, c’est à dire sur le côté de la place du Vieux Marché, et non sur le lieu même du supplice (qui resta longtemps l’endroit des exécutions criminelles).

D’abord simple croix de bois, elle se transforma en calvaire de bronze doré, élevé sur ordre de Charles VII, qui perdurera jusqu’à la fin du 15ème siècle. A partir de là, l’histoire devient un peu floue : il semble qu’une fontaine remplace le calvaire (traces en 1525 dans le Livre des Fontaines de l’échevin Jacques Le Lieur), rapidement améliorée en un édicule pyramidal contenant, au-dessus de la vasque, une statue de Jeanne d’Arc.

P.-S.

Source : Cet article est partiellement ou en totalité issu du texte de histoire du 15ème siècle/ 1429 : une année charnière (archives Ljallamion, petit mourre, encyclopédie imago mundi, l’histoire, ect....)